Inio Asano est un auteur original. Mangaka depuis 2003 et toujours en activité, ses publications, généralement courtes, sont pour la plupart des histoires psychologiques, où le malsain et les vices humains sont représentés d’une façon déroutante, mais pas pour autant dégoûtante. L’esprit prend une place importante, et le mangaka nous le montre, autant par l’omniprésence des rêves, de l’illusoire, que par l’implication du lecteur dans un schéma de pensée sinueux. Ainsi, il n’est pas rare que ses œuvres nécessitent au moins une deuxième lecture afin de comprendre le message passé ou même de distinguer le vrai du faux.
C’est d’ailleurs le cas ici avec Nijigahara Holograph, ou Le champ de l’arc-en-ciel en version française. Il s’agit d’un one shot réalisé en juillet 2006, qui s’est vu doté d’une sortie française par Panini deux ans plus tard. Le cover met d’ailleurs en garde, on ne va pas être maître de ce que l’on va lire. En tant que lecteur, on ne va pas lire une histoire mais suivre celles des personnages, en essayant de déchiffrer le message distillé dans ces années de mémoires évanescentes.
Esthétiquement, le manga est une belle réussite. Rythmé, clair et agréable à l’œil, il développe en un temps limité des personnages possédant des personnalités propres. Les expressions faciales, en outre, sont également réussies tout en évitant de tomber dans la surenchère. De même, si dans l’histoire Nijigahara Holograph est par moment un peu cru, il n’est jamais excessif dans ses expressions et nous donne une surprenante impression de mesure vis-à-vis de l’impact recherché. On sent qu’Asano est allé chercher dans les recoins les plus tortueux de son esprit, et veut communiquer via cette œuvre le mal-être psychologique dont peuvent souffrir certaines personnes tout en restant mesuré dans ses actions, afin de conserver leur côté humain. Un troublant réalisme, pouvant s’expliquer par les problèmes personnels d’Asano depuis quelques années, problèmes d'identité notamment, l'auteur désirant en effet changer de sexe depuis 2012. On peut cependant émettre des réserves sur cette œuvre. Le flou presque absolu lors de la plupart de la première lecture peut en effet être reproché, ainsi que quelques rares animations pas toujours très claires.
Nijigahara Holograph ne plaira clairement pas à tout le monde. C’est une fable cérébrale, tortueuse et troublante, dont les subtilités ne s’appréhendent qu’à la relecture. Mais Nijigahara Holograph est également un manga qui sort des sentiers battus, et qui nous change des lectures traditionnelles. Troublant, intéressant et même touchant, il remplit parfaitement son contrat de nous proposer quelque chose de différent et de bonne qualité. À essayer, clairement, mais uniquement si le genre vous intéresse.