Hiroyasu Ishida et ses formats courts enchanteurs
Par kolibri, le 10/08/2014 à 00h09 (1271 vues)
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Hiroyasu Ishida, connu sous le pseudonyme Tete, est un directeur d'animation de 26 ans, formé à Kyoto. Spécialisé dans les films courts, il se fait connaître dès son premier court métrage, Fumiko's Confession, vu plus de deux millions de fois sur Internet et relativement réputé par les amateurs. Encore étudiant, il se verra de nouveau sur le devant de la scène lors de son projet d'obtention de diplôme, avec Rain Town. Si le ton des deux ONA est sensiblement différent, on retrouve une marque de fabrique typique de Ishida, avec une ambiance fantaisiste mais légère, à la fois drôle et touchante. De nombreuses récompenses lui sont décernées, parmi lesquelles le grand prix de l'Indies Anime Fiesta en 2010 et 2011 (un exploit !), le Studio 4°C award, ou le Ghibli Museum Award. Acclamé par Mamoru Hosada (La traversée du temps, Les Enfants Loups, Summer Wars... vous voyez le calibre), il est aujourd'hui rattaché au Studio Colorido ou il produit ses oeuvres. Je vous propose lors de ce billet de les passer en revue.
Fumiko no Kokuhaku et Rain Town, les projets d'étude
Fumiko's Confession est un projet relativement classique dans sa présentation. L'histoire est rapidement exposée : Fumiko, personnage principal de l'histoire, déclare sa flamme au garçon qu'elle aime, mais ce dernier refuse, préférant se concentrer exclusivement sur le sport qu'il pratique. Fumiko, alors en pleurs, décide d'échapper à cette situation difficile en fuyant, littéralement. La fuite est alors l'occasion pour Ishida de mettre en avant ses qualités d'animation, avant un dénouement tout aussi vite exposé. Le côté exercice scolaire a tendance à se ressentir au cours de ces trois minutes d'animation, mais l’œuvre reste très agréable à regarder, avec un humour léger et appréciable et un véritable travail artistique et d'animation. Si aujourd'hui ce travail est toujours le plus connu d'Ishida, il est à mon avis légèrement inférieur au travail suivant, Rain Town, en termes d'aboutissement général.
Rain Town est un ONA bien plus posé que Fumiko's Confession, dont l'accent n'est plus autant porté sur l'animation que ce dernier. On remarque immédiatement ici un travail d'identité visuelle, ainsi qu'une vraie réflexion scénaristique. Rain Town raconte une histoire d'amitié entre une jeune fille et un robot, qui se verront séparés par la suite. Plusieurs points de ce court métrage deviendront par la suite des idées récurrentes de Tete : la relation entre un humain et un non-humain, une communication ne se faisant pas (ou très peu) sur la parole, la présence d'enfants dressant le portail entre le réel et l'imaginaire, et une bande-son généralement au piano, minimale mais efficace, mise en relief par le format court des productions et le côté laconique du message passé. Une réussite pour cet ONA d'une petite dizaine de minutes joliment exécuté.
Shashinkan, Hinata no Aoshigure, le double projet ambitieux de Colorido Deux ans après Rain Town, le studio Colorido sort deux nouveaux courts métrages, cette fois plus longs et plus ambitieux qu les précédentes œuvres de Ishida. Shashinkan est un format court confié à l'extrêmement talentueux
Takashi Nakamura, notamment connu pour son travail sur le film Akira. Le scénario est plutôt ambitieux compte tenu du format. Avant la seconde guerre mondiale, un couple se rend chez un photographe, désirant réaliser un portrait de famille. La femme étant cependant timide, elle a tendance à naturellement baisser la tête lors de la capture, gâchant la photographie. Ce n'est qu'après plusieurs tentatives du photographe de faire sourire la protagoniste qu'il arrivera a prendre la photo voulue. Mais un an plus tard, ce même couple revient, cette fois-ci avec leur fille. Le problème ne se pose plus alors pour la femme mais avec leur fille, que le tempérament grognon pose à nouveau problème pour le photographe. Décidé à faire sourire la jeune fille, les deux personnages mèneront donc une relation que vit passer les années et même les décennies, avant l'obtention du sourire tant attendu. Un scénario original et intéressant, une esthétique particulière et la présence d'une pointure de l'animation aux ficelles rendent l’œuvre intéressante.
L'autre œuvre, nous intéressant ici directement, est Hinata no Aoshigure, ayant Ishida à la réalisation. Ce court métrage de 18 minutes met en scène Hinata, un jeune garçon doué au dessin mais dont la timidité l'empêche de pouvoir dévoiler ses sentiments à sa camarade de classe, Shigure, dont il est tombé amoureux. Les aléas de la vie emmènent ensuite Shigure vers une autre ville, donc un nouvel établissement. Le jour de leur déménagement, Hinata décide de passer à l'action et de dévoiler ses sentiments, mais Shigure est déjà partie. S'en suit une course poursuite mouvementée pour Hinata où se mêleront une fois de plus réel et imaginaire, afin de retrouver le train emportant Shigure. Si le scénario en lui-même n'est pas bien original (on retrouve quelque chose de similaire notamment dans
5 centimètres par seconde), il y a cette fois-ci un travail esthétique fantastique et très professionnel, où se mêlent des inspirations de Ghibli, des films de Shinkai Makoto ou même d'autres œuvres telles que
Amer Béton. Le travail sur l'univers imaginaire, avec la mise en avant de protagonistes issus des dessins de Hinata, est également très intéressant. On est clairement en présence ici de l’œuvre la plus élaborée de Tete, tant d'un point de vue esthétique que scénaristique, le format plus long que ses productions originales aidant. Mais ce n'est pas pour autant qu'Ishida abandonne son genre de prédilection.
Color Bear et Poretto no Isu, retour brillant aux ONA traditionnelsLes deux derniers travaux originaux de Ishida pour Studio Colorido marquent un retour à l'ONA traditionnel pour Tete, d'une durée de moins de dix minutes et accessible directement via
la chaîne Youtube de l'auteur. Control Bear tout d'abord est réalisé en octobre 2013. Il raconte l'histoire d'une jeune fille qui, suite à la rencontre d'un ours en peluche, se vit transporter dans le
Wonder Garden, un univers magique où elle viendra en aide à un peuple constitué de ces mêmes ours en peluche. D'apparence très proche de Hinata no Aoshigure, avec des visages dont l'inspiration Ghibli est présente, un univers et un jeu de couleur identique, il est également très proche dans le scénario d'une autre œuvre courte,
Superflat Monogram, paru la même année et où se mêlent monde magique et animation d'objets de tous les jours. Mais le plus intéressant dans cette comparaison n'est autre que le directeur de production de Superflat Monogram, Mamoru Hosada, l'homme ayant détecté chez Ishida un talent certain dès sa première production.
Poretto no Isu est quant à lui un ONA commandé par Fuji TV afin de marquer les dix ans de la case horaire destinée à l'animation
noitaminA. Il s'agit d'une case horaire de la chaîne diffusant sur le créneau 24-25h des programmes généralement destinés aux adultes. C'est via noitaminA qu'est notamment diffusé le très connu
Psycho-Pass, le très bon
The Tatami Galaxy ou actuellement
Terror in Resonance (lui aussi excellent, il est d'ailleurs licencié par Wakanim en France). Poretto no Isu est donc un court métrage réalisé pour les dix ans de la plage horaire, mettant en scène Poretto (ou Poulette), une jeune fille dont la timidité l'empêche de se faire des amis. Alors qu'elle regarde les autres enfants jouer de loin, elle verra alors s'animer une chaise, qui l'aidera à surmonter sa timidité. Cette complicité se maintiendra dans le temps jusqu'à l'entrée de Poulette au collège, où le même problème se posera. À noter que cette seconde partie met en jeu des scènes d'animation en clin d’œil direct à Fumiko's Confession, le premier travail de l'auteur. Poretto no Isu est également dans la lignée de ses prédécesseurs, avec l'imaginaire et l'enfance se mêlant, la parole inexistante et la bande-son au piano (de Hamauzu !!). Il y a ici à la fois un superbe travail d'animation, dans les émotions transmises et dans l'esthétique. À titre personnel, Poretto no Isu est le meilleur travail de Ishida, et une véritable preuve de la maîtrise du genre par le créateur.
Hiroyasu Ishida est un personnage discret. Très talentueux mais sans réel projet ambitieux, il est cependant en progression et semble à la fois avoir acquis un style et une maturité dans le développement de ses formats courts. Aujourd'hui, aucun travail à venir de l'auteur n'est annoncé, mais on peut espérer le voir produire des projets intéressants dans un futur proche. Il ne semble pas impossible pour lui de faire partie, à l'avenir, des grands de ce média.