Catégories : Jirô Taniguchi, Manga

Un livre, avec ou sans images, est avant tout une destination. Un voyage vers l'imaginaire. Une librairie est donc pour moi une maison à rêves. Parmi les bandes dessinées qui m'attirent, celles qui parlent de la vie quotidienne sont mes préférées. Notre existence, notre vie, nos souvenirs et nos sentiments sont une source d'inspiration inépuisables.

Au cours des deux derniers mois, j'ai lu quelques œuvres passionnantes.

Jirô Taniguchi reste mon mangaka préféré et est l'un des rares à mêler fiction et réalité avec autant de talent. Son dernier manga, Un zoo en hiver, paru aux éditions Casterman (comme la plupart de ses albums), est pour moi l'une de ses meilleures œuvres. Il a mis de côté le format BD qu'il avait choisi pour La montagne magique et Le promeneur pour revenir au manga traditionnel à mon plus grand bonheur. Un zoo en hiver est une fiction autobiographique puisqu'à travers le jeune Hamaguchi, Taniguchi raconte ses débuts en tant qu'apprenti mangaka.

L'orchestre des doigts est une série en quatre tomes écrites et dessinées par Osamu Yamamoto. Son style graphique, entre un Taniguchi plus nerveux et un Otomo nous raconte l'histoire de Takahashi au début du XXe siècle, un jeune homme qui abandonne l'idée de devenir musicien pour enseigner dans une classe de sourds-muets. Sa première difficulté va être de se faire comprendre lui qui n'a jamais appris la langue des signes.

Yamamoto s'est inspiré de la vie du père de Yoriko Kawabuchi, auteure de plusieurs ouvrages sur la surdité. Il avait déjà écrit auparavant un autre manga sur une équipe de base-ball constituée de sourds-muets. Yamamoto est un auteur à contre-courant puisqu'il essaie de faire passer des messages d'ouverture d'esprit et de tolérance à travers ses différents mangas mais sans émouvoir à outrance ni tomber dans le pathos. En résulte une histoire magnifique, profondément humaine, mais qui en même temps nous explique l'Histoire des sourds-muets au Japon ainsi qu'un regard sur le monde occidental. En effet, à cette époque deux mouvements s'opposent : la méthode gestualiste et la méthode oraliste qui oblige à la personne sourde de lire sur les lèvres de son interlocuteur pour le comprendre et de lui répondre en parlant (puisqu'un sourd n'est pas nécessairement muet mais qu'il ne sait pas que des sons puissent exister). Cette méthode interdit donc ouvertement l'utilisation de la langue des signes ce qui pourrait paraître aberrant.

Personnellement, c'est un manga que j'ai dévoré avec passion qui nous apprend beaucoup de choses sur ce milieu de manière très instructive. Si cette série vous intéresse, vous pourrez vous la procurer grâce aux éditions Milan, collection Kankô.

Ci-dessous quelques extraits du livre :

"Écoutez-moi bien Takahashi. [...] Un enfant qui est sourd de naissance n'est pas un enfant qui ne sait pas parler. C'est un enfant qui ne sait même pas qu'une chose telle que le langage existe. C'est ça naître sourd ! Éduquer de tels enfants n'est pas aussi simple que vous semblez le penser..."

"[...] Il s'agit de remplacer complètement la méthode gestualiste par la méthode oraliste. Cela signifie également que nous allons priver les sourds de la langue des signes. A vrai dire... tous ceux qui sont dans un système oraliste en sont déjà privés. Ils sont contraints de subir un enseignement basé sur des sons qu'ils ne sont même pas capables d'entendre, alors qu'un seul mouvement des doigts leur permettrait de s'exprimer pleinement.
Comprenez-vous vraiment ce que cela signifie ? Les sourds sont minoritaires et la langue des signes est une langue minoritaire. Les entendants sont majoritaires et la langue vocale est la langue de la majorité. Vous demandez à la minorité de se sacrifier au profit de la majorité. Vous soutenez le point de vue des entendants et voulez forcer les sourds à utiliser leur langue, à devenir comme eux.
Mais pourquoi devraient-ils avoir honte d'être sourds ? Vous parlez de leur permettre de vivre dignement, la tête haute. Et n'est-ce pas notre mission d'enseignants que de les éduquer de sorte à ce qu'ils deviennent des individus à part entière ?"

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