Entre les séances de débug et la propagande massive d'un Final Fantasy XV à la sortie imminente depuis bien 5 ans, qui concentraient toutes ses forces vives, Square Enix a poursuivi en 2016 sa campagne de restauration de vieilles IP. Argent facile ou volonté louable de les mettre à disposition du plus grand nombre, chacun sera juge, mais si cela permet aux joueurs francophones de découvrir l'Histoire d'une saga culte comment leur reprocher ? Après les opus SNES et avant le huitième, c'est Dragon Quest VII qui s'offrait l'année dernière un petit ravalement de façade.
Rhythm and prejudice
Quintessence de la série pour les uns (il est longtemps resté la plus grosse vente internationale parmi les
DraQue), anecdotique pour les autres,
Dragon Quest VII a souvent divisé les opinions. La faute à un rythme narratif assez inégal, à une sortie mal gérée - le jeu Playstation a initialement débarqué après l'arrivée de la PS2, un vrai faux-pas - mais surtout à l'image vieillotte que se coltine l'une des plus anciennes et conservatrices sagas du JRPG. Pour tout dire, j'avais moi-même assez peu de souvenirs du Dragon Warrior VII américain et encore moins de bons.
Il faut dire qu'à l'époque le jeu ne faisait techniquement pas le poids face à la concurrence, Final Fantasy et son neuvième épisode en tête. Pas de cinématiques de haute volée, des personnages en simples sprites dans un monde en 3D à peine mieux modélisée que sur Super Nintendo, et toujours le même menu blanc sur noir austère présent depuis les tout premiers épisodes. Clairement de nature à repousser l'acheteur égaré dans une série qu'il ne connait pas déjà, qui plus est quand le rythme de la narration s'avère aussi lent ; croyez-le ou non, il faut bien une heure et demi avant de croiser le moindre monstre à combattre. Si le scénario rend cette particularité naturelle, cela plombe irrémédiablement l'appréciation qu'on a du jeu. Pire, le système de Vocations qui fait ici son retour et joue pour une bonne part dans l’intérêt du gameplay du jeu met entre quinze et vingt longues heures avant de pointer le bout de son nez, cette fois-ci sans aucune circonstance atténuante.
Avec le recul, ces critiques restent fondées mais sont à relativiser. Les remises à niveau graphique et la traduction française consenties par ce remake 3DS permettent de faire abstraction du handicap initial du jeu. Et bien qu'on déplore
l'absence de musiques orchestrales le résultat est dans la lignée des divers remakes d'anciennes gloires sur consoles portables. Surtout, c'est une fois mis de côté cet aspect - somme toute futile pour juger la qualité réelle d'un jeu - qu'on peut apprécier ce que Dragon Quest VII avait réellement à offrir.
Gotta save them all
On dit souvent que les DraQue cultivent l'immobilisme. C'est une illusion basée sur la seule vision graphique et mécanique qu'en a une partie du public. Pourtant, à l'opposé de cette vue de l'esprit, chaque épisode a choisi une façon particulière et originale de raconter son histoire. Bien sûr, cela reste une équipe de héros classique, pleine de clichés, combattant le mal. Mais des poupées russes que sont la première trilogie vieillotte aux générations successives de l'excellent Vème opus en passant par le chapitrage convergeant du IV, il n'y en a pas deux similaires. Le septième n'échappe évidemment pas à la règle, et voici ce qu'il a choisi.
La vie est simple sur une petite île au milieu de l'océan. La tranquille bourgade de X vit de la pêche sous la bienveillante houlette du royaume mitoyen - seule ville en vue - qui s'occupe de faire régner l'ordre. Non pas qu'ils aient tant de boulot, car la terre que foule tout ce petit monde est apparemment la seule. D'aussi loin que se souviennent les anciens, aucune expédition maritime n'a décelé âme qui vive à l'horizon, ni croisé le moindre monstre. Pas facile pour les jeunes avides d'aventure de trouver de l'épique dans cette vie pépère, si bien que notre héros, tout de vert vêtu et encapuchonné (toute ressemblance avec une autre licence serait purement fortuite), n'a d'autre espérance dans la vie que de reprendre le job de marin de son paternel, tout comme son ami le prince Kiefer, qui est l’héritier en lice de son roi de père. Cela ne les empêche pas de jouer à la chasse au trésor dans les ruines environnantes, au grand dam de Maribel, la tsundere de service au caractère désastreux. C'est en tout cas au cours d'une de ces expéditions qu'ils se retrouvent transportés vers une contrée inconnue, où le ciel est noir et où des monstres terrorisent une bourgade. Ni une ni deux, nos héros en devenir sautent sur l'occasion d'accomplir enfin un haut fait en éliminant la source du mal et regagnent leur pénates par le portail dimensionnel, en possession d'une sorte de fragment de carte. Mais que s'est-il donc passé ? Le postulat de départ de Dragon Quest VII est simple : plusieurs siècles en arrière, Dieu et le Roi du mal se sont affrontés, et leur combat titanesque s'est soldé par un match nul ; Dieu est mort et son Némésis a perdu ses pouvoirs, disparaissant non sans un dernier méfait : toutes les contrées du monde connu (ou presque) furent assaillies par ses sbires à un moment de leur histoire, si bien qu'elles ont été purement rayées du présent. Charge nous est laissée de se rendre dans le passé pour supprimer la funeste cause et redonner au monde son éclat.
La particularité de DQVII est le développement des personnages et leur histoire assez faible et simpliste, car le script tourne d'abord et avant tout autour de chaque fragment du passé oublié. L'histoire de chaque partie d'île est au contraire bien détaillée, avec nombre de personnages et de rebondissements, et tient dans la durée : une fois une ville sauvée du joug du malin, la voilà qui réapparait dans le présent et on se plait à contempler les fruits de notre labeur. Alors oui, cette façon de faire est dommageable pour l'attachement qu'on porte à nos personnages, mais on finit par s'y faire. Cela peut être dur à expliquer à quelqu'un qui n'aurait pas déjà lancé le jeu, mais la relation qu'on tisse avec les personnages non-joueurs - le jeu est très long -, leur histoire parfois touchante ou leur avenir incertain fait beaucoup pour le caractère du jeu.
Le scénario n'est en effet pas si mielleux qu'on pourrait le croire. Acerbe avec la notion de religion aveugle (comprendre : monothéiste) tout au long du jeu, souvent cruelle avec les habitants au point de décimer des villes entières, l'histoire se résout bien souvent sur des conclusions douces-amères voire carrément pessimistes. Quand le mal n'est vaincu qu'au prix de nombreuses vies, quand les amants destinés se retrouvent cruellement séparés pour le bien du fil du temps, ou que la cruauté et la vanité humaine remontent à la surface, voilà le type de résolutions auquel il faudra s'attendre. On a fait plus gai comme conte de fées. Dragon Quest VII tient finalement plus de la fable brute et moralisatrice à la Perrault, Andersen ou Grimm, que du conte Disney béat dont raffolent nos têtes blondes. Ce n'est, contrairement aux apparences, pas un jeu pour gamins.
Les limites de la méthode
En mettant ces petites histoires sur le devant de la scène, DQVII crée donc une dynamique originale car très différente de l'habitude. L'aventure multiplie les intrigues et les relations, oblige, à chaque village, à réapprendre à connaitre les personnages importants, et le tout peut, de fait, sembler long. Très long (une centaine d'heures pour tout faire). Trop long même. Arrive un moment où l'on perçoit les nombreuses limites du concept. En premier lieu, puisque l'accent est mis sur le monde, on en vient à délaisser les personnages de l'équipe en comparaison, dont l'évolution est finalement minime et la fonction simpliste : celle d'un groupe de héros ballottés par leur fardeau plus que maitres de leurs mouvements. Parmi eux, seuls le prince bénéficie d'un coup de projecteur passager, et Maribel se chargera de la presque totalité des réactions parlées, au point d'en devenir vite horripilante du fait de son caractère de cochon. A côté de ça, le Heros, comme toujours anonyme et muet, se trimballe son air benêt d'un bout à l'autre, Raff a le QI de l'enfant perdu qu'il est, et les autres sont du même tonneau : archétypaux et unidimensionnels. Non, les relations qu'on tisse avec nos personnages joueurs ne sont pas des plus intéressantes.
Du point de vue mécanique, c'est le rythme qui en prend un coup. Obligeant à des allers-retours incessants entre les villes et les époques pour dérouler sa trame, à parler à tous les PNJ importants avant de s'en aller pour débloquer un évènement crucial ou obtenir un fragment de carte. Le scénario en joue d'ailleurs, parfois très drôle par ses running gags ; mais le reste du temps, le système s'avère surtout lourd et confine au remplissage vain. Par ailleurs, si le jeu peut sembler de prime abord plus libre que d'ordinaire eu égard aux fragments à récolter pour ouvrir de nouvelles zones, visitables à loisir, ça n'est qu'une illusion : il est au contraire totalement linéaire, tous les fragments sont obligatoires, et s'il est possible de visiter deux ou trois zones dans l'ordre qu'on veut il faudra de toutes façons passer par les trois chemins pour continuer la route. Le comble, c'est de penser parfois avoir trouvé une quête ou discussion facultative pour finalement s’apercevoir qu'on n'aurait pas pu faire sans. Peu de logique ou de réflexion sont laissées à l'appréciation du joueur, et cela pourrait être un handicap tant les conditions pour débloquer une pièce du puzzle sont drastiques (par exemple, parler à divers PNJ jusqu'à débloquer un dialogue manquant). En fin de compte, ce n'est pas un mal que le remake intègre des indices sur la position des prochains fragments, à la fois dans l'interface graphique et au sein du menu. Cette amélioration d'ergonomie est moins frustrante que dans l'original.
Enfin, c'est sur le character design que rejaillit le choix scénaristique, car les sprites des personnages non-joueurs sont réutilisées de ville en ville et d'époque en époque. Certes, après trois décennies, le style Toriyama bien connu et codifié fait partie des meubles de la série d'Enix. L'apparence du "vieux" est donc la même depuis des lustres et on ne s'en formalise pas. Mais s'il est plutôt marrant de constater qu'entre passé et futur les descendants ont bien souvent la même tronche que leurs aïeuls respectifs, et que les villes conservent stricto sensu les mêmes personnages et infrastructures - à deux-trois exceptions notables - la réutilisation à outrance ressemble vite à des limites techniques, ou des facilités de développement. A force de croiser du début à la fin des vieillards - sages, maires de village, quidams - au crâne lisse et barbe blanche , portant les mêmes nippes et le même bâton miteux, on finit par s'en lasser. Bref, la forme adoptée est louable mais ne se fait pas sans heurts, et le constat s'applique également aux systèmes de jeu.
La voie qui déraille
Rien n'a fondamentalement bougé côté combats depuis les prémices de la série. A la fois force nostalgique et handicap pour fédérer un nouveau public, ils demeurent au tour par tour, l'équipe faisant face aux ennemis à frapper en solitaire, par groupes ou sur l'entière horde sauvage selon l'arme ou le sortilège utilisé. Et si l'expérience du personnage rejaillit toujours sur ses caractéristiques et lui permet de gagner quelques techniques de base, c'est surtout sa classe qui donne de l'épaisseur à un système autrement bien terne.
Comme Final Fantasy a ses Jobs, sa grande sœur d'Enix a les Vocations. Présentes par intermittence depuis le troisième épisode, il s'agit d'un ensemble de classes (Guerrier, Mage et compagnie) que les personnages peuvent endosser en se rendant dans un certain temple. Dans Fragments of Forgotten Past, celui-ci n'apparait qu'après une bonne quinzaine d'heures au bas mot, ce qui est très long pour une fonctionnalité cruciale sans laquelle les combats manquent cruellement de mordant. Mais une fois disponible, cette couche de techniques thématiques, sorts et modifications de stats se superpose aux qualités innées des membres de l'équipe. Ce n'est donc plus le seul niveau d'expérience qui fait le potentiel, mais surtout leur curriculum vitae : en évoluant dans la vocation de Sorcier puis de Prêtre, il pourra peut-être devenir un Sage capable de lancer tant les sorts de soin que les magies noires, puis embrayer sur les chorégraphies et autres skills de soutien propres aux danseurs. Le système se pense donc sur le long terme, et il faudra composer un moment avec des classes faiblardes pour espérer atteindre le rang de Héros ou Champion. On trouve un peu de tout, des guerriers de base aux classes plus utilitaires et farfelues, et même si certains personnages font de meilleurs spécialistes que d'autres dans leur domaine de prédilection, la flexibilité est là ; ou peut-être devrais-je plutôt utiliser le conditionnel ?
Car contrairement à l'originale, la version 3DS ne conserve plus les techniques acquises en cas de changement de vocation. Passez de Mage à Guerrier et vous perdrez la presque totalité de vos sorts jusqu'à passer Armagicien, évolution logique des deux branches. En théorie, l'intention est compréhensible, éviter d'obtenir des personnages omnipotents à même de rouler sur le jeu. En pratique, c'est beaucoup moins clair, d'autant que cela ne fait que décaler l'inévitable tant certaines skills sont puissantes. Une efficacité toute relative donc, mais qui entraîne en plus un effet pervers : puisque le système oblige à changer régulièrement de vocations pour améliorer son équipe sur le long terme, le joueur n'a jamais la possibilité de goûter le fruit de son labeur. Dès lors qu'une "classe" est maîtrisée, il est nécessaire de passer à une suivante sans avoir le luxe de profiter des techniques nouvellement acquises, ce qui entrave la nécessaire impression d'évolution si importante dans le processus d'attachement à un RPG.
J'étais mauvaise langue plus haut en disant que les techniques n'étaient pas conservées. Il existe en effet un moyen - laborieux - d'obtenir des skills peu conventionnelles et de les garder peu importe la vocation. Il faut pour cela avoir la chance de gagner le cœur d'un monstre, en lui lançant des œillades appuyées en combat, ou plus simplement dans un coffre, puis d'équiper cet item en passant devant le grand prêtre de l'abbaye. Vous voilà transformé en un gluant flambant neuf (ou n'importe quelle autre bestiole), qui tracera sa propre route et pourra évoluer vers d'autres grâce à l'hybridation des classes. Une trentaine de vocations monstrueuses peut être obtenue, qui s'ajoute à la vingtaine des classes humaines usuelles pour un total tout à fait respectable, voire trop élevé tant l'évolution en est lente. Maîtriser une vocation peut coûter de quelques dizaines à plusieurs centaines de combats, autant dire qu'à moins de miser sur le grinding massif (et de connaitre le cheminement exact) vous ne verrez jamais la couleur du Gluant de Platine au cours du jeu de base.
Pour finir, on aurait tout autant apprécié une meilleure gestion de l'humain dans l'équipe. Sans spoiler, le turn over au cours du jeu se subit durement, faisant brutalement partir ou arriver des personnages, en repoussant certains sur la touche pendant de longues heures quand, encore une fois, les mécaniques de jeu rendent nécessaire d'avoir une visibilité sur vos alliés pour gérer sur le long terme. Un personnage absent pour les besoins du scénario, ou qui se retrouve bloqué quelques temps dans une classe au taquet par l'impossibilité de se rendre à l'Abbaye, prend de fait un sérieux retard dans sa construction, retard qu'il ne pourra combler qu'à grand renfort de grinding. On touche à nouveau à des choix de game design hasardeux, pas toujours en adéquation avec le scénario en sus. S'ils ne pourrissent pas totalement le plaisir de jeu, une plus grande flexibilité aurait été largement préférable.
Entre sa nature inhabituelle de patchwork narratif et ses problèmes de rythme, Dragon Quest VII propose l'une des aventures les plus longues et denses de la série, sur un strict plan temporel. Quand on rajoute le donjon bonus et l'envie (ou pas) de pousser les vocations à fond, ou encore les quelques quêtes annexes telles le village des monstres à repeupler, voilà les complétionnistes partis pour une bonne centaine d'heures de jeu, au bas mot. Loin de proposer une expérience aussi homogène que son successeur DraQue VIII, il s'agit pourtant d'un opus plutôt intéressant bien servi par un remake 3DS efficace, et qui devrait trouver sans mal sa place dans la ludothèque des amateurs de JRPG classiques.
On pensera ce qu'on veut du business plan de Square-Enix qui remake et remaster à tour de bras, force est de constater que quand le travail est bien fait, comme ici, cela ne peut que servir les joueurs. Cette version 3DS a beau souffrir de quelques détails d'équilibrage, elle rehausse à merveille un épisode sans génie mais efficace, pour la première fois disponible officiellement dans nos vertes contrées, et en Français s'il vous plaît. L'occasion de découvrir, ou redécouvrir, une aventure au classicisme nostalgique, où la relative liberté de gameplay dispute la vedette à une narration mettant en lumière une multitude de vies plus attachantes les unes que les autres. Il est enfin temps d'en recoller les morceaux.
11/03/2017
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- La remise au goût (presque) du jour est bien visible
- Les historiettes sont plus intéressantes qu'il n'y parait de prime abord
- Ça met du temps à démarrer mais tient bien la longueur
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- La réutilisation des donjons est lourde
- Fréquents allers-retours
- Mauvaise gestion des vocations et forces vives
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TECHNIQUE 3.5/5
BANDE SON 3.5/5
SCENARIO 4/5
DUREE DE VIE 4.5/5
GAMEPLAY 4/5
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