Malades du Jeu ?
Par cKei, le 18/06/2018 à 15h45 (1184 vues)
En tant que passionné, je suis le premier à vouloir mettre en avant les aspects culturels et sociaux des jeux vidéo, trop souvent relégués à une fable que les gamerz décérébrés utiliseraient pour déculpabiliser leur loisir préféré si l'on en croit les "gens normaux". La tentation est donc souvent grande de vociférer à l'encontre des observateurs extérieurs (grand public, presse généraliste) quand ceux-ci montrent une nouvelle fois le JV sous un aspect peu reluisant en l'accusant de tous les maux (causeur de tueries de masse aux USA, dévoiement de la jeunesse et j'en passe). Mais comme l'observe régulièrement l'ami Shane Fenton réagir violemment à ce type d'accusations n'est jamais bon pour la cause que l'on défend, et on va donc essayer de traiter un peu plus calmement du sujet d'aujourd'hui : le JV comme une addiction. Et ce n'est pas sorti de nulle part puisqu'on a une bonne raison d'en parler.
L'information bruissait depuis quelques mois, c'est
désormais acté : depuis hier, 17 juin 2018, l'Organisation Mondiale de la Santé a officiellement inclus le
Trouble du jeu vidéo dans sa classification internationale des maladies (version 11). Vu que c'est un sujet largement débattu tant dans la communauté scientifique et médicale que dans l'opinion populaire et qu'on en dit tout et n'importe quoi, je redoutais un peu cette annonce, qui finalement est passée totalement inaperçue. En fait de coup de semonce, ce changement de vision n'est pas si dramatique.
Si je m'en tiens au lien officiel donné plus haut, ce trouble du jeu vidéo est considéré comme "un comportement lié à la pratique des jeux vidéo ou des jeux numériques". C'est donc bien un problème du comportement humain, compulsif, et non quelque chose causé par le jeu en lui même, encore moins le JV au sens large et dans sa diversité qui agirait sur le cerveau (autre que sécrétion d'endorphine et compagnie). Ouf. En tant que gros joueur, il me paraissait inique que l'on considère de facto le JV comme un problème. On y passe un temps certainement énorme mais est-ce plus critiquable que les lecteurs pathologiques ou les amateurs de danse ? Suis-je lobotomisé pour autant ? Inculte ? Je ne pense pas. Au pire légèrement asocial par certains côtés (je précise que je plaisante) mais c'est ma façon d'être, le JV ici comble le vide, il ne le crée pas. Je sais donc que pour la grande majorité des gens, il n'aura pas d'effet d'addiction au sens lourd du terme.
Par conséquent et je l'ai souvent dit, sans être un professionnel de la santé je refuse qu'on fasse du JV en tant que média un bouc émissaire. Parce que les jeux vidéo, pris dans leur globalité, ne sont pas une drogue. Si addiction il y a, elle est liée à des pratiques problématiques, par une vie sociale défaillante elle même causée par une multitude de facteurs. Le JV peut ici servir d'exutoire pratique, mais ça n'est qu'un parmi d'autres. Le désigner comme instigateur du problème me semble donc aussi à côté de la plaque que de voir la société américaine 60's considérer le rock'n'roll comme la musique du diable propre à dévoyer la jeunesse. Et je ne peux m'empêcher d'y voir aussi un mépris de génération.
Difficile pourtant de dédouaner l'entièreté de la production actuelle car de plus en plus de pratiques commerciales de l'industrie visent directement à accrocher plus que de raison le joueur pour lui soutirer du fric : ça a commencé avec les
MMORPGs et leurs mondes persistants (qui ont entrainé l’appellation de
no-life) qui obligeaient par ricochet à se connecter très régulièrement au mépris de sa vie "hors-jeu", mais à l'époque ça n'était qu'une déviance causée par une boucle de gameplay novatrice. La situation aujourd'hui a évolué et les choses sont beaucoup plus critiquables dès lors que traire le joueur comme une vache à lait est devenu l'objectif. Dans une société qui déjà utilise massivement la
gamification pour attirer le client, on se doute bien que des pratiques du jeu vidéo comme les
Free-to-play ou les
gacha-games ne sont pas là pour faire dans l'humanitaire. Les premiers vous permettent de jouer gratuitement mais vous pousseront sans cesse à passer à la caisse pour pouvoir évoluer (plus facilement ou tout court) dans le jeu jusqu'à parfois avoir payé plus cher qu'un jeu habituel. Les second sont l'équivalent d'une pochette surprise ou d'une machine à sous, puisque vous pouvez "ouvrir des boites/caisses/cristaux/etc." pour obtenir personnages ou autres breloques inutiles qui rejoindront une collection. Et à la différence des jeux type Pokémon et autres TCG dont les actions pour toucher au but sont connues au départ, seule la chance (ou plutôt une RNG inconnue) vous permettra de toucher au but, rendant ces jeux virtuellement infinissables sans hypothéquer votre baraque - et y passer vos journées.
La constante de ces jeux c'est qu'ils obligent à se connecter régulièrement, souvent plusieurs fois par jour, ne serait-ce que pour quelques secondes. Le jeu fait alors partie de la vie au même titre que le brossage de dent. Quand on voit comment certains s'accrochent à leur portable, aux réseaux sociaux au-delà de tout sens commun, on voit bien à quel point la même chose transposée à une pratique ludique - qui vise donc le plaisir au départ - peut être dévastatrice. Manque de bol ce type de mécanique tend à essaimer dans tous les genres de jeu ces dernières années, notamment avec la pratique accrue des
Lootbox qui fait polémique depuis 2017. Et contrairement au JV dans son acceptation classique, elles sont à même de vraiment influer négativement et directement sur le joueur au même titre que l'addiction au jeu d'argent.
On voit également émerger un type de joueur de plus en plus "accro" (notez les guillemets) à cause des jeux de type DOTA et autres
MOBA, voire à leur déclinaison de type Overwatch, dont l'aspect compétitif est mis en avant soit par la professionnalisation de l'e-sport, soit par les nouvelles façons de le consommer (la démocratisation du stream T
witch, des VOD Let's Play). Puisque les joueurs se mesurent constamment les uns aux autres et sur le plan international quelque soit leur talent, qu'ils doivent généralement agir en équipe, cela les "oblige" à s'entrainer plus que de raison et à des heures indues, et fatalement ça peut aller à l'encontre d'une vie sociale extérieure épanouie. Ne pas oublier non plus la pression de satisfaire son audience de la part de non-professionnels. Tous n'auront pas de problème à le gérer mais difficile de ne pas voir le nombre croissant de naufragés.
Une fois ce constat fait, difficile de reprocher à l'OMS de prendre la problématique en compte. Loin d'un
Casus Belli à l'encontre des joueurs et de l'industrie, ce changement de vision relève peut-être de la nécessité. C'est un fait, la pratique du JV change avec les évolutions technologiques et avec elle les pathologies qu'elle peut participer à développer. Je reste à convaincre mais si cette reconnaissance du trouble spécifique au JV comme maladie peut permettre une meilleure prise en charge des malades, alors elle sera pour le mieux. En espérant, d'ici que les premiers retours d'expérience arrivent, ne pas voir cette note officielle utilisée dans un but hostile.