Un RPG aux ambitions et inspirations incandescentes
On parle beaucoup de The Witcher 3 : Wild Hunt, ou encore de Dragon Age: Inquisition, pour ce qui est de représenter le RPG occidental sur la nouvelle génération de consoles (puisqu'il sort, entre autres, sur la Playstation 4) mais finalement bien peu de ce Bound by Flame. L'équipe de Spiders Games a pourtant quelques atouts à faire valoir dans son CV, et ne cache ni ses ambitions ni ses inspirations pour son nouveau bébé. Le studio veut faire du RPG pur et dur, et du bon ! Mais reste à savoir comment cette envie s'est matérialisée dans le jeu...
Etat des lieux
On connaissait déjà le studio français pour son travail sur l'original Mars : War Logs ou encore sa participation à Of Orcs and Men, deux jeux de rôle qui nous transmettaient la passion vibrante de ces développeurs pour le genre. Mais ses grandes ambitions se traduisaient aussi parfois en défauts pénibles, probablement par manque de moyens notamment. La progression de Spiders était cependant remarquable, et on ne pouvait espérer qu'avoir mieux avec Bound by Flame, qui lui prend cadre dans un monde de fantasy tout à fait classique et déjà visité maintes et maintes fois. Faire son trou dans le domaine est donc un pari risqué, mais pas insurmontable quand on s'inspire de références comme les séries The Witcher ou Dark Souls de l'aveu même des créateurs.
Des modèles loin d'être horribles en somme, mais pas facilement égalables. L'intention est toutefois louable et ressentie dès les premières minutes du jeu. Bound by Flame ne semble alors pas vraiment se démarquer, mais en garde aussi sous la semelle.
Ne cassons pas le suspens tout de suite, mais rentrons tout de même dans le vif du sujet. Après une création de personnage (homme ou femme) extrêmement basique, où les options sont effectivement très limitées (mais c'est voulu, et pas vraiment dramatique), nous faisons nos premiers pas dans le monde de Vertiel... Dès les premiers instants, on remarque les teintes très (trop) sombres du jeu, qui obligeront certains à modifier la luminosité et le contraste dans les paramètres du jeu. On sent bien la ferme volonté des développeurs de produire un monde plongé dans la pénombre, au bord de la déchéance. Cependant de ce côté-là il faut admettre que c'est sans doute un poil exagéré.
Sors ta flamme
Attardons-nous plutôt sur le cœur du jeu : ses combats. Ceux-ci peuvent se jouer avec plusieurs styles différents. Les principaux sont le combat à l'arme lourde (épées, haches, etc), et celui avec des dagues légères. Le premier permet logiquement d'asséner des dégâts plus importants, mais aussi plus lentement, ce qui a par conséquent tendance à nous exposer davantage aux ripostes adverses. Le second, souvent utilisé pour les joutes les plus dangereuses, sert à attaquer de façon plus rapide et furtive. Il est important de préciser que les combats sont relativement exigeants, et de ce fait, se basent beaucoup sur les contres, les parades, mais surtout les esquives. Les combats les plus ardus trouvent souvent une résolution dans une bonne appréhension du timing.
Ajoutons à cela l'utilisation d'une arbalète, bien que celle-ci ait finalement un rôle généralement secondaire dans les affrontements. Enfin, évidemment, n'oublions pas de parler du pouvoir du feu (qui survient assez vite dans le jeu, dès lors qu'un démon se met à nous habiter) qui représente donc l'essence même de l'idée du game-design. A première vue, il s'agit d'une magie plutôt banale en apparence. Cependant il faut avouer que certaines spécificités (comme enflammer nos dagues) procurent un certain fun et permettent de varier un peu plus nos joyeux combats. Comme déjà dit, ceux-ci peuvent facilement vous donner du fil à retordre, surtout aux degrés de difficulté supérieurs où le jeu offre un challenge clairement très intéressant pour les joueurs chevronnés.
Parfois, vous serez accompagnés d'un partenaire (mais pas plus, c'est un jeu un peu radin) pour vous "aider". Notez bien les guillemets, car effectivement, on ne peut que regretter l'apport plus que limité de ces alliés lors des combats, où l'on aurait pourtant parfois grand besoin d'eux ! En dépit du fait que l'on puisse leur donner quelques ordres sommaires à partir d'un menu, leur I.A. ne leur permet apparemment pas de s'imposer comme des valeurs sûres sur lesquelles on pourrait compter pour nous sortir de quelques mauvais pas.
Comme dans bon nombre de RPG du même type, le personnage évolue via différents arbres de compétences où l'on peut progresser à chaque fois que l'on change de niveau (sachant que l'on peut aller à priori jusqu'au niveau 25). Ici, ils sont au nombre de trois et nous permettent chacun d'évoluer dans l'un des styles de combat (lourd, léger et magicien ; pour résumer) dans le but d'obtenir de nouveaux pouvoirs, ou pour en renforcer d'autres. En outre, il faut également parler d'un système de skills que l'on peut débloquer en remplissant certaines conditions (comme tuer tel nombre d'un type d'ennemi précis, ou bien avec une manière particulière...), en prenant en compte le fait que les récompenses peuvent être très intéressantes - gagner plus d'expérience après chaque combat par exemple - ce qui est donc fort aguicheur.
Barbecue de poulpes volants
Quant au bestiaire, j'ai été surpris de constater quelques pointes d'originalité par moment, même si l'on se bat assez souvent contre les mêmes ennemis. On remarque un certain manque de diversité, néanmoins heureusement, les monstres qui sont présents ne déçoivent pas et la plupart arborent même un design bien senti, quelque fois tordu. Il faut aussi noter que les boss sont souvent de taille imposante, les créateurs semblants s'être amusés là-dessus pour tenter de nous offrir quelques combats épiques, ce qui s'avère être assez réussi.
Toutefois, le gameplay ne se résume pas qu'aux seules joutes, et comme cela devient une tradition dans le milieu, Bound by Flame dispose lui aussi de son propre système de crafting. Et force est de constater qu'il s'avère être fortement ingénieux et plutôt intuitif, ce qui est donc une bonne nouvelle pour ceux qui ont pris la sale habitude de ne pas trop exploiter ce genre de choses dans les RPG. C'est simple, on récolte des matériaux un peu partout, ou alors on en obtient en démantelant certains objets, et avec, on peut construire de toutes nouvelles choses.
Ce système n'est pas anodin puisque le jeu nous permet de personnaliser notre équipement tout entier ; un effort bien vu de la part des développeurs. Du pommeau de votre épée à vos diverses pièces d'armure, tout est personnalisable et le résultat n'est pas que dans le visuel puisque les caractéristiques de votre équipement en sont forcément affectées. Entre ça et la progression sur les trois arbres de compétences, le jeu nous laisse donc assez libre de nous orienter dans la direction que l'on souhaite.
Et encore, ce n'est pas tout. Un peu à la manière d'un Fable, on peut ici choisir de diriger le héros vers une voie démoniaque (grâce - ou à cause - du démon de feu qui nous possède), ou plus sage en fonction de nos actions et de nos choix de dialogue avec les autres personnages. Pour le coup, les changements sont très significatifs puisque vous pourrez vous enfoncer dans l'aspect démoniaque de façon définitive. Cela se ressentira physiquement d'une part et dans vos attributs d'autre part (votre défense sera par exemple singulièrement affaiblie, mais vous obtiendrez une grande puissance en retour). A vous de choisir votre voie !
Un peu de vie, que diable !
Le scénario, quant à lui, ne risque guère de vous surprendre par son audace. Car il serait de bonne foi d'avouer qu'il est très convenu, et malheureusement assez léger dans son écriture. On y trouve des scènes prenantes, certes, toutefois beaucoup de dialogues ne suscitent que peu d'intérêt. Ils sont pourtant très bien doublés (pas en français par contre, un comble), en dépit des textes qui ont tendance à paraitre un peu creux. Ceci sans doute à cause des personnages, dont la plupart manquent franchement de densité et s'oublient bien vite après les avoir rencontrés. Dommage car le fond de l'histoire n'est pas mauvais, et vous maintiendra surement en haleine malgré le peu de place réservé aux surprises tout au long de la trame.
Ce que l'on regrettera le plus, c'est ce manque de vie qui ressort de l'expérience. L'univers parait terne, les quelques zones habitées sont très loin de ce que l'on a pu voir dans des titres tels que The Witcher 2 ou Fable III en terme d'animation et de vivacité. Dans Bound by Flame, c'est plus monotone, voire triste...
Le level-design est lui aussi relativement basique, et ne se prête pas vraiment à l'exploration. Pas de caves ou de longs donjons à explorer, puisque la plupart du temps, on traverse des lieux qui se veulent généralement dirigistes pour déboucher sur des endroits un peu plus vastes où de vilains ennemis nous attendent de pied ferme histoire de partager quelques combats ensemble. Ceci dit, ceci n'est absolument pas un défaut pour ceux qui ne recherchent pas un monde ouvert à la Elder Scrolls, et puis l'aventure nous laisse une liberté suffisante pour choisir quelles quêtes nous voulons accomplir en priorité.
C'est bien, c'est beau, mais...
Les annexes, justement, sont d'une qualité assez variable. Elles ne sont pas toutes aussi bien écrites comme on l'aimerait, même si quelques unes sortent du lot pour tirer le tout vers le haut. Elles ont toutefois le mérite d'être souvent bien incorporées en sus du contexte de la quête principale. Abordons également brièvement les éventuelles aventures amoureuses, qui se comptent au nombre de cinq, et qui sont au final assez... expéditives. Néanmoins, ce n'est pas non plus là que l'on trouvera l'intérêt du jeu, honnêtement. Cependant elles permettent, avec les quêtes, d'améliorer la durée de vie du jeu qui aurait pu souffrir d'une quête principale pas si longue que ça (pour ma part, je l'ai achevé en une quinzaine d'heures).
Sur le plan technique, Bound by Flame propose des environnements beaux à contempler, pas forcément très variés mais souvent bien conçus. Des textures semblent malgré tout plus fades que d'autres, tandis que toutes les animations ne sont pas parfaites et que les visages, eux, apparaissent parfois trop statiques (à l'instar de la mise en scène en général, en fait). Mais ces quelques défauts ne sont que tout à fait secondaires, puisque les graphismes, même s'ils sont encore loin de ce qui se fait de mieux techniquement à l'heure actuelle, sont également très loin d'être moches. Le résultat final est en réalité plus qu'agréable, surtout compte tenu des moyens limités du studio géniteur. La bande-son, signée Olivier Derivière, est vraiment envoutante avec des thèmes qui nous font voyager et qui se trouvent toujours dans le bon ton de l'action. Même si là encore, on peut pointer du doigt un petit manque de diversité puisque l'on entend souvent les mêmes pistes durant le jeu et qu'elles ne se renouvellent pas assez.
Il est totalement évident que Bound by Flame est imparfait. Cependant il a aussi de nombreuses qualités à offrir aux amateurs de RPG occidentaux. Le principal, au final, c'est que l'on ne s'ennuie quasiment jamais en parcourant cette quête classique mais pleine d'efficacité, portée par des combats soutenus et des systèmes généralement bien rodés. La nouvelle partition de Spiders mérite notre considération, et peut-être plus si on sait faire l'impasse sur ses défauts.
Ce n'est pas le RPG occidental ultime qui fera tomber The Witcher 3 avant l'heure, c'est certain, mais ce n'est pas non plus cela qui était attendu de la part de Bound by Flame. Si vous recherchez un jeu de rôle au gameplay solide, avec un bon challenge et un emballage global honnête, il fera l'affaire sans problème. Il ne s'adresse en revanche pas à ceux qui exigent une liberté démentielle, une réalisation de très haute volée ou un scénario audacieux, puisque ce n'est absolument pas ce que l'on trouvera dans le petit protégé de Spiders Games. Ses développeurs rêvaient peut-être de quelque chose de plus fort encore, mais la cruelle limite des moyens a apparemment eu raison d'eux ; et leurs nombreuses idées, qui forment une sorte de pot-pourri du genre, n'ont pas forcément pu être exploitées à fond comme on l'espérait. Ainsi, on ne peut que se retrouver frustré par le manque de finition qui mine le titre. En attendant, un constat terrible mais néanmoins réaliste risque de coller à ce Bound by Flame : c'est pas mal, mais ç'aurait pu être mieux !