Akira Yamaoka, le compositeur attitré de la série Silent Hill est depuis le troisième épisode également producteur. Il peut donc imposer sa vision de Silent Hill au-delà de la bande sonore, et transmet sa philosophie également dans les images. Si la musique de Silent Hill premier du nom était clairement bruitiste, composée de schémas répétitifs et d’expérimentations sonores (des enregistrements de pianos ou de batterie passés à l’envers, des percussions métalliques au rythme haché (I’ll Kill For You, My Heaven), un travail sur le larsen (My Justice For You, Not Tomorrow 2), etc...), les bandes sons qui suivront seront de plus en plus mélodiques et mélancolique ; Yamaoka parviendra à créer un univers musical propre et unique à Silent Hill.
La musique bruitiste se développe tout au long du 20ème siècle parmi les artistes futuristes, mais c’est John Cage qui rendra le genre populaire grâce à ses nombreuses expérimentations. Cage, d’abord élève d’Arnold Schönberg (l’homme qui invente la musique dodécaphoniste en 1921 et qui expérimente la musique atonale), devient très vite le musicien le plus important du 20ème siècle. John Cage invente le piano préparé (un piano modifié afin que celui-ci sonne comme une percussion, ou pour que certaines notes vibrent différemment, etc...) et compose des musiques à base de bruit. Intrigué par l’inde et la pratique Zen, il s’intéresse aussi au silence dans la musique et produit des partitions inexpressives. Il ajoute dans la musique les notions de hasard afin d’échapper à la subjectivité et effacer la frontière entre l’art et la vie.
Pour Cage, le silence total n’existe jamais ; en partant de cette idée il compose une partition de 4 minutes 33 secondes (la fameuse pièce 4.33) où aucune note n’est jouée. Exécutée par le pianiste David Tudor (notez le jeu de mot), celui-ci arrive sur scène avec un clavier fermé au début de la partition, qu’il ouvrira à la fin de l’œuvre, avec cette volonté d’être du coté du sacrilège, de l’inversion et du renversement. Durant les 4 minutes 33 de silence, on se rend compte que ce silence n’existe en vérité jamais ; on entend la respiration des spectateurs, des toussotements, des bruits de frottements, etc. Les spectateurs deviennent pendant 4 minutes 33 secondes partie intégrante de la composition. Akira Yamaoka utilise le même processus dans Silent Hill avec une utilisation intrigante du silence. Durant certaines phases de jeu, aucune musique n’est entendue et ce pseudo silence accentue chaque bruit extérieur (bruits de pas, cris de monstres, la radio, etc...). Yamaoka travail aussi beaucoup sur le bruit, qu’il utilise toujours au bon moment afin d’installer un terrible sentiment d’angoisse. Lorsqu’il proposa pour la première fois aux développeurs du jeu une version de Silent Hill avec sa bande son bruitiste implémentée, tout le monde resta silencieux. Ils pensaient tous qu’un bug avait eu lieu et ne comprenaient pas comment la musique de Yamaoka était supposée sonner dans le jeu.
(Article publié dans Gameplay RPG 15)