Il y a des studios où des licences que l'on regarde de loin, dont on vous chante les louages mais pour lesquels la barrière de la langue est l'ultime obstacle empêchant de satisfaire sa curiosité.
Experience est de ceux là, ce studio étant désigné comme un des derniers défenseurs du dungeon-crawler old-school (tout comme
Acquire et
Starfish), cet old-school où artworks léchés côtoient animations minimalistes et gameplay riche mais intransigeant. Donc quand l'annonce de la première localisation d'un de leurs jeux tombe,
Demon Gaze pour ne pas le nommer, on ne peut qu'être satisfait. Maintenant il s'agit de voir si la réalité va se conformer aux fantaisies de la fiction.
Groz'yeux
Oz (nom par défaut du héros, qu'on désignera ainsi par la suite) fait partie de ces héros de RPG dont l'aventure commence de manière peu aguicheuse : il est amnésique, enfermé dans un donjon, et surtout il n'a pas d'arme face à un démon qui le pourchasse et qui prend plaisir à casser le silence des lieux avec les cris de ses victimes. Manque de bol pour le démon, Oz rencontre une guerrière du nom de Lancelorne qui lui apprend qu'il est un Demon Gazer, un être disposant d'un œil magique qui permet de capturer les démons et d'utiliser leurs pouvoirs. Plutôt bon apprenti, il se sert rapidement de sa nouvelle aptitude, au détriment de son bourreau qui devient son tout premier allié. Il est ensuite guidé par Lancelorne à la Dragon Princess Inn, seul havre de paix dans un monde ou les démons pullulent. Oz devient résident malgré lui de cette auberge aux résidents atypiques, et la nature de son pouvoir en fait vite la coqueluche des lieux. Surtout, cela fait de lui le seul disposé à capturer les dix démons majeurs et donc à prévenir l'avènement des ténèbres. Vous avez dit choix forcé de carrière ?
Une introduction qui se case en dix minutes et qui annonce la couleur, à savoir cette méthode so japonaise où sérieux et fin du monde se métissent avec des à-côtés bien plus légers, le côté très bariolé du jeu donnant très vite le ton. Et quand je dis se métissent, c'est carrément sauter du coq à l'âne en pleine conversation, avec en prime l'emploi d'un fan-service vraiment persistant. Gags et situations tordues se suivent et ne se ressemblent pas, les différents NPC qui habitent l'auberge sont aussi singuliers les uns que les autres, en particulier les personnages féminins qui ne manquent pas une occasion de tomber le haut et de montrer une affection de plus en plus insistante pour notre héros. Un aspect coquin totalement assumé par le soft (et qu'on retrouve jusqu'aux équipements, puisque l'on peut s'équiper des sous-vêtements des différents personnages féminins...) qui prend le pas sur l'intrigue de base. Laquelle n'est d'ailleurs pas vraiment affriolante, qu'on oublierait presque justement à cause de cet aspect fan-service. Heureusement la narration vous rappelle sans cesse, avec insistance et dramatisme entre deux blagounettes, que la fin du monde approche et qu'il faut se magner. Un peu comme si le scénariste lui même n'y croyait pas vraiment.
A l'ancienne
Demon Gaze est un dungeon-RPG dans la plus pure tradition du genre, avec déplacement case par case à la première personne et compagnons totalement muets qu'on doit construire de A à Z. Mais avant de partir il faudra quand même se préparer à l'auberge, qui sera le seul et unique centre d'opérations du jeu. On y trouve un marchand d'objets, un d'équipements et un styliste pour changer l'apparence de nos personnages. Plus important, un autre PNJ, Prometh, qui elle est au sous-sol, permet de ressusciter les unités décédées, d'accéder à un espace de stockage, puis surtout d'utiliser l'Ether Mill, un sympathique outil pour renforcer notre équipement à la condition d'en sacrifier d'autres au préalable. Ce qui alimentera une jauge propre au genre de l'équipement. Si vous sacrifiez des armures lourdes, alors une jauge armure lourde sera incrémentée et on pourra l'utiliser pour améliorer d'autres armures lourdes, par exemple. Un étage est entièrement réservé à notre équipe, chose plus symbolique qu'autre chose car les interactions sont véritablement limitées. On peut néanmoins aménager les chambres avec des meubles et des accessoires, ce qui octroie différents bonus aux personnages.
Le tour d'horizon de l'auberge se finit avec Fran, la gérante, qui sera celle qui vous permettra de transformer les âmes de démons capturés en clefs, nécessaires pour les invoquer. Mais plus particulièrement, elle vous fera les poches : il faudra régulièrement lui payer une rente pour la location des chambres et aligner les brouzoufs pour ouvrir de nouvelles chambres et augmenter la taille de son équipe, qui est de cinq personnages au maximum (huit si on additionne les trois dont on peut diposer en réserve). Ce n'est pas parce que vous avez le destin de l'humanité sur les épaules qu'il faut en oublier les règles de base de l'économie. Si vous avez les poches trouées, pas de panique, la belle vous fera une ardoise. Une situation qui peut arriver au tout début car on dispose de peu de moyens, mais il faut vraiment le vouloir par la suite car les piécettes se cumuleront aisément.
Why so 80's ?
La création de personnages se fait sur une base de cinq races / sept classes, sachant que chaque race montre des prédispositions statistiques : les elfes sont idéalement des magiciens car ayant le plus haut cap en intelligence, par exemple. Un choix de race qu'on peut faire sans se soucier de l'apparence qui en découle : dans Demon Gaze, on peut offrir l'apparence, le nom et la voix que l'on veut à n'importe quelle unité, et changer cela à tout moment grâce aux services du styliste. Pas juste l'apparence d'ailleurs, l'équipe est totalement personnalisable : à chaque gain de niveau, il faudra choisir où investir les points de statistique. Les compétences elles, s’acquièrent automatiquement au fil des niveaux gagnés. La customisation, outre les classiques équipements attaque/défense, passe aussi par un système d'objets appelés 'Artifacts', qui octroient à n'importe quel personnage un skill d'une autre classe : une porte ouverte de plus à la création de builds car on peut créer des profils vraiment surpuissants.
Comme dit un peu plus haut, Demon Gaze est un RPG relativement classique dans le fond et dans la forme, on y retrouve donc le b.a.-ba du level-design donjonesque : les murs et les sols piégés, les salles plongées dans le noir, les passages à sens unique, les énigmes à base de téléporteurs et d'interrupteurs, les salles cachées, ainsi que plein d'autres petits trucs qui vont vous mener la vie dure. A chaque nouveau donjon, le but sera de le retourner de fond en comble afin de trouver des "Demon Circle", symbolisant l'influence d'un démon majeur dans une zone, et de tous les conquérir afin de forcer le grand méchant loup à sortir de sa tanière. Cet aspect exploration se dote d'un petit aspect social original, appelé le Gazer Memo : on dispose de la possibilité de laisser des messages au sol et de les partager avec les autres joueurs. Outre le fait de constater qu'une communauté peut parfois être bien tordue ou vicieuse, elle peut aussi être très éclairée et de nombreux messages peuvent aider à la progression dans un donjon, en indiquant où se situent les salles cachées et les gros dangers. Fonction qu'on peut désactiver, au passage.
A noter que je n'ai pas employé le mot coffre, tout simplement car il n'y en a (quasiment) pas : on pourra trouver des consommables et des objets divers, symbolisés sur la carte par un symbole en forme de fiole, quelques objets rares à la conclusion de combats de boss/mini-boss, mais l'exploration en elle même n'offre pas pas de vraies récompenses notamment du point de vue de l'équipement. Sachant qu'en plus il n'y a pas de craft, que les monstres n'en lâchent pas et que le marchand d'équipements ne sert littéralement à rien, comment se mettre à jour ?
La réponse : les gemmes. Au fil du jeu, on obtiendra des gemmes liées à une catégorie d'équipements (gemme épée, gemme armure lourde, gemme accessoire, etc), et il faudra en jeter au maximum trois dans un Demon Circle pour déclencher un combat qui à sa conclusion offrira de l'équipement lié aux gemmes ainsi utilisées. Donc si vous utilisez une gemme accessoire et deux gemmes épée, alors à l'issue du combat vous aurez un accessoire et deux épées. C'est une loterie dont on ne sait jamais ce qui va sortir, vous pouvez très bien récupérer trois pièces justes bonnes à la revente ou à sacrifier à l'Ether Mill, ou à l'inverse chopper de l'équipement rare, déjà amélioré voire sur-amélioré. C'est la seule manière de récupérer de l'équipement normal dépassant +10, qui est la limite de l'amélioration via l'Ether Mill, sauf pour les équipements rares qui peuvent atteindre +30 .On peut cependant forcer un poil le destin en utilisant des gemmes rares pour améliorer la qualité et/ou le nombre de récompenses. Ajoutons à cela le fait que la difficulté du combat n'est pas lié à la valeur du loot, et qu'un Control Circle utilisé est un Control Circle désactivé jusqu'à ce que l'on retourne au QG.
Cette manière de procéder donne franchement un goût fade à la recherche active de récompenses, laquelle se résume à tourner en rond dans un donjon en usant tous les cercles, ou à recharger indéfiniment sa sauvegarde jusqu'à obtenir quelque chose de potable. On ne trouve pas non plus de vraies récompenses liées à l'exploration : découvrir entièrement une carte offrira juste un un peu de fierté à celui qui l'a fait. Le développeur a pensé à intégrer une option d'auto-move (vous pointez un point sur la carte et le jeu vous y déplace tout seul), qui rend l'exercice un peu moins fastidieux. Les gains glanés auront toujours un mauvais arrière-goût avec les quêtes annexes, dont la plupart sont des objectifs de la trame principale. Tant scénaristiquement que matériellement, les rétributions sont plus que modestes voire carrément anecdotiques. A l'exception d'encore plus de scènes fan-service et de quelques objets de résurrection ou de restauration de MP (rares ou couteux en temps normal), rien à signaler. La chose qui occupera le plus de votre temps restera les cartes à trésor, objectif secondaire du jeu : obtenues aléatoirement à la fin des combats ou de l'exploration, elles indiquent des coordonnées où sont cachées un trésor (soit des objets pour quête, soit une gemme ou un consommable rare) et le démon nécessaire pour l'obtenir. A noter qu'il n'est pas nécessaire d'obtenir une carte pour trouve ledit trésor, qu'aucun objet n'est définitivement irrécupérable et qu'il y a toujours un Gazer Memo bien placé pour vous indiquer un emplacement.
Et mine de rien, ce cumul d'éléments renforce bien l'aspect linéaire du jeu : Demon Gaze n'est ni le premier, ni le dernier soft à nous faire courir après de l'équipement de plus en plus puissant, mais la manière dont il le fait lourde le joueur et s'avère inutilement fastidieuse. D'autant plus que le mode auto-battle est aux abonnés absents (on peut juste répéter le dernier tour effectué) et que l'on ne peut pas éviter les combats à 100%. Enfin comme dit précédemment, il ne nous est pas permis d'allier l'utile à l'agréable car la difficulté d'un combat n'est pas en adéquation avec la qualité de la récompense.
Fight fight fight !
Pour les combats, on reste aussi dans le très classique avec maximum cinq personnages sur le terrain, pour lesquels on peut décider s'ils vont se situer en première ligne ou en retrait. Le nombre d'ennemis varie du "facile un seul" au "mon dieu il y en a sur trois rangées" et la mise scène des affrontements se présente sous une forme très minimaliste. On peut attaquer, fuir, utiliser de la magie offensive ou de soutien, se défendre, utiliser des objets et également avoir recours à des capacités propres à la classe du personnage en question. Le Demon Gazer aura lui accès à une catégorie unique de capacités, permettant d'invoquer un démon sur le terrain et d'avoir recours à des capacités liées aux démons. A savoir qu'un démon dispose de son propre capital point de vie, qu'il est considéré comme une unité indépendante et que l'on n'exerce aucun contrôle sur son comportement. Une fois vaincu, il est indisponible jusqu'à la fin du combat, sachant que l'on pourra en "équiper" au maximum trois que l'on pourra librement interchanger à chaque passage à l'auberge ou sur un Demon Circle.
Chacun des dix démons aura ainsi ses avantages et ses inconvénients, que ce soit en actif ou en passif : Chronos par exemple, troisième démon récupéré, est une barrique à points de vie dont les capacités passives et actives augmentent la défense. De plus, il permet d'ignorer les sols piégés lors de l'exploration. Attention cependant car le recours aux pouvoirs démoniaques n'est pas gratuit, il consomme une jauge appelé Demon Power (en haut à gauche sur les images) qui se vide au fil des sollicitations et qui ne se remplit qu'en tabassant des ennemis. Si elle s'épuise, le démon actif rentre en mode rage et ne fait plus de distinctions entre alliés et ennemis. On peut également le faire rentrer en mode rage volontairement avec une capacité d'Oz, auquel cas il restera du côté du joueur... sauf si la jauge de Demon Power se vide.
Toutes ces composantes mixées ensemble dans la folie du combat résultent en un système très solide. Que ce soit lors des combats aléatoires ou de boss, il faut redoubler de prudence et faire attention aux moindres changements de situation, qui peuvent retourner la partie en un tour lorsque mal gérés. Le jeu offre vraiment tous les moyens de faire face à toutes les situations, que ce soit grâce aux capacités ou aux objets. Je dis doubler, mais il s'agit plutôt de tripler de prudence, car l'interface est aussi austère que la mise en scène des affrontements. Pour les têtes en l'air il faudra souvent avoir recours au 'log' (qui retrace le déroulement du combat) pour savoir quelles actions, pas directement visibles sur le terrain, ont été lancées par l'ennemi. En outre la difficulté est très mal calibrée, on fait régulièrement face à des pics de difficulté aussi soudains que violents tout le long du jeu. Un effet qui tend à s'atténuer au fil de la progression et de l'acquisition des compétences et des artefacts, mais sans jamais s'effacer (à noter que vers la fin de l'aventure, on peut acquérir un objet qui annihile toute notion de difficulté, à en transformer le boss de fin ou les boss cachés en agneaux quasi-inoffensifs !). Accrochez-vous d'ailleurs pour les premières heures, particulièrement violentes et ce jusqu'au vrai premier boss.
La direction artistique du jeu est très typée "manganime" générique. Ce n'est ni mauvais ni exceptionnel, très coloré et très propre dans son ensemble. Le character-design ne laissera pas un souvenir impérissable. A l'inverse le monster-design est bien plus réussi, et même si on n'échappe pas à la théorie de l'évolution avec le même monstre recoloré trois ou quatre fois, il est suffisamment diversifié et joli pour estomper cet aspect. Une grande partie de ce bestiaire est d'ailleurs tiré des précédents titres du studio,
Students of Round en tête. D'ailleurs, quitte à parler des travaux antérieurs d'
Experience, c'est presque vexant de constater le style passe-partout de
Demon Gaze quand on voit le coup de crayon qui illustre leurs anciennes créations...
La bande son de
Naoki Jimbo (inconnu de par chez nous, mais associé depuis quelques années à
Experience) et sa trentaine de pistes ne resteront pas dans l'histoire, mais reste relativement diversifiée et bien associée aux situations qu'elles soient burlesques, tragiques ou épiques. Les pistes liées à l'exploration respectent un certain 'cahier géographique' des charges (
une piste planante pour le donjon de la forêt par ci,
un orgue accompagné de chœurs pour le dernier donjon par là), mais seulement pour la moitié des cartes. Pour l'autre il faudra se contenter des bruits de pas et des différents bruits de fonds pour avoir un tantinet d'ambiance, car sinon c'est le silence. Au final ce sont les pistes de combat qui s'en sortent le mieux, le piano côtoie la guitare et aussi un bon synthé bien rétro, et elles arrivent à ne pas lasser ou casser les oreilles même après 1000 combats au compteur. A noter que toutes les musiques d'affrontement et certaines de fond ont droit à des vocalises, que l'on doit...
à une Vocaloid, du nom de IA.
Comptez entre trente et quarante heures pour boucler la quête principale, à laquelle on peut rajouter deux donjons et deux, trois quêtes post-game pour occuper quelques heures de plus. Le jeu offre la possibilité de changer de difficulté à l'auberge, chacun peut donc ajuster le jeu à sa convenance ; plus le mode de difficulté sera haut, plus les ennemis taperont forts mais plus les chances de grosses récompenses aux
Control Circle seront élevées. Le jeu dispose également d'un New Game+, relativement anecdotique dans la mesure où il ne débloque rien de plus et que rien n'est définitivement perdu dans une partie normale.
Demon Gaze représente le tout premier contact d'
Experience avec l'occident, et un tout premier contact qui n'est ni mauvais, ni vraiment excitant. Très classique dans son approche avec cependant une petite touche d'originalité via le système des démons, le soft arrive à trouver un point d'équilibre entre système de combat solide ainsi que déroulement rapide de l'action d'un côté, et un contenu mal servi accompagné d'un déséquilibre du gameplay de l'autre.
Demon Gaze reste un jeu globalement correct malgré son fan-service un peu trop présent (à croire que ces dernières années, c'est devenu un critère clé dans les études de marché...). En bref, on a là un titre qui saura contenter les aficionados du genre et correctement servir les néophytes. En attendant l
'Etrian Odyssey de la Vita ?
22/05/2014
|
- Old School
- Un système de combat solide
- Le système de démons
- Béni soit l'auto-move
- La personnalisation de son équipe/du jeu
|
- Old School ?
- Contenu un poil chiche
- La difficultée mal équilibrée
- Le système de récompense via les gemmes
- Le fan-service omniprésent
|
TECHNIQUE 3/5
BANDE SON 3/5
SCENARIO 2.5/5
DUREE DE VIE 3/5
GAMEPLAY 4/5
|