Doit-on encore présenter Nippon Ichi Software, petit développeur nippon (duh) qui s’imposa à l’international - en deux jeux seulement - en maître du Tactical-RPG japonais au début des années 2000 ? Si vous vous intéressez au genre, vous connaissez certainement leurs softs bien barrés aux mécaniques pléthoriques et exigeantes, capable de tenir le joueur en haleine sur plusieurs centaines d’heures. On peut donc dire qu’ils connaissent leur sujet, mais le revers de la médaille est que comme tout spécialiste, on ne les attend pas au même niveau sur d’autres genres. On pouvait donc être dubitatif lorsque la firme s’est lancée en 2010 dans le Dungeon-RPG.
Deus In Machina
Impossible d’aborder
The Guided Fate Paradox sans évoquer le fantasque
Z.H.P : Unlosing Ranger VS Darkdeath Evilman (vous le sentez le scénario sérieux ?), leur précédent essai de Dungeon-RPG à la sauce
Disgaea, sorti sur PSP en 2010. En effet celui-ci mêlait déjà d’astucieuses mécaniques entre TRPG et Roguelike à un scénario typique de l'éditeur. Le fait est que
The Guided Fate Paradox en reprend tout les mécanismes principaux de gameplay, et se pose donc en digne héritier d'une série mort-née.
Mais commençons par le commencement : Renya Kagurazaka, lycéen japonais typique mais doté d'une chance apocalyptique au jeu depuis son enfance, se voit désigné comme nouveau Dieu (au sens "entité omnipotente") par une simple loterie de supermarché. C'est l'ange Lilliel qui se charge de l'élever à ce nouveau rang en jouant sa
Dokuro-chan, et le guidera dans ses premiers pas sur la
Celestia locale. En effet, la nation des anges se trouve en fort mauvaise posture dans la guerre ouverte qui les oppose à l’un des Netherworlds dirigé par le démon Satanael. Et pour que leur Dieu novice gagne suffisamment de puissance pour pouvoir lutter à armes égales, quoi de plus logique que de l’envoyer exaucer les prières de gens au travers d’une machine infernale ?
Le circuit FATE, qui donne son nom au jeu, va donc en conditionner le côté dungeon-rpg : dans chaque chapitre, Renya sera chargé d’exaucer le souhait profond d'une personne pour changer sa destinée. Dans les faits, cela consiste à gravir les étages d'un donjon défini semi-aléatoirement - la disposition du niveau, des ennemis et des objets change à chaque plongeon - jusqu'au boss qui souvent demande des conditions de victoire un peu plus évoluée, comme la protection d’un PNJ ou la gestion d’un flot incessant de clones. Ce faisant, les scènes narratives interviennent pour dévoiler un peu plus la psyché des protagonistes et personnages en détresse. Il est d’ailleurs à noter que si les moments drôles ne manquent pas et sont soulignés par le style graphique SD et les mimiques des
sprites, le ton du jeu se veut assez sérieux et introspectif, pour le protagoniste comme pour le joueur. Et si les premiers chapitres sont plutôt sympathiques dans l'inventivité - on doit tour à tour changer la fin d'un conte classique, puis aider un personnage de film d'horreur à s’affirmer dans la mort - on retombe bien vite dans le très classique, pour ne pas dire ennuyeux. Dommage.
Groundhog Game
Pour très répétitif qu’il soit, le gameplay n’est est pas moins bien léché. Dans les donjons, Renya et l’ange qui l’assiste (une IA choisie parmi une dizaine de soutiens) sont placés sur un quadrillage typé T-RPG dans l’esprit. Chaque geste du personnage (comme avancer d’une case, utiliser un objet ou frapper un ennemi) fait avancer le « tour d’action» du niveau d’un cran et permet donc aux ennemis d’agir simultanément. La gestion de chaque action en devient assez tactique, puisqu’il faut nécessairement anticiper les déplacements des mobs ainsi que leur champ de vision pour éviter d’en aggro un trop grand nombre. Sans oublier bien sûr de ramasser les objets au sol, vous en aurez fortement besoin pour survivre aux dix étages ou plus à traverser pour survivre aux donjons. Dans la mesure où chaque action égraine peu à peu les points de la barre d'endurance du perso et qu'une fois celle-là vide, elles entameront vos précieux HP, il est toujours bon de disposer de pommes goûteuses dans lesquelles croquer. De même pour les SP nécessaires à toutes vos techniques spéciales, et ce ne sont là qu'une partie des choses à gérer à force d'objets. Objets qui, comme les ennemis et personnages d'ailleurs, peuvent être soulevés et lancés à peu près partout, y compris sur les ennemis : envoyez à un groupe un peu récalcitrant une pilule de lenteur et vous aurez tout à coup moins de mal.
NIS n’ayant pas en général pas peur d’expérimenter au risque de trop en faire, The Guided Fate Paradox se trouve agrémenté d’une dimension Rogue-Like plutôt agréable. Pas de Game Over ici, mais s’il lui arrive de trépasser en donjons le personnage comme son assistant perdront non seulement l’expérience accumulée mais aussi une partie de son pognon et la totalité de son inventaire, équipement compris. Et dans la mesure où la mort peut survenir assez rapidement dès que l’on se montre un peu trop téméraire, mieux vaut apprendre à être prudent : il est possible de déposer argent comme objets à la banque avant de plonger dans le circuit Fate, et de sortir du donjon en cours de route par l’intermédiaire d’un objet ou des quelques paliers qui parsèment les entre-étages des donjons. Pour ne pas se montrer trop punitif, GFP incorpore une mécanique originale : si le niveau des personnages redescend à son minimum dès lors qu’il revient sur Celestia (et ce même les pieds devant), les niveaux d’expérience accumulés durant l’exploration sont ajoutés à un total qui améliore ses statistiques de base. Redémarrer un donjon haut-niveau en ayant le sien redescendu à son minimum peut faire peur, mais bien soutenu par un équipement à jour, cela ne pose aucun problème. L'expérience rentre vite et on a tôt fait en explorant bien les deux premiers étages de se remettre à flot. Le potentiel d’évolution à chaque niveau s’en trouve donc agréablement renforcé, et les séances de farming comme l’exploration en deviennent gratifiantes.
"Nous pouvons le reconstruire, nous en avons la possibilité technique"
En plus d’influer à long terme sur ce potentiel d’évolution, cette expérience vient en sus accroître le Divinigram, sorte de fort intérieur de Renya qui rappellera un Licence Board de Final Fantasy XII sur lequel on aurait greffé les fluxs d’énergie de La Pucelle: Tactics. Chaque personnage, anges compris, possède cet échiquier dont les emplacements se libèrent à mesure d’expérience pour accueillir divers bonus de stats sous la forme de cases à placer pare le joueur. Déjà très utiles, on peut en outre y placer des artefacts rares qui boosteront d’un pourcentage le gain de stats apporté par chaque type d’équipement. Et pour parachever le tout, des sources de puissance envoient une énergie divine à canaliser vers les artefacts pour démultiplier leur effet. Avec tout ça, il y a largement de quoi faire pour customiser ses personnages.
Et puisque les équipements influent de façon exponentielle sur la puissance globale, autant en prendre soin. Votre dieu étant fragile, il est nécessaire de l’équiper en conséquence en ramassant les objets laissés au sol par les ennemis et l'habiller des pieds à la tête en passant par les bras, chaque pièce d’équipement démultipliant un ou plusieurs type de statistiques d’un pourcentage bonus. Ainsi, les heaumes de base amélioreront les HP de 10%, les armes l'attaque de 15% et ainsi de suite. Les objets que l’on ramasse sur le sol ont beau être nombreux, ils restent relativement faibles. Une faiblesse qui peut être largement gommée grâce à un système de fusion d’équipements assez complète. En effet, ces objets s’usent à l’utilisation jusqu’à passer en état de Burst. Un handicap à première vue, puisque les bonus en sont alors réduits de moitié, mais c’est pour la bonne cause ; l'objet peut alors être remis à neuf moyennant finance, ce qui améliore de plus sa puissance et le maximum d'utilisation, mais peut également être synthétisé sur un autre équipement pour additionner les bonus. A l’utilisation, il est donc possible de se créer des équipements ultra-puissants démultipliant toutes les caractéristiques de vos personnages.
Car en plus d’apporter protection à l'être élu et sa suite, chaque pièce d’équipement équipé agit en fait comme une arme. L'importance de l'évolution et de la gestion de ces armes est assez frappante. Visuellement déjà, puisque la combinaison extravagante d'une tête de cheval, de bras-robot et de bottes en forme de chenilles de char d'assaut peut prêter à sourire. L'intégralité de l'arsenal est du même acabit et donne un fort côté over the top au jeu. Frappant aussi au sens littéral : ce sont en tout sept pièces d'armure, et autant d'armes potentielles, que votre personnage pourra revêtir, et chacune dispose d'une attaque spéciale spécifique possédant une certaine puissance et une portée ouvrant à de multiples possibilités de stratégies. S'il est souvent tentant de garnir son inventaire de ses plus puissantes créations avant d'aller défier les longs donjons, histoire de faire face aux bursts comme aux situations rencontrées et de développer ce faisant son arsenal, il est aussi possible après quelques chapitres de se constituer des sets d'équipements, qui ne seront alors pas affectés par une mort éventuelle, et de les invoquer temporairement au beau milieu d'un donjon. Une sorte de carte maîtresse, appuyée par la "forme divine" de Renya qui démultiplie son potentiel offensif et défensif une fois la jauge associée remplie.
Mine de rien quand on fait le compte, il est assez rare de rencontrer des jeux de la sorte aux mécaniques aussi complètes.
Fallen Angel
Globalement le gameplay, habituel point fort de Nippon Ichi, se montre donc à son avantage. On s'y attendait. C’est bien beau mais tout n’est pas aussi divin : malgré de bonnes idées, les développeurs se sont laissés aller à des erreurs de débutant sur le plan du game design. Déjà évoquée, la répétitivité de l’ensemble fait un peu tache dans un jeu relativement court. Si quelques longs donjons bonus (jusqu’à 200 étages) viennent s’ajouter à la dizaine de chapitres - et donc de niveaux - pour offrir de plus amples challenges ou récupérer des équipements de haut rang, la finalité en est assez limitée. Le jeu consiste d’un bout à l’autre à avancer dans les donjons à risques calculés et à améliorer vos objets et stats globales. Point. On a vu plus gratifiant.
Pour aborder les côtés encore moins reluisants, je commencerais par toucher deux mots sur le problème principal du jeu. NIS a eu l'idée de génie de doter la plupart des donjons d'une sorte de brouillard de guerre qui occupe la moitié de l'écran voire plus, notamment quand on parcourt les nombreux couloirs qui séparent les pièces plus étendues. Au-delà de l’obligation d’avancer à pas de loups pour ne pas se jeter la tête la première au-devant d’un ennemi qui tourne dans le niveau, et du besoin en conséquence d’explorer chaque niveau de fond en comble pour en trouver la sortie, cette feature n'apporte rien, et pire, s’avère vite lourde. D'autant que la caméra mal foutue empêche souvent de savoir où l'on va. C’est d'autant plus dommage que les donjons sont agrémentés de divers types de mécanismes : dans l'un vous devez sauter de toit en toit à l'aide de canons, dans un autre progresser en 3D sur un "dé à 6 faces", faire face à des flots incessants de morts-vivants ou vous retrouverez poussés inéluctablement par un vent violent... Et les graphismes ne sont pas complètement vilains pour qui aime le style. Ce filtre empêche du même coup de les apprécier à leur juste valeur. Autre souci : les nombreux pièges invisibles qui jalonnent les sols. Si certaines techniques et objets permettent de les dévoiler sur la mini-map, perdre 50% de ses HP ou se faire empoisonner tous les 3 pas sans rien pouvoir y faire peut avoir tendance à vite prendre la tête. Enfin, c’est plus généralement la faute à pas de chance inhérente au genre qui à la longue a tendance à fatiguer le joueur harassé, quand il tombe dans un traquenard insolvable à deux pas de la sortie d’un donjon.
Sur le long terme, KamiPara (pour les intimes) se montre plutôt divertissant, bien qu’un brin répétitif. Pour peu que l’on adhère au gameplay dense, on fera abstraction des lourdeurs évoquées plus haut pour passer un bon moment, sans pour autant prendre vraiment son pied. Et si à son issue vous en redemandez, jetez-vous si ce n'est déjà fait sur Z.H.P qui possède sensiblement les mêmes forces. Abstenez-vous en revanche de tenter la "suite" Awakened Fate Ultimatum, c’est un conseil d'ami.
20/06/2015
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- Mécaniques de jeu fouillées
- Belle marge d’évolution du perso
- De bons moments bien stratégiques
- OST sympathique
- Parfois drôle
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- Répétitif
- Pourquoi ce brouillard de guerre ?
- Scénario décevant, si vous en attendez quelque chose.
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TECHNIQUE 3/5
BANDE SON 3.5/5
SCENARIO 3/5
DUREE DE VIE 4/5
GAMEPLAY 4/5
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