12/01/2016
(en Français)
Site officiel
Editeur : Stoic Disponible uniquement en dématérialisé
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The Banner Saga
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The Banner Saga
Game of Horns
Si on vous dit Stoic, et qu’en retour vous nous répondez « mot anglais relatif à un trait de caractère », personne ne vous en tiendra rigueur. Pourtant depuis début 2012, ce terme se réfère également à une société de développement de jeux vidéo basée au Texas. Le studio a été créé par trois hommes qui ont en commun d’avoir travaillé au sein du déifié studio Bioware, sur le déserté Star Wars : The Old Republic. Après un an d’existence sort leur première production, The Banner Saga : factions, un jeu gratuit qui n’est autre que la facette multijoueur du jeu dont nous allons parler aujourd’hui.
Ce n'est donc qu'en Janvier 2014 que Stoic décide de nous offrir la vision solo de cette saga de la bannière. Évidemment comme le veut la tradition depuis 2012, une campagne de financement participatif n’est pas étrangère à la réussite du projet. C’est donc avec la coquette somme de 700 000 dollars - récoltée en avril 2012 - que les développeurs texans ont pu façonner ce The Banner Saga. Un jeu qui, s'il était sorti à une époque où les boîtes étaient encore à la mode, aurait indiqué fièrement au dos de cette dernière : incarnez des Vikings ; prenez part à des combats stratégiques au tour par tour ; profitez d’une narration mature sans concession.
Mais alors que la suite est déjà annoncée, Stoic ayant l’intention d’en faire une saga n’en déplaise au développeur autoproclamé roi, penchons-nous donc sur ce premier voyage en terres nordiques.
Skyrim avec goodbye
Le monde de The Banner Saga, entouré de mers profondes et gelées, est mourant. Autrefois les astres formaient des constellations guidant les voyageurs sur ces eaux glacées. Aujourd’hui, ce ciel étoilé n’est plus qu’un amas de lumière anarchique. De jour, le soleil ne se montre plus, il n’est plus. Quant aux dieux, ils ont abandonné ces terres pour embrasser la mort. C’est dans cet environnement particulièrement réjouissant que les hommes et les Varls, puissants humanoïdes à corne, cohabitent et survivent.
Sortant de la forêt, une caravane composée de ces imposants Varls se dirige vers le village de Strand, principal lieu d’échanges de la côte ouest. Ubin, leader de cette compagnie, est mandaté par le roi pour collecter les taxes. Arrivé en ville et après une échauffourée avec quelques brigands locaux, notre groupe est rejoint par le prince des hommes, Ludin, qui lui aussi se rend à la cité de Grofheim où siège la royauté des géants.
Notre convoi se met donc en route. Malheureusement des dredges sont repérés dans les montagnes et l’affrontement semble inévitable. Un bien mauvais présage, deux grandes guerres contre ces colosses de pierres sont déjà inscrites dans les livres d’histoire. Et la seconde, qui avait bien failli marquer la fin de l’humanité et de la Varlité, devait avoir asséné le coup de grâce à ces créatures rocailleuses.
Loin à l’est, deux habitants d'un petit hameau de chasseurs, Rook et sa fille Alette, sont également témoins du retour des dredges. Terrifiés par cette découverte, ils rejoignent Skogr afin de prévenir leur chef. Trop tard, les colosses s’apprêtent déjà à lancer l’assaut. Iver, unique Varl de village et fin stratège, comprend rapidement que des fermiers inexpérimentés n’ont aucune chance face à ces créatures. Il conseille donc d’abandonner maisons et terres pour marcher vers l’ouest. Les pauvres hommes s’exécutent, notre seconde caravane se met en marche.
L’aventure va, pour un temps, se structurer ainsi : on va suivre tour à tour la progression des deux convois à travers les plaines enneigées, l’un en fuite, l’autre en mission. Très rapidement, deux personnages vont se retrouver malgré eux à la tête de leur groupe respectif. Une façon subtile de laisser le joueur libre de ses choix sans que le passif de ces leaders en herbe ne leur impose une conduite particulière.
Parlons des choix justement, part importante de la narration car peu d’évènements se dérouleront sans que vous ayez votre mot à dire, du grand conseil de guerre jusqu’à la simple altercation entre ivrognes. S’ajoute à cela les dialogues à choix multiples qui permettent d’approfondir autour du sujet de la conversation et les évènements, aléatoires ou non, où vos décisions auront une influence sur le casting et vos ressources. Attention nous ne sommes pas devant le successeur d’Alpha Protocol, et des choix qui apparaîtront cruciaux sur le moment n’auront au final que peu d’incidence sur la suite. Une liberté illusoire ? Oui et non. Si la structure de la trame est rigide, notre groupe de héros lui évoluera au fil de l’aventure, car une décision irréfléchie peut entrainer la mort d’un compagnon dans The Banner Saga. Au-delà de ça l’histoire en elle-même est plutôt classique, et si le ton très désespéré ainsi que l’alternance des caravanes permet de tenir le joueur en haleine, c’est avant tout l’écriture dans un anglais soigné et soutenu qui a des chances de le passionner.
Béni par Baldr
L’Independant Game Festival 2014 a déjà sélectionné ses finalistes. Et si The Banner Saga apparaît dans la catégorie « Excellence in Visual Art », ce n’est pas un hasard. Rendons ce texte interactif, à l’aide de votre souris, sélectionnez n’importe quel screenshot au-dessus de ce paragraphe. Si vous avez scruté les moindres détails de l’image en question pendant quelques minutes et êtes ébahi devant cette 2D d’une incroyable finesse, vous avez réussi l’épreuve. Si vous n’avez rien ressenti, alors le texte qui va suivre risque d’être particulièrement barbant.
La direction artistique du titre est une si ce n’est sa plus grande qualité. Tous les aspects visuels de The Banner Saga ont bénéficié d’une attention particulière : le design des personnages dépourvus d’ombres qui pourra évoquer les Disney des années 50 ; la carte minutieusement détaillée où chaque forêt, chaque chaîne de montagnes bénéficie de sa propre histoire, de sa propre légende ; les décors à l’aspect vectoriel que nos yeux auront tout le temps de contempler lors des longs travelings - pour emprunter au langage cinématographique - qui illustrent la progression de notre groupe sur ces terres enneigées. Et si la lenteur de ces déplacements est aussi là pour nous rappeler à quel point cette expédition non désirée est rude, le zoom à l’approche d’un immense rocher sculpté en hommage aux dieux balayera ces idées noires pour ne laisser qu’un sentiment d’émerveillement.
Malheureusement tout comme les belles illustrations d’un livre de conte ne prennent vie que dans notre imagination, la plupart des plans que propose The Banner Saga sont terriblement statiques. Pour illustrer, les dialogues sont présentés comme un face à face d’artworks, et si une petite brise viendra parfois caresser une tresse, vous n’aurez pas le droit à beaucoup plus de mouvement. Une impression de statisme renforcée par l’aspect très écrit de la narration. Ainsi, en plus des nombreux dialogues non doublés, les évènements secondaires qui rythmeront la vie de nos voyageurs seront racontés et non montrés. Devant un tel constat, les combats font figure d'exception, ici, chaque coup d’épée asséné à la chair ou à la pierre bénéficie d'une animation.
Quant à la bande-son, elle est composée par Austin Wintory qui s’est illustré dans le milieu en travaillant sur le respecté Journey. Très inspirée par la musique folk nordique, on y retrouve des mélodies discrètes souvent jouées par des instruments à cordes et des percussions qui adoptent une attitude martiale. Le tout quelque fois accompagné de voix masculines dans le ton des chants traditionnels. Des musiques tout à fait en accord avec l’habillage visuel du jeu donc.
Enfin, la progression est systématique dans The Banner Saga. Pas de retour en arrière, l'avancée est une perpétuelle fuite en avant. Lorsque l’on entame un chapitre dans un village rallié précédemment, on y fait ce que nous avons à y faire avant de reprendre la route jusqu’à notre prochain point de chute. Pendant ce voyage la vie du convoi va être rythmée par des évènements généralement prédéterminés et plus rarement aléatoires. La plupart des combats par exemple, sont immuables et un rechargement de sauvegarde le relancera au même endroit que précédemment. C’est pendant cette avancée que la concise mécanique de gestion va entrer en jeu.
Votre caravane est dotée de trois types de ressources : les paysans, soldats et Varls qui la composent, la renommée gagnée majoritairement en combat et enfin la nourriture. Ces trois composantes fluctueront lors des évènements. Typiquement votre groupe va s’agrandir si vous acceptez des réfugiés rencontrés lors de votre périple. Et il n'est pas impossible que ces nouveaux venus soit animés par de mauvaises intentions, alors, personne ne sera étonné s'ils vous abandonnent quelques jours plus tard, emportant avec eux quelques vivres. Car le groupe justement a besoin d’énergie lors de ces longues journées de marches. Et un manque de ces consommables provoquera le décès de compagnons jusqu’au prochain village où vous pourrez espérez vous ravitailler. Ces ressources, tout comme les objets et les montées de niveaux de nos personnages, se payent en point de renommée. Enfin, le moral des troupes est géré et influence les combats tactiques, nous allons y venir.
Le seigneur des carreaux
Le système de combat pour finir donc. Du RPG tactique au tour par tour dans la plus pure tradition japonaise. Avant d’entamer le premier tour d’un combat vous aurez la possibilité d’organiser le placement de vos petits soldats. Six unités maximum sont disponibles par affrontement, le choix vous est donné entre des humains qui nécessitent une case pour être placés et des Varls qui en nécessitent quatre. Le jeu introduit un système de classes, de l’archer à l’éclaireur, cette spécialisation est définitive et choisie sans que vous ayez votre mot à dire. La classe conditionne évidemment la manière de jouer l’unité, en plus de lui offrir une compétence spéciale et une habilité passive fixe, elle détermine l’arme qu’elle a entre les mains.
Une fois la bataille lancée, vous jouerez tour à tour avec l’ennemi, qu’importe la supériorité numérique de l’un ou de l’autre. Ceci jusqu’à ce que l’un des deux camps n’ait plus qu’une unité sur le terrain - de préférence, votre adversaire, là le combat entre en mode pillage et l’ordre des tours est modifié : toute vos unités jouent, puis vient le tour du dernier dredge encore debout.
Pour se différencier de la masse, The Banner Saga introduit un système de point d’armure bleu et de point de vie rouge. Concrètement chaque unité alliée ou adverse est dotée de ces statistiques. Lorsque vous décidez de frapper l’adversaire, vous avez le choix entre taper son armure ou sa vie. Quel intérêt ? Supposons que vous vous attaquiez à l’armure d’un vil mécréant, les dégâts seront déterminés par les points de « brise armure » de votre personnage. Maintenant si vous choisissez la vie, les dégâts occasionnés sont calculés ainsi : vos points de force auquel on soustrait ses points d’armure. De ce fait, plus vous affaiblissez l’armure de l’unité, plus vos attaques futures ont des chances de réduire fortement sa jauge rouge. Cependant vos points de force et de vie sont une seule et même chose, ainsi plus votre vie s’approche du fatidique zéro, moins vos attaques sont dangereuses. Enfin dans la situation où ses points bleus excèdent vos points rouges, 10% d’échec de l’attaque sont cumulés par point d’armure excédentaire.
Évidemment ces règles de base connaissent des nuances à travers les statistiques suivantes : l’effort et la volonté. L’effort détermine le nombre de points de volonté utilisables par action. Et un point de volonté permet de déplacer son unité une case plus loin, d’ajouter un point temporaire à sa force ou d’utiliser son habilité spéciale. En plus des points de volonté propre à chaque personnage, il est possible d’en stocker dans un compte commun qui prend la forme d’un cor situé en haut de l’écran. Au début du combat, ce cor contient déjà un certain nombre de points de volonté déterminé par le moral du groupe, et chaque ennemi tué le remplit d’un point supplémentaire.
Revenons rapidement sur la notion de renommée évoquée précédemment. Nous avons déjà précisé qu’elle constituait la monnaie globale de The Banner Saga. Comme les âmes d'un Demon's Souls, c’est donc aussi valable pour la notion d’expérience. Une fois qu’un de vos personnages a accompli sa basse besogne et terrassé un certain nombre d’ennemis, il peut être promu. En échange d’un montant de renommée, il pourra porter de meilleurs équipements, espérer voir son habilité se renforcer et faire évoluer ses statistiques. Et ces cinq caractéristiques ont été présentées tout au long de ce paragraphe : l’armure, la force, la volonté, l’effort et la capacité à biser l’armure.
Malheureusement tout comme le désespoir gagne le cœur de nos héros face aux assauts répétés des dredges qui déferlent sur eux telle une marée noire infinie, l’enchainement de ces affrontements finit par nous emplir de lassitude. Plusieurs prévenus sont appelés à la barre : les cartes rectangulaires sans gestion du relief, la personnalisation des personnages qui se limite à un accessoire, les ennemis qui n’excèdent pas dix variations différentes, les combats de boss qui atteignent le nombre exceptionnel de deux.
The Banner Saga c’est donc aussi une suite de combats répétitifs. La mort étant temporaire et chaque personnage ne disposant que d’une compétence spéciale - à l’exception du mage, les possibilités tactiques se trouvent rapidement limitées. On se lance dans la bataille sans trop réfléchir et on enchaine les belliqueux morceaux de cailloux en espérant qu’un de nos compagnons tiendra encore sur ses deux jambes à la fin. On prie pour qu’un frêle archer n’attire pas l’attention d’un colosse au risque que ce dernier ne le poursuive jusqu’à la mort, les compétences de soin manquant à l’appel. Mouais.
Vous êtes fan de déplacements sur damier, de sous-menus en cascades et d'actions réfléchies ? Soyez prévenu, la saga de la bannière introduit une mécanique innovante dans ses combats stratégiques mais ne prend pas la peine de rendre le système global suffisamment touffu pour passionner jusqu’à la fin de ce périple d’une dizaine d’heures. Comme si la volonté des développeurs était avant tout de proposer une aventure narrative.
Cette impression est appuyée par la qualité de cet aspect. The Banner Saga est un jeu qui renforce notre implication à travers des choix, parfois accessoires, parfois lourds de conséquences. Mais c’est surtout un titre qui nous propose une aventure à l’écriture savoureuse et au ton tragique assumé, qui saura nous tenir en haleine jusqu’à son final poignant.
Une épopée qui prend vie grâce à une réalisation visuelle et sonore de haute volée, et si ce massif bloc de glace dérivant sur les mers du nord est assurément statique, bercé par la lumière du soleil, il scintille comme rarement un titre 2D avait brillé jusque-là.