Level-5, un des nouveaux fleurons du RPG japonais lors de la précédente génération est, à l'image de beaucoup de studios issus de l'archipel, en difficulté sur les machines HD. Alors que
White Knight Chronicles n'a pas vraiment convaincu, un nouveau projet d'envergure est mis en chantier avec la collaboration prestigieuse de
Ghibli (
Totoro, Le Voyage de Chihiro...) dont la renommée n'est plus à faire dans le domaine de l'animation. Il s'agit de
Ninokuni, une oeuvre d'abord
destinée à la Nintendo DS et qui signa un joli succès, puis vint ensuite cette version
Playstation 3 qui fut accueillie plutôt froidement. Les joueurs japonais d'aujourd'hui ont-ils tant changé que ça pour renier un de leur genre phare ? Ou alors le RPG japonais n'est-il plus que l'ombre de lui-même ? Nous allons voir ça de plus près. Je vous souhaite la bienvenue dans le monde merveilleux de
Ninokuni !
Ninokuni, le deuxième monde
Oliver est un garçon bourré d'entrain vivant avec sa mère dans un quartier d'Hotroit, une bourgade tranquille. Très sociable avec tout le monde, notre petit bonhomme décide une nuit de quitter la vigilance du foyer familial pour tester la nouvelle voiture construite par son ami Marc. En chemin, une étrange jeune fille aux cheveux verts prévient Oliver de ne pas s'y rendre avant de disparaître soudainement. Peu importe c'est décidé, Oliver prendra le volant. Tout semble se produire pour le mieux jusqu'à l'accident ! La voiture perd une roue et plonge dans la rivière. Marc veut secourir son ami mais se foule une cheville et Oliver ne sachant pas nager, la noyade semble devenir la seule issue dramatique. Par chance et instinct maternel, Arie, la mère d'Oliver s'était rendue compte que son fils ne dormait pas dans son lit. Elle arrive pile au bon moment et n'hésite pas une seule seconde à plonger pour sauver son enfant devant les yeux médusés des passants. Tout semble en sécurité dorénavant, mais la mère d'Oliver est soudain prise d'une violente douleur dans la poitrine, et elle mourra tragiquement d'un infarctus devant le regard hagard de son fils.
Oliver est seul, si seul devant tant d'injustice et de culpabilité. Alors que le chagrin le gagne profondément, il serre sa peluche de toutes ses forces comme pour rechercher un quelconque réconfort dans ce cadeau de sa mère, un cadeau d'une valeur inestimable. Soudain, alors qu'une larme tombe sur la peluche, celle-ci prend vie ! C'est ainsi qu'Oliver apprend que sa peluche est une fée du nom de Shizuku, qu'elle vient d'un monde parallèle appelé Ninokuni où sa mère fut connue comme une grande magicienne. Une preuve ? Le grimoire du maître de magie est caché dans la cheminée. Quelques évènements plus tard, en possession du grimoire et accompagné de Shizuku, Oliver décide de partir sur les traces de l'existence de sa mère dans ce monde inconnu. Il ouvre alors le portail à l'aide d'un sort, celui qui mène vers Ninokuni, le deuxième monde. L'aventure peut commencer.
Ninokuni narre avant toute chose le voyage initiatique d'Oliver dans un monde totalement nouveau et complètement différent du sien, ce changement radical est aussi valable pour le joueur qui passe d'une ville type années 60 à un univers héroïc-fantasy où la magie règne en maître (un peu comme
Brave Story). Très rapidement, l'histoire va se centre sur le parcours de la mère d'Oliver et d'un éventuel moyen de ramener cette dernière à la vie. Cependant, l'infâme sorcier noir Jabo est sur sa route et ce dernier est sous les ordres d'une mystérieuse sorcière blanche, toute puissante entourée d'un groupe de conseillers énigmatiques. Oliver va donc petit à petit comprendre qu'il doit rencontrer les mages célestes pour en apprendre plus sur sa destinée d'élu.
La grande force du récit est sa structure, à la fois simple mais riche en émotion, visant souvent juste et portée par des personnages aussi colorés que charismatiques. La ligne directrice est constamment remise en cause et justifie toutes les actions (ou presque) de nos héros, puisqu'Oliver sera rejoint plus loin par trois autres compagnons. En résulte une aventure rythmée et passionnante qui ne fait jamais dans la surenchère et la démesure, mais plutôt dans le rêve et l'émerveillement, portant le joueur du début jusqu'à la fin dans son insatiable soif de découverte.
Certes, quelques séquences épiques en plus au répertoire auraient fait du bien et il y a deux ou trois passages un peu longuets. La fin aussi est mitigée vu qu'elle donne l'impression d'une suite, mais globalement l'histoire arrive à nous aspirer sans difficulté dans son univers, et c'est bien là tout ce qui compte.
Monde et merveilles
Autant mettre tout le monde d'accord immédiatement, la réalisation technique met une claque à toute la confrérie RPG, même
Square Enix et même au-delà des frontières japonaises.
Déjà
Ghibli, qui n'est pas présent par hasard, nous gratifie de quelques séquences animées de toute beauté à peine écorchées par une résolution qu'on aurait souhaité un poil plus tranchante. L'interface ensuite est d'une limpidité à toute épreuve, très simple d'accès avec des commandes intuitives pour une navigation très agréable, l'ensemble est rehaussé d'icônes très représentatifs d'un souci du détail à la limite de l'indécence. On sent un travail très profond sur la finition pour rendre l'expérience la plus aboutie possible.
Level-5 voulait faire la passerelle entre les séquences animées et la partie graphique en perdant le minimum possible de cohérence dans la transition. On peut dire que le test est réussi haut la main tant le jeu ressemble et bouge comme un anime
Ghibli. De la modélisation des personnages, très simple en apparence mais qui gagne des animations d'une incroyable maîtrise (il suffit de voir comment Oliver descend des marches ou lance un sort) jusqu'aux décors en 3D sublimes. Cela vous paraît un peu trop exagéré ? C'est que vous n'avez pas encore joué au jeu car les textures sont travaillées à l’extrême et le nombre de détails est hallucinant, le tout porté par un travail d'éclairage qui laisse pantois. Les rémanences ombragées de la lave en fusion dans le Mont Dekarock, les feux follets de la Vallée Fantôme ne sont que d'insignifiants exemples parmi la pléthore que compte le titre, le genre à vouloir scruter chaque recoin pour en saisir la moindre essence, surtout avec une caméra très réactive, ajustable à volonté et rarement prise en défaut (il y a même une vue subjective).
Ce phénomène est d'autant plus important que la patte esthétique du jeu est sidérante d'ingéniosité, bien plus inspirée que n'importe quel
Dragon Quest. On y retrouve toute la force et la magie d'un monde héroïc-fantasy avec tout ce qui fait le sel de ce genre d'univers. Des montagnes au désert, en passant par des temples enfouis ou des châteaux maudits, le jeu ne cesse jamais d'émerveiller en proposant des passages intenses et ludiques comme cette "crèche" pas comme les autres en 2D. A ce titre la carte du monde, à l'ancienne, est juste la plus belle jamais développée jusqu'à présent, même le bateau ou le moyen de transport volant bénéficient d'animations soignées. Chapeau bas les artistes ! Les combats ne sont pas en reste, avec une fluidité quasi permanente, des effets très fins et variés et toujours cette animation d'une grande finesse au service d'un dynamisme déroutant. Même les arènes sont diversifiées, tenant compte de votre position avec précision tout en s'appuyant sur le climat. Bref, du solide.
Finalement, le seul point contrasté concerne le chara design des Imagens, ces petites créatures qui font office d'ennemis et d'alliés. Pas vraiment que le design ne soit pas bon - à mon avis il est pertinent et il y a quelques belles surprises dans les dernières classes - mais plutôt que son caractère enfantin au premier abord ne fera pas l'unanimité. Pourtant, les centaines de créatures seront une nouvelle fois l'occasion d'admirer des animations merveilleuses en offrant un véritable cachet à ces petits monstres, on finit par s'attacher au caractère teigneux de son apprenti chevalier, à la maladresse de son golem mécanique ou encore les moqueries de son petit singe. Rien à redire sur les boss en revanche, ils sont quasiment tous somptueux.
Comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, la partie sonore bénéficie elle aussi d'un soin tout particulier. Fort d'une ambiance déjà hors du commun, le jeu s’octroie les services de
Joe Hisaishi, un homme réputé pour ses nombreux travaux de grande qualité, et qui récidive ici avec
Ninokuni. Des thèmes épiques en passant par des sonorités plus douces et même planantes, nos oreilles sont bercées jusqu'au générique de fin et sa jolie chanson. Il n'y a guère que la musique des combats dont les premières notes sont crispantes à la longue, et n'est pas sans rappeler l'effet
Chrono Cross, pour citer une autre bande-son de grande classe. En ajoutant des doublages classieux et un travail sur les bruitages bluffants, nous avons une nouvelle raison de s'extasier.
Au détour de l'expérience visuelle et sonore offerte par
Level-5, on peut dire que techniquement, graphiquement et en terme de finition on tient entre les mains une pièce d'orfèvre qui ne mérite qu'acclamations.
Le Maître du Monde
Le système de jeu est incroyablement riche et complexe, et pourtant d'une accessibilité rare. A ce titre sachez que les versions DS et PS3 sont sensiblement les mêmes à la base, mais sur PS3 nous avons un jeu plus long, avec de nombreux ajouts et correctifs. Avant d'entamer ce paragraphe, signalons la présence dans la version salon du même grimoire que sur DS, à savoir un livre magnifique de 350 pages qui contient tout ce dont le magicien que vous allez devenir aura besoin. En passant par la structure des sorts, aux légendes et autres plans des lieux, sans oublier le bestiaire ou encore l'alphabet complet de l'ancienne langue de Ninokuni, avec traduction intégrale par caractère. C'est la grosse plus-value du jeu, car si sur DS se balader avec le bouquin sur soi était juste inconcevable, dans votre canapé vous n'aurez plus aucune excuse. Notez que vous débloquerez les pages du manuscrit dans un menu de l'interface, mais je vous invite chaudement à vivre l'aventure avec le livre sous le bras, comme Oliver. De cette façon, vous aurez de plus en plus l'impression d'être un magicien qui prend de l'expérience et vous vous immergerez de manière considérable dans le jeu, surtout que vous aurez de toute façon besoin du livre pour résoudre mystères et quêtes (d'ailleurs une bonne base de japonais est souhaitable).
La structure est celle d'un jeu de rôle dit "à l'ancienne", par conséquent donnant la part belle à l'exploration. Nous suivons l'histoire dans des environnements en 3D recelant divers secrets et nous voyageons sur une carte du monde elle aussi en 3D. A mesure de la progression, Oliver va obtenir des sorts (une cinquantaine) qui seront utilisables en toute circonstance : réparer un pont en remontant le temps, se téléporter, traduire une inscription illisible, ouvrir un portail entre les mondes, communiquer avec les animaux ou les fantômes, les possibilités sont multiples et nécessitent un minimum de jugeote (mais une option facilite l'accès au menu lorsque c'est nécessaire). Les terrains de jeu sont les zones/donjons et la carte du monde, un véritable bac à sable de trésors et de zones optionnelles planquées.
Dans les villes et villages (pas très nombreux mais diversifiés), vous aurez le nécessaire en boutique puisque vous avez un sac magique contenant vos objets et que vous aurez besoin de vous équiper (arme, armure, accessoire). Plus tard, lorsque vous aurez le pot magique, vous aurez accès au système de craft assez complet (il permet aussi de faire ses propres recherches en alchimie). En bon mage samaritain qu'il est, Oliver aura très rapidement un accessoire qui permet "d'absorber" une émotion grâce au sort adéquat. Plusieurs émotions existent et elles vous aideront aussi bien en terme de progression qu'en terme de quêtes, histoire de résoudre les problèmes du quotidien. En donjon, le type de progression est similaire à la différence que chaque lieu possède sa petite particularité et que le plaisir est sans cesse renouvelé. Mais au cours de votre voyage, des Imagens peuvent vous attaquer.
Les Combats
Dans des arènes en 3D à trois personnages, à douze si on compte les réservistes. Le principe veut que vos héros possèdent jusqu'à trois Imagens au préalable capturés, ce qui confère au titre un petit côté
Pokémon pas désagréable (il y a des centaines de créatures). Ces derniers possèdent leurs propres équipements et skills (personnalisables) et il faudra de temps en temps leur offrir des friandises pour monter à la fois les stats mais aussi l'affinité, ce qui aura une répercussion en combat. D'ailleurs comme l'argent coule aussi bien que dans un
Dragon Quest, on est souvent ruiné pour l'équipement dans
Ninokuni et ce n'est pas un cochon et deux lapins qui transportent beaucoup d'or au début, vous en conviendrez.
Ces mêmes Imagens pourront, à un certain moment, monter leur classe de base et par la suite il faudra choisir entre deux types, généralement basés sur les éléments. Les combinaisons sont extrêmement nombreuses et toutes les stratégies sont permises puisque à la différence de la version DS, il n'y a aucun endroit vraiment sûr pour farmer, le challenge est toujours présent. Cependant les combats normaux ne sont jamais bien longs, ce sont surtout les combats contre les boss qui dévoilent les subtilités du système.
Vous pouvez donc choisir trois personnages simultanément (Héros ou Imagens) et intervertir à volonté. Ceci est possible car le système de jeu est en temps réel et se rapproche un peu de l'Active Time Battle des
Final Fantasy. En effet, chaque action nécessite un laps de temps avant recharge (le temps d'action d'un Imagen aussi, d'où l'intérêt de puiser dans la réserve) et qu'il faut donc savoir switcher d'un skill à l'autre, sachant qu'en plus vous pouvez attaquer ou vous mettre en garde (essentiel dans le jeu contre les skills spéciaux). Si vous dirigez un héros, vous aurez aussi accès aux objets - qui ne sont pas là pour faire de la figuration - puis évidemment à vos talents de magicien.
Lors des joutes, des petites sphères d'âme sont lâchées régulièrement. Il y en a trois types : une pour la vie, une pour la magie et une autre pour lancer une super attaque (ou défense/soutien). A cela, il faut prendre en compte Shizuku qui se balade autour de l'arène tel un coach de boxeur et qui peut de temps à autres intervenir lorsque la situation devient critique. Ces petits paramètres à prendre en compte donnent au système de combat une note stratégique dont les déplacements sont primordiaux, et attention aux ennemis car la tactique de tourner en rond ne fonctionne pas, ils n'hésitent pas à couper les trajectoires pour vous rosser dans un angle fermé. Et je préfère ne pas parler des boss qui font cinq fois votre taille ou plus. Je regrette juste que nos alliés ne soient pas aussi performants, malgré un panel d'ordres suffisant avec une commande à la volée, ils se mettent parfois trop en danger sans raisons apparentes (on préfèrera parfois la méthode manuelle pour switcher entre les personnages).
Il serait trop long de rajouter des lignes à ce texte déjà conséquent pour énumérer toutes les subtilités du gameplay, mais le plus grand nombre pourra le constater avec la sortie européenne. C'est un système terriblement addictif aux nombreuses facettes et les trouvailles géniales du gameplay, qui sont progressives, confortent l'idée d'un RPG pensé dans ses moindres détails pour répondre à toutes les exigences.
Level-5 nous livre un titre impressionnant et passionnant.
Un monde de trésors
Entre 40 et 50h pour les plus pressés sur la trame principale, au moins le double pour faire le reste.
Zones optionnelles : sur la carte du monde, un vrai bac à sable interactif.
Quêtes : trois types, celles avec les émotions, celles classiques où vous aiderez les habitants et enfin la guilde, qui offre des combats spéciaux. De nombreuses récompenses vous attendent pour une centaine de quêtes (plus que sur DS, sans compter les DLC).
Post-game : de nouvelles quêtes apparaîtront, d'autres Imagens, une nouvelle zone aussi et des boss dont le plus puissant du jeu. Un casino bourré de mini-games est présent, il y a aussi la Pandora League (tournoi en team battle), et d'autres surprises que vous découvrirez vous-même.
La froide réception des joueurs nippons reste une énigme car ce jeu, c'est un peu 25 ans de RPG japonais dans toute sa noblesse. En piochant des idées dans les références du genre tout en y affublant sa patte personnelle, Level-5 parvient à obtenir un résultat aussi grandiose qu'inespéré. Si en plus vous ajoutez une réalisation de maestro et une finition exemplaire, le titre montre un savoir-faire indéniable que certains pensaient perdu pour cette génération.
Il ne tient maintenant plus qu'à vous de plonger dans cet autre monde qui invite au rêve et à l'évasion, celui de Ninokuni !
21/05/2012
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- Réalisation, esthétisme et finition de haute volée
- L'ambiance sonore
- Le système de jeu en et hors combat
- Contenu généreux et varié
- Une histoire intéressante...
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- ...mais une fin un peu rapide
- L'IA des alliés pas toujours au top
- Le design des Imagens ne fera pas l'unanimité
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TECHNIQUE 5/5
BANDE SON 4.5/5
SCENARIO 3.5/5
DUREE DE VIE 4.5/5
GAMEPLAY 4.5/5
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