Même s'il est un studio relativement jeune dans l'histoire du jeu vidéo,
Vanillaware a su rapidement gagner ses lettres de noblesse et le respect des joueurs : entre ses univers féériques et dramatiques, un goût certain pour l'action et une indéniable maestria artistique, le studio de
George Kamitani et ses comparses s'est attiré au fil des ans sympathie et reconnaissance de la part du public (qui pour autant ne lui pardonne pas totalement une certaine répétitivité dans ses jeux). Et même quand le studio d'Osaka se décide à surfer sur la terrible vague des remakes, il le fait avec classe et sérieux :
après avoir offert à Muramasa un portage de toute beauté sur Vita, voilà qu'un beau jour de juillet 2016 le studio annonce qu'il va sortir
Odin Sphere des cartons pour lui offrir une seconde jeunesse.
Odin Sphere, le jeu avec lequel tout a commencé, et avec lequel
Vanillaware lui même avait un problème à résoudre, car à l'époque la
PS2 n'avait pas les épaules pour supporter totalement l'ambition du jeune studio. C'est donc l'heure d'un retour en Erion un peu plus de huit ans après la première incursion, avec cette fois ci l'expérience pour rendre le voyage encore meilleur.
La croisée des chemins
Jadis terre de paix, le continent d'Erion est rongé depuis des années par de multiples conflits opposant les Ases de Ragnanival aux Fées de Ringford. La raison du conflit ? Le Chaudron, puissant artefact laissé par le royaume de Valentine le jour où celui-ci a été mystérieusement rayé de la carte, et qui offre à son possesseur la capacité de manipuler à sa guise les Phozons, la source de la magie de cet univers. Quiconque possède le Chaudron possède le pouvoir de faire plier le monde. Des conflits empilant toujours plus de cadavres jour après jour, et dont le fracas couvre une bien persistante rumeur de fin du monde et des manigances venant aussi bien du monde des vivants que de celui des morts. Et c'est dans cet Erion consumé à petit feu par le chaos que le destin va faire s’entrecroiser les devoirs et les désirs de cinq jeunes gens, qui sans le savoir sont la clé qui permettra à ce monde d'éviter une destruction totale...
Si on devait définir au mieux le scénario d'
Odin Sphere, on pourrait le qualifier comme un croisement entre un opéra utilisé comme toile de fond (
Der Ring de Nibelungen, de Richard Wagner), et le drame shakespearien par sa proportion à ne pas être tendre avec ses acteurs ; un rapport au théâtre / à l'opéra qui n'est pas juste sur le fond mais aussi sur la forme, le jeu découpant sa progression en chapitres et en actes. Linéaire dans sa progression avec l'obligation de boucler le chapitre en cours pour pouvoir passer au suivant, le récit d'
Odin Sphere invite à suivre les destins entrecroisés d'un quintet de personnages : Gwendolyn, la valkyrie fille d'Odin tiraillée entre ses désirs de femme et ses devoirs de fille, Cornelius, le chevaleresque prince de Titania transformé en lapin humanoïde qui fuit les regards tout en cherchant à préserver les siens, Mercedes, princesse des fées écrasée par ses responsabilités et son désir de vengeance à l'encontre d'Odin, Oswald, impitoyable guerrier surnommé le Chevalier des Ombres fatigué de n'être vu que comme un monstre et un outil, et Velvet, princesse déchue de Valentine qui porte la croix des erreurs de sa famille et qui veut empêcher que la tragédie ayant frappé son royaume se reproduise.
Et des destins entrecroisés au sens littéral du terme, puisque même si chaque personnage possède sa propre quête à accomplir, il arrivera que sa route croise celle des autres ou qu'ils se retrouvent liés, sans le savoir ou non, par les actes passés et présents d'une ribambelle de personnages secondaires, mineurs ou majeurs, qui sont tous des rouages indispensables au déroulement d'un récit qui est littéralement un puzzle dont on nous donne régulièrement des pièces et ce jusqu'au point final. On aime ou on aime pas cette méthode de narration, mais pour peu de s'investir un minimum on découvre une histoire plutôt bien menée qui fait progressivement prendre conscience du caractère à la fois dramatique et épique du récit, quelque chose de soutenu par des personnages qui eux aussi se développent, montrent de nouvelles facettes pendant l'aventure, et qui en plus ont droit à un doublage de haute volée quelque soit la langue. Un travail sur les personnages qui se ressent dans la manière de les apprécier ou les détester de plus en plus au fil des chapitres, ou à défaut d'au moins mieux les comprendre (comme Odin, véritable sixième protagoniste du jeu). Et si on est un peu perdu par ce jeu de chassé-croisé des informations,
Leifthrasir offre la possibilité, comme sur
PS2, de consulter un codex permettant de revoir toutes les cinématiques et également la manière dont les scènes se complètent et s'intercalent entre elles. On salue également la présence d'un sous-titrage en français et d'un retravail autour des dialogues, désormais sous forme de bulles. Adieu, blocs de textes qui se baladaient en haut et en bas de l'écran. Le conte était déjà beau en 2008, mais
Vanillaware a su le sublimer dans ce remake.
Fly, Valkyrur !
Sans être d'une difficulté insurmontable, Odin Sphere premier du nom demandait quand même un peu de volonté de la part du joueur à cause d'un système de combat rigide qui s'additionnait à une difficulté en mode yo-yo et de très dommageables ralentissements. Logiquement le point sur lequel Vanillaware se devait de remonter les manches, et très haut si possible.
Première chose et pas des moindres dans ce remake, c'est fluide. Même dans des affrontements riches en animations comme les combats contre Wagner ou l'aéronef nain, Leifthrasir ne plie quasiment pas face au vent et offre un framerate constant durant l'aventure, ce qui, après tout, est la moindre des choses, voire un peu plus, quand on a touché à la version originale, et un framerate qui s'additionne à une bien meilleure réactivité de la part des personnages. La course, les esquives - Muramasa est passé par là ! - , les sauts, tout bouge plus vite et bien mieux donc, mais cette amélioration des combats ne dépend pas que de la technique car le studio a mis les mains dans le cambouis pour refondre et modifier pas mal de petits trucs, histoire de proposer une bien meilleure expérience du combat.
Pour commencer, dites adieu aux trois pauvres capacités qui se battaient en duel car chaque personnage dispose désormais d'une batterie de compétences actives et passives, a améliorer via les phozons récupérés sur le champ de bataille (et c'est désormais leur seule utilité avec la cultivation des graines) et des capacités bonus à débloquer avec des points acquis pendant les level-up, ce qui renforce la 'personnalité' en combat de chaque personnage en plus d'offrir au joueur des choix sur la manière de contrôler ses combattants. Des capacités qu'on peut en plus affecter à des touches de raccourcis histoire de faire pleuvoir les enfers sans interruption sur les adversaires. La barre de puissance, dont dépendait autrefois les personnages pour attaquer, a vu son utilité transformée pour servir de réservoir à certaines capacités des personnages, ce qui n'est pas plus mal vu le rôle restreignant qu'elle occupait auparavant (le personnage pouvait même être étourdi quelques secondes si l'on vidait la barre, du coup il fallait multiplier les fuites / temps d'arrêt le temps qu'elle se re-remplisse !). On peut également citer le fait que tous les personnages peuvent désormais utiliser la garde, quelque chose auparavant réservé à Gwendolyn et Cornelius, et que le système d'alchimie est désormais plus souple : le système de niveau de matériau a sauté, et on peut à présent fabriquer n'importe quel type de potion à n'importe quel moment pour peu d'avoir les ingrédients, mais la potion aura désormais un niveau qui indiquera sa puissance. Un niveau que l'on pourra augmenter, et dont on pourra, même en cours de route, manipuler la composition même de la potion : vous avez récupéré un antidote de niveau 8 dont vous n'avez pas l'utilité ? jetez-y quelques mandragores pour la transformer en potion de soin ou en potion générant un tourbillon glacé.
Bref, plus qu'un coup de peinture, c'est carrément une reconstruction des bases qui a été faite à ce niveau pour mieux desservir le joueur et placer l'action dans une frénésie non-stop, et rien que pour ça Leifthrasir est 100 fois meilleur que l'original. Seulement l'action non-stop c'est bien, mais il faut aussi de quoi se passer les nerfs et c'est pourquoi le camp d'en face a lui aussi eu droit à quelques modifications comme l'apparition de nouveaux boss, la modification du déroulement de certains combats ou la possibilité pour les adversaires d'utiliser des potions. Le souci, c'est qu'on s’aperçoit vite que ces ajouts pèsent finalement peu en contrepartie de ce qui a été offert directement au joueur, et c'est pire de voir que certaines innovations vont, là aussi, aller uniquement dans son sens : par exemple il y a un nouveau système de barre de vies secondaires pour les boss, et quand la principale sera vidée cela sera à la fois synonyme d'un KO temporaire du boss (histoire qu'une barre secondaire re-remplisse la principale), mais aussi synonyme d'un lâché de phozons et de quelques objets et potions. On vous laisse souffler quelques secondes et en plus on vous offre de quoi recharger les batteries, que demande le peuple ?
Bien sûr, il serait exagéré de dire que tout est servi sur un plateau car les ennemis colleront une bonne rouste à ceux les prenant à la légère, mais exploiter correctement les possibilités offertes permet de totalement occulter l'écran de game-over. Disons le franchement le jeu est bien plus facile que sur PS2, ce qui va renforcer le défaut majeur de Odin Sphere : sa répétitivité. En tout et pour tout le jeu va offrir six environnements différents et un bestiaire rachitique, et ceux-ci seront ré-exploités jusqu'à l’écœurement durant toute l'aventure et avec extrêmement peu de variations dans les mouvements des ennemis. Même certains boss du chapitre final sont affrontés une première fois durant les chapitres des personnages ! Bien plus que dans n'importe quel autre jeu, la découverte laisse très, très vite place à la routine puis à la lassitude. Difficile de blâmer ceux étant sévères avec le titre ou abandonnant le jeu à cause de cet élément.
Erion mon amour
Niveau structure, le jeu reprend point par point les bases de son ainé : de la tchatche pour ouvrir un chapitre, de l'action avec un boss pour conclure cette phase, de la tchatche et on passe au chapitre suivant, et chaque chapitre se déroule sur une seule et unique carte divisée en un grand nombres de salles à visiter. Largement remaniée dans ce remake, cette carte est désormais plus structurée, mixant salles circulaires à l'ancienne avec de nouvelles salles qui elles sont rectilignes, et les récompenses et trésors sont désormais affichés pour peu d'avoir acheté la carte du niveau en cours auprès d'un marchand. Taquin, Vanillaware a aussi inclus des zones dissimulées ou demandant des conditions particulières d'accès histoire de ne pas non plus totalement placer le joueur en situation d'assistanat. On a droit à des zones de repos dans lesquelles on trouve un coffre afin d'entreposer des objets, et des checkpoints sont disposés ici et là pour faciliter la navigation si l'on devait quitter le chapitre en cours. De plus, il est possible de rejouer des épisodes et des combats précédemment bouclés, il n'y a donc virtuellement rien de ratable dans le jeu. Progresser dans le jeu est ainsi beaucoup plus clair et confortable que par le passé.
Très attaché au domaine culinaire, le développeur a fait de la nourriture un élément central de gameplay dans la plupart de ses productions, et c'est un cri d'horreur que l'on pousse quand on repense à ce que Odin Sphere premier du nom nous avait servi. La finalité reste la même, à savoir que manger est le meilleur moyen de faire gagner en expérience son personnage, la différence vient maintenant du fait que chaque plat augmente le total de HP. Avant, c'était lié au gain de niveau. Le village Pooka est toujours de la partie, mais cette fois il n'accepte que les pièces à collectionner (argent d'Ariel, Or de Valentine et pièces commémoratives), les ingrédients eux sont désormais l'affaire de Maury, nouveau personnage qui est un cuisiner itinérant pouvant être appelé dans les zones de repos qui s'offre le luxe d'appliquer des bonus d'expérience sur les repas ; au passage tant qu'on parle de pièces, l'affreux système de change de la version PS2 a été mis à la poubelle ! Pièces à collectionner pour la cuisine Pooka, une seule monnaie pour l'achat / vente aux marchands, tout est bien mieux ainsi. Le système de plantage/récolte d'ingrédients a été amélioré de la même manière que celui d'ingurgitation d'encas via le menu, on peut désormais utiliser plusieurs éléments en une seule fois et, surtout, on peut désormais puiser dans notre propre capital de phozons pour faire grandir les plantes. Précédemment, il fallait obligatoirement passer par le menu autant de fois qu'on avait d'objets à consommer, pour les plantes il fallait se débrouiller pour que les morts des ennemis se fassent aux alentours des plantes pour qu'elles grandissent, et tout ça était LOURD. Et tant qu'on parle du menu, citons l'interface en générale qui a été retapée de bout en bout et qui est plus claire, plus simple, plus propre. Notamment l'inventaire en combat, qui n'est plus un immense bordel mais un joli inventaire circulaire ou chaque famille d'objet à son onglet. Tout est bien mieux ainsi, et à l'exception du système d'échange d'objets entre les personnages (qui nécessite de reeeepasser à chaque fois par le grenier), c'est un quasi-sans faute sur la refonte de l'ergonomie et des mécaniques de level-up.
L'art de la fin du monde
Orgie visuelle, bonbon pour les yeux, peintures qui bougent, les expressions enjouées et autres superlatifs artistiques reviennent systématiquement à chaque fois que
Vanillaware, amoureux devant l'éternel de la 2D, produit un titre, et
Odin Sphere Leifthrasir n'y fera pas exception, c'est beau. Sacrément beau. Le titre avait collé une baffe de la main gauche en 2008 et recommence avec la droite aujourd'hui, surtout que le studio ne s'est pas contenté de juste resservir la même soupe : les effets graphiques ont été revus, les animations des personnages - alliés comme ennemis - ont été retravaillées, les décors sont plus flamboyants que jamais et fourmillent d'encore plus de détails. Le souci du détail a même été jusqu'aux écrans de chargement. C'est pas un amour du travail bien fait ça peut être ? La bande-son d'
Hitoshi Sakimoto n'est pas en reste car elle a été remasterisée dans les règles de l'art en plus de voir de nouvelles pistes débarquer (
QUE 28 pistes en réalité, du travail de petits bras !) , et même si on en aura pas un grand souvenir une fois l'aventure finie, elle se marie de manière quasi-parfaite au caractère épique, dramatique et romantique de l'aventure.
Comptez une bonne trentaine d'heures pour voir le bout de l'aventure, avec éventuellement un New Game + à exploiter et un nouveau mode de difficulté (ou les HP sont fixés à 200) si le cœur vous en dit. Un mode Boss Rush a également été implanté (accessible une fois le jeu fini) et, ultime cadeau du studio, la version d'origine du jeu est également jouable. Histoire de se dire une nouvelle fois que les mecs de chez
Vanillaware sont cools et aussi de voir qu'on vient quand même de très loin niveau ergonomie et plaisir de jeu.
Comme ça été dit dans l'intro, Vanillaware est un studio qui ne peut que s'attirer sympathie et reconnaissance, en dépit des qualités et défauts de ses jeux, car le studio transpire l'amour du jeu et du travail bien fait. Odin Sphere Leifthrasir, bien plus qu'un simple remake facile, est une véritable refonte du matériau de base, dont certains devraient en prendre de la graine, et qui force le respect tant la liste des modifications et des ajustements est conséquente et tant le résultat est réussi. Le jeu garde cependant la terrible redondance liée à sa structure qui avait déjà fait peur à pas mal de monde par le passé, et même si il est difficile de nier que Leifthrasir supplante son ainé, on ne peut pas non plus nier qu'il est bien plus facile (ou accessible, c'est vous qui voyez) que par le passé. Quoiqu'il arrive c'est une Renaissance avec un grand R que le studio offre à Odin Sphere.
22/01/2017
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- L'art de faire un remake
- C'est beau et c'est fluide
- Le récit narré façon 'croisée des destins'
- Une localisation au top
- Des personnages attachants
- Un système de combat/de personnalisation plus poussé et plus jouissif
- Toutes les retouches liées à l'ergonomie
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- Une certaine linéarité, et surtout une SACRE REDONDANCE
- Le système d'échange entre personnages, lourd ergonomiquement (et bizarre, narrativement parlant)
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TECHNIQUE 5/5
BANDE SON 4/5
SCENARIO 4/5
DUREE DE VIE 3.5/5
GAMEPLAY 4/5
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