Suite au boom de l’industrie du smartphone et à l’engorgement des consoles portables par une armada de RPG, le téléphone semble être le nouvel eldorado des développeurs japonais qui l’investissent en masse.
Square Enix ouvre de toute évidence la voie avec ses nombreux remakes et autres scoring games. Mais il arrive également parfois à l’éditeur nippon de faire dans la sous-traitance. En confiant à
Witchcraft le projet d’un RPG ambitieux sur iOS et Android, la boite espère bien faire naitre une nouvelle licence susceptible de devenir le fer de lance de sa politique de colonisation agressive du support.
Ainsi
Drakerider, enfant bâtard, mal-formé, né de l’appât du gain et de la complaisance envers le public, voit le jour.
Kill or be killed
Aran a fait de sa vie une aventure quotidienne. En tant que traqueur, il chasse objets, animaux et personnes perdues afin de les remettre à leurs commanditaires. Mais ce jour-là n’est pas comme les autres. Alors que sa quête d’informations l’amène au fin fond d’un temple sous-terrain, il fera brièvement la connaissance de Quory, un être étrange, avant d’être soudainement interrompu par le vacarme causé par un monstre, un Dread. Aussitôt, celle qu’il vient pourtant à peine de rencontrer lui appose une marque lui conférant le pouvoir d’invoquer un dragon et la capacité de s’en servir comme d’une arme en le chevauchant. La guerre contre les Dreads est
de facto déclarée, il s’agit maintenant de tous les éliminer et de ramener la paix dans le monde.
Si ce bref aperçu laisse entrevoir un scénario simplet, sachez qu’il n’en est rien.
Drakerider se distingue justement, entre autres, par son ambition narrative. Empruntant quelques-unes de ses thématiques notamment à
Xenogears, l’histoire tente d’esquiver les nombreux clichés du RPG japonais, sans pour autant livrer une copie totalement dénuée de stéréotypes. Usant parfois d’artifices abracadabrantesques pour justifier tout et n’importe quoi, le titre de
Witchcraft nous réserve tout de même quelques très belles scènes, parfois poignantes et frissonnantes. A travers des sujets tels que le pouvoir de l’imagination humaine, les rêves d’enfance ou encore l’alter égo, il évoque de façon posée et simple des problématiques intéressantes.
Drakerider n’est en somme pas ce que l’on pourrait qualifier de manichéen. Dans chacune des oppositions qu’il construit entre protagonistes et antagonistes, il s’efforce de justifier les actes de la partie adverse par des raisons qui peuvent sembler légitimes aux yeux du joueur. Ainsi même si l’on n’échappe pas aux idéaux-types des personnages de J-RPG, il est tout à fait plaisant de suivre les pérégrinations de notre trio de héros, embarqués dans une machination qui les dépasse. Comme le récit de David et Goliath, il s’agira de se dresser, aussi insignifiant soit-on, contre un ennemi qui semble imbattable.
The end is near
Il est cependant profondément regrettable que Drakerider ait vu le jour sur smartphones, et ce pour une raison simple : les ambitions du titre de Witchcraft sont bridées par la plateforme.
Du fait des contraintes et exigences du support, les aspirations narratives sont tout simplement réduites à peau de chagrin par rapport au potentiel extraordinaire des idées des scénaristes. Comprenez-bien, le smartphone est le support grand public par excellence et afin d’attirer le chaland lambda, il faut calquer le gameplay sur ses habitudes de jeu. Lesquelles sont illustrées par des softs comme Angry Birds, Candy Crush Saga et autres Plant vs Zombies, mais aussi par de très sérieuses études qui démontrent que sur smartphone, les gens ne jouent que par très petites sessions. Par conséquent, Drakerider se verra affublé d’une mécanique de jeu répétitive, concise et brève. Celle-ci consistera à faire exécuter au joueur un objectif redondant afin de faire avancer le scénario : se diriger vers une zone, en déloger le « Dread » principal, et repartir chasser le suivant. Fort heureusement, Witchcraft tout en s’emprisonnant dans ce schéma qui s’impose à lui, pense à rythmer ces expéditions avec des bouts de scénario, des imprévus, des dialogues (d’ailleurs tous doublés en japonais), etc. Dans la marge de manœuvre très faible dont ils disposent, les développeurs sont parvenus à donner du volume et de la consistance à l’intrigue, bien que les buts affichés soient diablement répétitifs.
Seulement ce n’est pas tout. La concision et la clarté exigées par le support vont conduire les développeurs à dépouiller leur monde, à le rendre intelligible et compréhensible en un coup d’œil au joueur qui ne touchera à Drakerider que quinze minutes tous les quatre matins. Il est nécessaire que l’univers parle au joueur dès lors qu’il lance le jeu, même s’il a oublié l’état de son avancement. De fait, Drakerider ne s’éparpille pas. On dispose de très peu de background sur les personnages ou le monde dans lequel on déambule. Exit les villages et autres PNJ en tous genres, ici on se focalise sur la progression, et non sur l’exploration et la contextualisation d’une histoire dans l’univers qui lui est rattaché. On n’a pas le temps. Le joueur smartphone typique n’a pas le temps. Pas le temps de s’intéresser à ce genre de détails et de s’investir dans le macrocosme d’un jeu.
Conséquence directe de cette négligence, l’univers de Drakerider paraîtra fade, sans vie, triste même. Witchcraft tente pourtant de focaliser notre regard uniquement sur l’aventure en fournissant une galerie de personnages plutôt hauts en couleurs, à l’identité marquée et au character-design affirmé, mais en vain. Car au final, cela ne fait qu’accentuer le contraste entre un environnement terriblement statique et une odyssée palpitante et pleine de vie. En bref, on pourrait voir cette opposition comme la tenue du carnaval de Rio dans une ville fantôme.
Drag(on) and Slide
Les mécaniques de jeu n’échappent pas non plus à la tyrannie contraignante du smartphone. Pour le meilleur comme pour le pire.
Le meilleur correspondrait, toutes proportions gardées, aux combats de Drakerider. Le jeu se dote d’un gameplay on ne peut plus succinct comme l’exigent les faibles capacités d’input du support et les limitations de temps. Pour faire simple, les affrontements exigent de garder en laisse votre dragon et de l’empêcher de se mettre en mode « berserk », auquel cas la sanction serait immédiate : votre destrier attaque amis et ennemis indifféremment et vos PV maximums sont réduits de façon définitive.
En faisant défiler la chaîne sur votre touch screen avec votre doigt, vous décidez du niveau d’emprise dont vous disposez sur le dragon. Plus vous lâchez du lest, plus votre dragon fera mal. Moins vous êtes permissif, plus vous aurez tendance à lancer des sorts de soin. Et n’espérez pas que les liens restent immobiles tant que vous n’y touchez pas, votre reptile de copain essaie constamment de se défaire de votre joug pour vous bouffer. Par conséquent durant les joutes, votre regard sera inéluctablement fixé sur la jauge d’emprise et votre doigt en constant mouvement sur l’écran. Drakerider exige toute votre attention pendant les combats. Cela suffit-il à en faire un système suffisamment dynamique pour capter, au-delà de votre regard, votre intérêt ? Pas entièrement, et ce pour plusieurs raisons.
La première et principale d’entre elles réside dans l’extrême facilité de l’aventure. Si quelques défis plutôt corsés sont présents en annexes et permettent de jouer de la chaîne de façon intense et intéressante, la majeure partie du soft ne constituera pas un grand challenge. Les démons de l’accessibilité sont indubitablement passés par là. Ensuite, cette mécanique il faut le dire, est beaucoup trop répétitive. Si on saluera la courte durée des combats et un gameplay qui évolue un chouïa vers la fin du jeu, on ne peut dire que le trimballage de chaîne soit une activité particulièrement stimulante sur la durée. Par contre niveau prise en main, rien à redire, forcément. N’importe quel idiot du village peut se saisir d’une partie en cours, faire un combat, comprendre le principe en deux secondes, et le remporter. Mais on digresse. Enfin, les combats quoique sympathiques au départ, ne présentent au final que peu d’intérêt car ils se jouent en fait en coulisse, dans les menus. Vous y trouverez les arbres de compétence et l’équipement, autant de choses qui influencent réellement sur ce qui se passe durant les affrontements. Car n’oubliez pas, outre bouger la chaîne de droite à gauche sur votre écran, vous ne faites strictement rien dans les duels. Simplicité d’accès et tout tactile obligent.
Convenu mais efficace
Le pire maintenant revêt plusieurs aspects. Le premier d’entre eux serait le dirigisme outrancier que le support impose à Drakerider. Il n’est pas possible d’explorer un seul donjon, ou de visiter la world map, sans savoir quelle direction est la bonne. Un indicateur nous pointe en permanence où va se dérouler la suite de l’aventure, dépouillant ainsi l’exploration si chère aux joueurs de RPG d’une bonne partie de son intérêt.
Il n’y a de toute façon guère matière à explorer dans Drakerider, tant le syndrome du level-design en épi semble atteindre la quasi-totalité des zones. Comprenez par-là que bien souvent, un chemin principal assez évident sera tracé, tout en proposant des courtes ramifications qui se terminent en cul de sac avec à la clé un coffre, ou du vide.
L’efficacité de l’exploration ne fait toutefois aucun doute. Les zones se bouclent en peu de temps, le taux de rencontres aléatoires n’est pas excessif, on a rarement le temps de se lasser. D’autant que les phases de dialogues ne sont jamais très loin, permettant de dynamiser le tout. Qui plus est durant les premières heures de jeu on profite d’une multitude d’environnements variés, dont quelques-uns sont d’ailleurs très réussis. C’est cependant sans compter sur le fléau du recyclage des décors qui frappe désormais toutes les productions au budget limité.
Faute de pouvoir créer de nouveaux lieux de toutes pièces, Witchcraft habille les anciens de différents skins, change un peu la disposition des salles ou des écrans, et le refourgue au joueur que l’on espère un peu naïf. Il ne sera en sus pas rare de retraverser rapidement des lieux déjà visités. Enfin, cerise empoisonnée sur le gâteau, l’interaction du joueur avec ses alentours sera réduite à son strict minimum.
Héritage wildarmsien
Le tableau est jusqu’ici très contrasté et agace d’autant plus lorsque l’on sait pertinemment que
Witchcraft aurait eu toute la latitude ainsi que les compétences nécessaires à la mise en place d’un univers vivant sur consoles portables.
Pour ceux qui en doutent, savoir qu’
Akifumi Kaneko, géniteur des
Wild ARMs, est derrière ce
Drakerider, suffira peut-être à les convaincre.
Witchcraft fut en effet créé par des anciens du studio
Media Vision qui supervisaient la légendaire série de RPG aux relents de Western spaghetti. Le scénariste de
Drakerider (
Sou Sekiya) a ainsi officié sur
Wild ARMs XF, le réalisateur (
Hiroki Ishii) sur le remake de
Wild ARMs et sur les second, troisième et quatrième opus. Enfin, et ce sont eux qui nous intéressent, on retrouve deux des compositeurs présents sur
Wild ARMs XF :
Michiko Naruke et
Junpei Fujita.
L’atmosphère à la fois tragique, combative et mélancolique de
Drakerider leur doit beaucoup. D’une incroyable richesse et d’une hétérogénéité digne des plus grands, la soundtrack est un petit bijou dont les pistes s’écoutent sans trop de problème en dehors du contexte du titre. En conjuguant les styles, tantôt riffs endiablés, tantôt piano langoureux, les compositeurs parviennent à cristalliser de très belle manière les émotions des personnages, les enjeux du scénario et les différentes ambiances. Leur travail n’a rien de révolutionnaire, néanmoins l’exécution est splendide. Par là même, ils confèrent au titre une envergure toute particulière qui lui ferait défaut sans ces compositions. On notera d’ailleurs que dans le seul domaine, la musique, où l’exigence d'accessibilité liée aux titres smartphones ne peut empiéter, on assiste à une réussite incontestable de la part de
Witchcraft.
Drakerider représente tout ce que la fuite sur smartphone des J-RPG a de frustrant. L’ambition du titre de Witchcraft dépasse largement le cadre des bêtes exigences d’accessibilité du support. Manquant manifestement de moyens, cantonnés à une plateforme qui nécessite de se tirer des rafales de balles dans le pied, les développeurs ont tout de même réussi avec Drakerider une prouesse d’écriture créative sous la contrainte. Ne pas se méprendre donc, le bébé d’Akifumi Kaneko n’est pas une expérience de gameplay comme souvent sur smartphone, mais bien une aventure de qualité, à l’ancienne, qui souffre malheureusement de défauts inhérents au système qui l’accueille : maniabilité restreinte, manque de profondeur, répétitivité et simplicité. On regarde alors Drakerider avec un œil tendre tandis qu'il se démène comme il peut pour remplir un cahier des charges lourd, contraignant et absurde, tout en essayant de voir plus loin que les autres. A n’en pas douter l’un des meilleurs RPG de la plateforme.
12/11/2013
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- Ambitieux
- Scénario léché
- Techniquement en pointe
- Décors réussis
- Casting vivant
- Efficace
- Bonne mise en scène
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- Potentiel gâché par le support
- Trop facile et accessible
- Manque de profondeur, d'ancrage
- Répétitif
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TECHNIQUE 4/5
BANDE SON 4.5/5
SCENARIO 4/5
DUREE DE VIE 3.5/5
GAMEPLAY 2/5
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