Drôle de mariage ! C'est la première réaction que j'ai eue envers Persona Q: Shadow of the Labyrinth. Pourquoi ?
Prenez deux séries majeures d'Atlus du moment , bien différentes : Etrian Odyssey et Persona. Mélangez-les, et vous obtenez Persona Q. En regardant bien, il y a 20 ans, quand le premier Persona est sorti, il n'était pas si différent de cette combinaison, du moins en surface : beaucoup d'exploration de donjons et très peu d'activités extracurriculaires.
Est-ce donc un retour aux sources ou bien une tentative de créer quelque chose de nouveau ?
Because Destiny Says So
Soyons clair, Persona Q se démarque des jeux qui composent son ADN.
Oui, le titre se joue essentiellement à la manière des Etrian Odyssey dont le design est inspiré par les RPG classiques PC des années 80 : vous déambulez dans des dizaines de labyrinthes complexes, les explorant et les fouillant case-par-case en vue subjective, et tracez manuellement la carte des donjons grâce à l'écran du bas de la 3DS qui constitue un papier quadrillé prévu à cet effet. Vous êtes constamment à la recherche de passages secrets qui créent des raccourcis, indispensables à la progression car les aller-retours sont fréquents, étant donné la taille très limitée de l'inventaire. Vous récoltez des matériaux pour fabriquer des objets et gagner de l'argent. Vous faites de votre mieux pour éviter les créatures puissantes connues sous le nom de F.O.E. qui patrouillent les labyrinthes, et enfin atteignez les escaliers vers l'étage suivant.
Alors que les Etrian Odyssey - même les plus accessibles - sont dédiés aux joueurs inconditionnels, ceux pour qui le challenge importe plus que l'histoire, Persona Q semble plus attirant, même au niveau de difficulté le plus élevé (il y en a 5). C'est un D-RPG centré sur les personnages et qui est bien plus accessible que Etrian Odyssey Untold qui a tenté de revisiter le premier épisode en inondant le jeu avec des clichés et des dialogues débiles et inintéressants.
Les liens avec les Persona imprègnent le jeu à tous les niveaux, partant de l'aspect visuel des donjons jusqu'au rôle important que le casting massif de Persona 3 et 4 joue. Les traditionnels et archaïques Etrian Odyssey n'ont jamais eu de donjon aux couleurs rose-bonbon placé sous le thème de rendez-vous galants romantiques, et même Untold qui était de loin le plus bavard de la série ne proposait pas de longues conversations à chaque virage et impasse. Il faut croire qu'il y a un public friand de ce genre de détails.
Bribing Your Way to Victory
Donc, malgré les mécanismes du jeu qui empruntent beaucoup à la série Etrian Odyssey, le titre reste tourné vers le public des Persona modernes avant tout, avec ce que cela implique.
Bien qu'il laisse de côté les Social Links et privilégie un simple système de hub et donjons plutôt qu'une histoire qui accompagne le joueur durant une année scolaire, le titre reste un Persona pur jus, où les acteurs de Persona 3 et 4 se rencontrent assez tôt. En résulte une grande quantité d'interactions et de conversations qui relèvent du niveau de fan-fiction avec du méta-humour débile et bien assumé.
N'importe qui ayant joué à Persona 4 Arena sait que cette série a tendance à ajouter une immense quantité de dialogues à un genre traditionnellement succinct. C'est bien le cas ici malheureusement. Persona Q contient bien plus de dialogues au premier étage du premier donjon que dans Etrian Odyssey premier du nom en entier, et ça ne se calme jamais durant tout le jeu.
La plaisanterie incessante peut devenir fatigante si le joueur n'a aucun investissement émotionnel dans les castings de Persona 3 et 4. Et même si c'est le cas, on atteint la limite du supportable parfois.
Un joueur aguerri d'Etrian Odyssey sans bien connaître les Persona peut voir ça avec curiosité, découvrant les personnages. Ce qui rend le tout plus agréable est sans doute le tour de force au niveau de la localisation du titre dans les traditions des grosses productions récentes d'Atlus comme Shin Megami Tensei IV. C'est drôle, décalé, bien écrit et parfois chaleureux. Les dialogues des personnages inhumains (les habitants de la Velvet Room, Aigis, les nouveaux Zen et Rei) sont souvent les plus intéressants, mais le script arrive habilement à faire du grand nombre de personnages un groupe bigarré d'individus, malgré l'existence de pas mal de chevauchements au niveau des personnalités.
Power of the Wild Card
Persona Q s'assume complètement. C'est un dungeon crawler pur et dur dans lequel le joueur passe du temps à explorer le moindre recoin des donjons, faire des aller-retours fréquemment pour vider son stock de matériaux et se réapprovisionner. Le tout est noyé dans une quantité astronomique de texte et du fan service. Le jeu ne prétend jamais être autre chose. Les personnages déplorent sans arrêt la taille des donjons, paniquent à chaque fois qu'ils détectent un F.O.E. et profitent du moindre événement pour raconter des blagues. Le jeu lui-même se tourne en dérision. Le second donjon par exemple se base sur un événement culturel de Persona 4 et les S-Links.
Un des points forts de Persona Q se trouve dans l'exploitation des deux licences à son origine. Si la customisation et les classes d'Etrian Odyssey n'ont pas leur place ici, les personas comblent ce trou de manière remarquable, allant jusqu'à reprendre une partie des skills d'Etrian Odyssey IV, permettant d'imiter certaines classes de ce dernier.
Chaque personnage a un persona principal que l'on ne peut pas modifier, mais il peut équiper un persona secondaire qui lui donne un buff en HP et SP en plus de nouvelles compétences. En plus, le persona principal dispose de 4 cases de compétences que le joueur peut modifier comme bon lui semble.
Il y a un détail très important à prendre en compte : le bonus en HP et SP procuré par les Personas secondaires est une "réserve" qui se recharge à chaque combat, ce qui influence pas mal la gestion de ces points. Mis à part leurs aptitudes innées, le choix des personnages qui participent au combat revient donc aux préférences de chacun. Les règles de jeu des Persona convient tellement bien à un D-RPG.
En dehors des donjons, le jeu est structuré exactement comme un Etrian Odyssey avec un hub qui contient entre autres une boutique où le joueur peut et doit revendre les matières premières contre du cash pour fabriquer de nouvelles pièces d'équipement nécessaires à la progression.
Demonic Possession
Comme toujours dans les Persona, il est important de connaître les faiblesses d'un ennemi. Un personnage qui touche une faiblesse ou arrive à faire un coup critique entre en mode "boost", ce qui lui permet d'agir avant tout le monde le tour suivant avec un coût nul quelle que soit la compétence utilisée. Vu le coût élevé de la plupart des compétences comparé à la quantité de SP que chaque personnage possède, exploiter le boost est important au début pour espérer avoir une endurance dans les donjons et les combats contre les boss et autres F.O.E. Sans les avantages du boost, les personnages se retrouvent rapidement en pénurie de SP et n'hésitent pas à le faire savoir en se plaignant sans arrêt, jusqu'à ce qu'ils se reposent à l'infirmerie qui permet de récupérer ses HP et SP.
Les compétences les plus puissantes demandent tellement de SP qu'elles ne sont quasiment pas utilisables sans le boost. Prenez par exemple Chie. Elle a une compétence qui lui permet de tripler la puissance de sa prochaine attaque physique. Ça marche très bien avec une autre attaque qui frappe 5 fois, ce qui donne une puissance en théorie 15 fois plus puissante en 2 tours. Le problème ? La technique de buff en question coûte plus de SP que ce que Chie peut avoir, ce qui rendait son utilisation impossible sans le passage par la case du boost.
Bien que le système de boost puisse paraître carrément déséquilibrant pour le jeu, il y a un hic. Vous découvrirez rapidement qu'il y a des limites. En effet si le personnage en mode boost prend des dégâts, son boost est annulé. Quand vous atteignez le troisième donjon, des ennemis avec une agilité limitée commencent à avoir une tendance fâcheuse à balancer des sorts qui frappent tout le monde, ce qui signifie qu'ils frappent en dernier, annulant tout boost qui a été activé. Les personnages lents comme Kanji ou Shinjiro par exemple tireront le plus profit du boost, comme ils ont plus de chance de frapper après tout le monde, et frapper en premier le tour suivant en mode boost. C'est à ce moment-là aussi que les ennemis commencent à avoir des attaques de plus en plus vicieuses et les F.O.E. qui poursuivent le joueur n'hésitent pas à s'inviter dans les combats aléatoires.
Ce qui déséquilibre vraiment le jeu en revanche, ce sont les sorts de mort instantanée du type Hama/Mudo car ils ne coûtent pas cher et ont une grande probabilité de réussite. Bien utilisés dans les combats aléatoires, ça permet de les expédier rapidement.
Persona Q met un peu plus de temps que les Etrian Odyssey avant de montrer son vrai visage, mais la source reste la même.
A Persona Odyssey
Bien entendu, les membres de l'équipe sont bien armés pour contrer les dangers des donjons grâce aux Personas. Ces derniers sont gagnés de la même façon que dans Persona 3 et 4, i.e. sous forme de cartes de tarot qui apparaissent à la fin des combats. Les batailles contre les F.O.E. font gagner des Personas de haut niveau. Comme toujours, il est possible de fusionner les Personas pour en obtenir de nouveaux plus puissants, tout en héritant de certaines compétences des parents. Des limitations assez strictes ont été introduites à ce niveau au passage, ce qui est une bonne chose pour éviter de créer facilement des monstres en puissance.
Autre détail important à signaler : il est possible de personnaliser 4 slots de compétences du Persona principal d'un personnage, qui on le rappelle n'est pas échangeable, ce qui nous amène à un nombre total de 14 compétences qu'un personnage peut avoir sous la main : 4 fixes et 4 personnalisables du persona principal, plus 6 du persona secondaire. En plus, chaque Persona est capable d'apprendre un jeu équilibré de compétences par lui-même et n'a souvent pas besoin d'en hériter.
Malgré tout, il est souvent difficile de se séparer d'un Persona pour en créer un nouveau. Est-ce qu'il vaut mieux garder l'équilibre établi par l'équipe actuelle qui a les aptitudes voulues qui marchent, ou bien prendre le risque de tout bouleverser pour acquérir de nouveaux pouvoirs ? Bien entendu, il est toujours possible de récupérer son Persona favori enregistré au préalable, grâce au compendium si vous êtes prêt à payer un prix souvent élevé.
Le fait que maintenant tous les membres de l'équipe ont des sous-Personas échangeables multiplie les possibilités et rend d'autant plus important le fait de savoir vers où orienter chaque personnage.
Les musiques aussi ont bénéficié de ce mélange entre les styles et pas moins de 4 compositeurs ont participé à la fête. Tout le monde n'aimera pas forcément le thème de combat bizarre qui constitue un mélange de rock et de rap avec des voix par dessus mais ça reste très varié. Entre le style zen des thèmes des donjons d'Etrian Odyssey, les musiques de combat pop-rock-rap des Persona et autres remixes bien connus des fans, il y en a pour tout le monde. On retrouve même Yuzu Koshiro qui a participé à la bande-son.
L'interface des menus est stylée comme d'habitude mais souvent confuse et pas très pratique. On finit par s'y habituer mais c'est vraiment dommage quand on voit le soin apporté au niveau du design. Ces défauts existaient déjà dans Persona 4 mais ici les menus sont plus complexes ce qui fait que ça devient plus gênant.
Graphiquement Persona Q affiche une direction artistique stylisée et très criarde qui est assez impressionnante pour la 3DS.
Cross Over
Quelque part, Persona Q me rappelle Chrono Trigger. Les deux jeux n'ont rien à voir bien entendu au niveau du gameplay ou de l'univers. Mais tout comme Chrono Trigger a réussi à marier deux grandes séries de RPG complètement différentes (Final Fantasy et Dragon Quest) en combinant leurs points forts pour créer une nouvelle œuvre unique, Persona Q a unifié les meilleurs atouts des deux séries principales du moment d'Atlus pour créer quelque chose de nouveau qui fonctionne à merveille. Le résultat est très fidèle mais transpire aussi le produit frais et original.
C'est au niveau des différences entre Persona Q et Etrian Odyssey que ce crossover brille réellement. Par exemple, malgré le fait d'être le sixième jeu qui contient des F.O.E., ceux qui sont présents ici sont très différents de ceux que l'on a l'habitude de voir dans les jeux précédents, forçant le joueur à trouver une technique d'infiltration différente pour éviter chaque F.O.E. Les quêtes annexes sont plus variées et tournent moins autour du fait de chasser tel ou tel monstre pour récupérer des matériaux nécessaires à la fabrication des équipements. Ici, c'est plus orienté vers les personnages et certaines quêtes sont du pur Visual Novel.
Alors à qui s'adresse Persona Q ? Pour les joueurs qui connaissent les Persona mais n'ont jamais essayé Etrian Odyssey, c'est une sorte d'examen de passage, mais en même temps le jeu est parfait pour débuter. C'est très accessible et je conseille de le faire au niveau de difficulté maximum pour avoir un minimum de challenge. Les développeurs ont tout fait pour plaire aux deux publics comme la possibilité de désactiver les animations durant les combats pour les accélérer. Cela reste malgré tout un Persona moderne dans l'âme, même niveau durée de vie, puisqu'elle dépasse ici les 80 heures, rien que pour boucler le jeu.
Atlus a construit Persona Q à partir d'éléments bien connus, et pourtant le jeu arrive malgré tout à se distinguer comme une différente approche intéressante à partir de deux séries familières.
Ceci dit, on doit admettre que les deux séries ont été tellement visitées durant la dernière décennie qu'une lassitude s'est sans doute installée. Je peux aussi comprendre que passer plus de 50 heures à cartographier des donjons peut s'avérer rébarbatif, surtout si vous avez déjà fait les deux derniers Etrian Odyssey sortis sur 3DS il y a 2 ans. Revoir encore une fois les protagonistes de Persona 4 peu de temps après la sortie de Persona 4 Arena Ultimax n'est pas non plus très excitant.
Malgré tout, le jeu mérite le détour, surtout pour les gens qui trouvent le concept des Etrian Odyssey intrigant mais qui n'y ont jamais touché, rebutés par son aspect archaïque et trop hardcore. Toutes ces petites choses combinées vous feront vivre une grande aventure gratifiante dans un D-RPG passionnant jusqu'au bout.
Persona Q: Shadow of the Labyrinth est le genre de jeu qui aurait pu facilement mal tourner. Dès le départ les développeurs ont lourdement insisté sur le coté fan service qui gâche pas mal le tout, mais c'est le seul véritable défaut du titre. Si Persona Q emprunte beaucoup d'éléments de gameplay d'Etrian Odyssey, il en résulte une aventure riche, divertissante et surtout passionnante qui ressemble plus à un nouvel épisode de la série Persona avec toute la partie gameplay tirée largement vers le haut grâce à l'apport ô combien gratifiant d'Etrian Odyssey.
Bien qu'il faille admettre que ce sont les amateurs des deux séries qui profiteront le plus de ce crossover, cette aventure complexe est un excellent RPG autonome.
28/04/2015
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- Une combinaison réussie
- Gameplay passionnant
- Système de combat très stratégique
- Un dungeon crawler ambitieux
- Musiques agréables et assez variées
- Character design mignon
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- L'histoire pas très engageante
- Trop de dialogues débiles
- Menus peu pratiques
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TECHNIQUE 3.5/5
BANDE SON 4/5
SCENARIO 1.5/5
DUREE DE VIE 4.5/5
GAMEPLAY 4.5/5
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