Jusqu'au Bout du Monde
Par Golden Leaf, le 05/11/2011 à 12h14 (1534 vues)
Des fois, j'ai des visions, et je sens que mon destin, c'est d'aller découvrir tel jeu, ou tel écrivain, parce que ce à quoi je suis en train de penser doit nécessairement s'y trouver.
Des fois, aussi, j'ai des réminiscences, et je sens que mon destin, c'est de retourner voir un écrivain ou une histoire.
Star Ocean : Till the End of Time ( sept ans plus tard )
NB : je ne pratique pas la catégorie du spoiler. Si vous ne voulez pas voir les surprises gâchées quant à ce jeu ( et elles sont nombreuses ), vous devriez passer votre chemin.
Je ne ferai pas l'insulte à mes compagnons de Legendra ( parce que, depuis le temps, certains - et je ne les ai jamais vus - sont véritablement devenus des personnes qui existent dans mon petit monde ) de donner le détail des raisons pour lesquelles je suis retourné jouer à Star Ocean : Till the End of Time, que j'avais déjà beaucoup apprécié il y a quelques années. Cette fois, je me suis tourné vers le mode facile ( qui ne porte pas ce nom ), parce que le levelling, c'est bien joli quand on a que ça à faire, mais leveller ( comme je l'avais fait la première fois ) pour aller dans un terrier que je connais déjà... je préfère garder mon temps pour un 2X sur les Baten Kaitos.
Ma question était la suivante : alors que, depuis si longtemps, les braves philosophes de la tradition tentent de nous expliquer qu'il faut absolument sortir de la caverne, qu'il faut douter pour découvrir la vérité ou qu'il faut faire travailler le concept au service de l'Esprit ( lorsqu'il ne s'agissait pas de combattre des Agents dans la Matrice... mais ça, c'est un petit peu plus récent ), voilà qu'une bande menée par un garçon ( et je crois, au passage, avoir enfin compris pourquoi un Héros de RPG japonais a nécessairement les traits d'un adolescent ) qui porte le nom du Destin et le Destin lui-même veut, en apparence, sauver la Caverne et y retourner à tout prix !
Diable ! Sont-ils devenus fous, ces Héros de pacotille ? Où sont-ils bêtes ? Tandis qu'ils découvrent que leur monde n'épuise pas le réel, ils ne demandent qu'à le sauver et à y retourner ?
D'abord, je dois avouer que j'aime profondément Fayt, Maria et Sophia. Mon rêve ultime était de dézinguer Luther avec ce trio, mais des choix de jeu et une certaine impatience m'ont contraint à m'en défaire avec Fayt, Cliff et Sophia ( laquelle est d'une efficacité redoutable, au passage ).
1 - Fayt ( j'en parlerai comme représentant de l'Eternal Sphere ) est un programme. Ce n'est pas un être de la Quatrième Dimension asservi à l'Eternal Sphere, comme peuvent l'être les humains dans Matrix. Soit nous admettons que notre parenté avec Fayt est seulement métaphorique, soit nous admettons que l'essence de l'individu relève, non pas de son rapport à la création, dans l'absolu, mais dans son rapport... à sa propre essence. Question pour Fayt : comment puis-je être un programme à mon maximum ?
2 - Les programmes de l'Eternal Sphere sont libres. Ils sont créés depuis l'extérieur mais demeurent libres ( Flad précisant que l'Eternal Sphere n'est pas un jeu que l'on manierait avec des joystick, mais véritablement une réalité parallèle devant laquelle les êtres de la 4ème dimension sont spectateurs ). La liberté ne réside pas dans l'origine, mais dans l'acte. Par ailleurs, nous pourrions enrichir encore l'affaire en montrant que tous les individus de l'Eternal Sphere ne sont pas directement créé depuis la 4ème Dimension : Fayt est bien le fils du programme Robert Leingod. Le problème est un problème d'origine du monde lui-même. Le monde "Eternal Sphere" n'épuise pas le réel, mais, en acte, il se développe de façon autonome.
Luther, au contraire, refuse l'autonomie en acte de l'Eternal Sphere. Les individus ne sont pas libres parce qu'ils ont été créés de l'extérieur, à l'origine.
3 - La question ne porte donc pas vraiment sur la liberté qui est réduite à l'acte. Puisque Fayt peut faire ce qu'il veut, en acte, il est libre, quoi qu'en pense Luther. Dans le détail, la thèse peut sans doute être critiquée ( est-ce que la liberté comme actualité est un concept suffisant ? Le scénario vote "oui", faisons-lui confiance jusqu'au bout ).
4 - Le problème, c'est celui du monde. L'Eternal Sphere est-elle un monde ? Ou, plutôt, l'Eternal Sphere est-elle un monde réel. Parce que la notion de monde ne peut être laissée dans le giron de la métaphore. Oui, évidemment, c'est un "petit monde", mais est-ce qu'il est réel ? Est-ce qu'il rivalise avec la 4ème Dimension, et est-ce qu'il a sa légitimité ?
Luther pense que non. Mais Luther pense toujours non. Il a un vrai problème avec tout ce qui n'est pas lui, avec tout ce qui ne se plie pas instantanément à sa volonté. Je le crois capable de déclarer la guerre à des blattes, ce charmant garçon. Or, Fayt n'est pas une blatte.
5 - Sauf que l'argument selon lequel Fayt est né dans l'Eternal Sphere, y a grandi, n'est pas vraiment convaincant. Vous croyez vraiment que vos Sims sont réels ? Et je dis "vos", parce que je n'ai jamais joué aux Sims. Si nous étions un peu joueur, nous pourrions poser la question de la façon suivante : Fayt vaut-il plus qu'un Sim ?
// Voilà maintenant ce que j'aime dans Star Ocean : Till the End of Time, et dans d'autres jeux que je ne citerai pas. Voilà aussi, ce qui fait, à mon sens, la différence entre une histoire compliquée et une histoire complète. Voilà pourquoi je préfère mille fois Star Ocean : Till the End of Time, ou encore un ou deux Baten Kaitos, à Xenogears, qui, à mon sens, se content d'empiler des références et des situations qui n'ont, entre elles, que des rapports très lointains, et qui auraient pu être tout autres ( pourvu qu'elle demeurent nombreuses et surprenantes, histoire de divertir des joueurs pour lesquels, malheureusement, la catégorie de l'original prévaut souvent d'autant plus que leur culture est défaillante ). C'est parce que Star Ocean : Till the End of Time va au bout de son propos. //
6 - La réponse intervient en deux temps, et c'est le premier temps qui m'intéresse surtout ( je trouve la fin, pour tout dire, décevante. Voilà une faiblesse de Till the End of Time ). Et c'est Sophia qui vient à la rescousse de la troupe puisque, chez Flad, lorsque tout le monde commence joyeusement à s'interroger sur le sens de la réalité, elle ne se complique pas la vie et rassure simplement Fayt en lui opposant qu'il sait parfaitement que le monde d'où il vient est réel puisque son Coeur le lui a dit.
Et voilà, c'est fini.
Le secours de la pensée, la preuve indubitable, qui permet de juger entre le vrai du faux, ce que Sophia appelle le Coeur, c'est le sentiment. La certitude, sans doute.
7 - Tout ça pour ça ? Pas si vite. Voilà donc ce que j'apprécie de manière générale dans le RPG japonais : la capacité à poser des problèmes importants et complexes ( au moins en apparence ) et de donner une réponse très simple, et très terre-à-terre ( c'est-à-dire une réponse théoriquement accessible à tous, mais difficile à défendre ).
8 - Je n'aime pas la fin. Pourquoi avoir permis à Luther d'effacer l'Eternal Sphere et avoir permis cette chose bizarre en vertu de laquelle l'Eternal Sphere peut être reconstruite à partir de la pensée. Que le sentiment assure la pensée de sa réalité, je veux bien, mais que la pensée produise le réel, cela ne me va plus du tout. Dommage, sans la fin, Till the End of Time était entièrement grandiose.
9 - Petit clin d'oeil à un copain du XVIIème ( René Descartes ) dont j'ai repassé les deux premières Méditations pour ma chérie ( qui en a profité pour me larguer, au passage ) : certes, ego sum, ego existo ( "Méditation Seconde" ). Mais je préfère ( parce que je crois plus juste, quoique le propos de Descartes soit infiniment plus systématique que celui de Till the end of time ) ego sum, ego existo, ego patior.