De la misogynie ordinaire dans le RPG
Par Zak Blayde, le 01/03/2012 à 08h04 (2203 vues)
Depuis ses débuts, le jeu-vidéo est victime de la misogynie ordinaire, il est en majorité pensé par des hommes, pour des hommes (ou des garçons). Le RPG n'échappe pas à la règle. Et même si sous la plume d'auteur(e)s d'une grande intelligence naissent parfois des personnages féminins différents, il n'empêche que prolifèrent les petites nanas en sous-vêtements, pré-adolescentes ou un peu plus matures et dans ces cas là dotées de poitrines inhumaines. On ne saurait réduire ces personnages à ces apparences, car souvent sous ces apparats sans doute dictés par le sacro-saint (mais pourtant largement décrié) fan service se cachent des personnalités parfois complexes et intéressantes. Quand ce ne sont pas au contraire de simples potiches gémissant à chaque instant et s'entichant secrètement du jeune héros masculin pourtant plus con qu'un balai (mais tellement plein de bonne volonté).
Dès les premiers RPG, inspirés de l'heroïc-fantasy, les héroïnes n'ont pas le monopole du charisme. Dans Dragon Quest (1986), Laura est une princesse candide en robe et tiare, et ne vit que pour être sauvée par son héros. En revanche, elle est rousse, chose plutôt atypique (peut-être une source particulières de fantasmes en Asie, soyons vicieux dans notre raisonnement), et pas déshabillée donc !
Dans le second épisode, sorti un an plus tard, on retrouve une princesse du même type, mais le personnage féminin jouable en revanche, toujours une princesse, a cette fois les atours de l'aventurière. Chez Enix on est sages et l'héroïne typique est guérisseuse ou princesse, et ne dévoile pas trop son corps, pour ne pas pervertir la jeunesse.
Chez le studio concurrent, dès Final Fantasy 4 (1991), on voit apparaître un personnage féminin, Rosa, petite amie du personnage principal Cecil, en tenue de sorcière beaucoup plus suggestive et stylisée, loin du classicisme arboré par Dragon Quest. La série se révèle dès lors plus moderne, avec des personnages plus complexes mais visuellement largement dédiés au plaisir des yeux.
En 1993, Capcom dévoile le premier épisode de sa saga Breath of Fire, sur Super Famicom. Les deux personnages féminins exposent leur corps également. Nina, une fée adepte des sorts de soin (!), expose largement son fessier, tandis que Bleu, une femme-serpent sorcière, affiche une poitrine opulente et dénudée. Les mœurs ont évolué depuis Dragon Quest, les femmes dans les RPG sont beaucoup plus sensuelles (le fruit d'une libération sexuelle ou d'une volonté d'attirer l’œil du joueur masculin ?) mais pratiquent toujours plus volontiers la magie (de soin de préférence) tandis que le personnage principal, toujours un jeune homme, manie l'épée avec héroïsme.
Fin des années 90, les sorties s’enchaînent et la créativité grandit. Des sagas comme Suikoden voient le jour. Les personnages y sont variés, en âge, en design, en personnalité. La variété et le sentiment que chaque design est justifié par une personnalité adaptée font qu'on peut difficilement accuser les auteurs de céder à la facilité et de perpétrer les clichés. Dans Xenogears de Squaresoft, les personnages font également l'objet d'un grand soin, et ne peuvent être réduit à un symbole. Ils ont des individualités propres et on s'émerveille devant la qualité des personnages féminins comme masculins.
L'époque 64/128 bits est également riche en sorties et l’hétérogénéité des genres, des jeux et des studios permet toujours de stimuler la créativité. Mais quand les plus grand studios rachètent les autres, que le rythme des sorties diminue, on assiste à l'arrivée d'un phénomène qui parait nouveau, le
fan service. Comme son nom l'indique, il s'agit de satisfaire les envies des joueurs, en étouffant parfois les motivations des auteurs.
Dans Final Fantasy X-2, suite s'offrant quelques libertés de ton par rapport à l'épisode initial, on assiste à un affichage particulièrement flagrant de formes sous des vêtements qu'on pourrait qualifier de vulgaires. Rikku, affublée d'une mini-jupe dont dépasse la ficelle d'un sous-vêtement en est le triste exemple. Le casting du jeu est d'ailleurs majoritairement féminin et orienté "pop".
Le fan service n'existe pas seulement visuellement, il est aussi un retour en arrière sur l'affirmation du caractère des personnages féminins. Dans Ar Tonelico (Gust), le héros masculin est entouré d'héroïnes qui cherchent à attirer ses faveurs dans des scènes de jalousie ou de léger flirt proches de ce qu'on trouve dans certaines séries animées destinées aux adolescents. On hésite pas à qualifier de "harem" le principe de ces productions où le héros auquel s'identifie le joueur a le droit aux faveurs des femelles et a parfois même l'occasion de faire son choix à la fin du jeu sur celle qui sera sa promise.
On qualifie aussi de
moe cette autre forme de fan service où la majorité des personnages de ces productions sont de très jeunes filles, mignonnes et attendrissantes, avec une dimension crypto-sexuelle dont chacun sera le seul juge.
Plus récemment encore, dans Final Fantasy XIII-2 (une autre suite libre de ton), des DLC (Downloadable Content souvent payant) permettent de se procurer des costumes alternatifs pour ses personnages, particulièrement suggestifs pour certains.
A contrario, on a vu apparaître sur les dernières générations de consoles quelques jeux sortant du lot, avec des personnages féminins revenant à une profondeur remarquable. Dans Nier, le personnage principal féminin, Kaine, est très peu vêtu pourtant, une nudité justifiée scenaristiquement par un besoin d'afficher sa féminité, liée à une identité sexuelle trouble.
Dans Lost Odyssey, les personnages féminins sont divers et variés, d'une femme de pouvoir séduisant tout autant qu'elle est courtisée, à une pirate guerrière et jurant comme une charretière, à des lieues de la candeur et de la douceur dont ne pouvaient se défaire les héroïnes des débuts du RPG.
Dans la première période de Dragon Quest, on est clairement dans le cas de productions à la misogynie ordinaire, où les personnages féminins sont effacés, secondaires, et entretiennent les carcans sociaux de notre société. Elles sont guérisseuses en majorité comme sont en majorité féminins les personnels du monde hospitalier.
Avec la libération sexuelle progressive des femmes (déjà ancienne dans la société), on assiste à une libération visuelle (très tôt dans le RPG) des personnages. Elles exposent plus facilement leur poitrine, leurs fesses et leurs cuisses, plutôt pour satisfaire le joueur masculin que pour refléter une réalité ou exercer une influence cela dit. Mais on assiste surtout à un approfondissement des personnages et à une libération de la féminité à travers des caractères plus affirmés, plus complexes.
Difficile de critiquer ou juger la plupart des choix malgré tout. Si la majorité des personnages d'un jeu sont des jeunes filles mignonnes et simples, est-ce pour attirer et rassurer le joueur, ou est-ce simplement le reflet de la candeur culturellement admise des japonaises à travers la mode du kawaï ? Il n'y a pas de modèle à suivre, et il n'est interdit à personne de l'être, mignon et candide. Les buts des créateurs et producteurs ne sont pas transparents, et le jeu-vidéo reste une forme de divertissement et une entreprise commerciale. Dans tous les cas, comme toute œuvre culturelle, le jeu-vidéo porte la responsabilité de faire progresser les mœurs ou de les enfermer au contraire dans le conservatisme.
J'aurais aimé poursuivre plus loin cette réflexion (traitée à la va vite ici) mais difficile de le faire sans avoir déjà lu ce qui a été écrit sur le sujet. J'ai appris sur le forum l'existence de ces ouvrages, et je vous invite à les lire comme moi pour approfondir et aller au bout de la compréhension des enjeux du traitement des personnages féminins dans le monde vidéo-ludique :
http://www.editionspixnlove.com/Tous-nos-ouvrages/Girl-Power-Les-Cahiers-JV-4/flypage.tpl.htmlhttp://www.ankama-shop.com/fr/h29-ig-magazine/231-ig-magazine-3