Citizens of Earth, c'est avant tout l'histoire d'un miraculé de la scène
Kickstarter : vers la fin 2013, l'équipe de
Eden Industries tente sa chance sur la plateforme de financement participatif avec
Citizens of Earth, curieux et décalé projet se voulant une sorte de mélange entre
Earthbound et
Pokémon. Un projet qui ne rencontre pas le succès avec à peine plus d'un tiers de la somme réunie au terme du délai imparti, et qui aurait sans doute obligé le studio à faire comme nombre d'autres avant lui : retenter sa chance, se résigner à faire sans financement voir abandonner tout court. Et je dis bien "aurait", car une opportunité en or s'est finalement présentée en la personne de l'éditeur
Atlus, à qui le jeu a visiblement tapé dans l’œil. Un peu moins d'indépendance pour un peu plus de moyens et de savoir faire, ce n'est pas négligeable. Voilà donc le studio libéré de pas mal de contraintes, et c'est un peu plus d'un an plus tard (après quelques report successifs, néanmoins) que son titre très coloré débarque.
Gouverne-et-ment
Fraîchement élu Vice-Président du Monde, le petit bonhomme qui sert de protagoniste à Citizens of Earth (et que l'on surnommera "VP") décide de rentrer chez lui afin de profiter d'un repos bien mérité avant d'être officiellement investi dans ses nouvelles fonctions. La bonne vieille odeur de sa chambre, la liberté de laisser traîner ses slips sans être inquiété par la presse, une maman aux petits soins, tout est là comme dans ses souvenirs et rien ne semble pouvoir l'empêcher de passer un bon moment. Rien, sauf une horde acharnée de manifestants venus gueuler sous sa fenêtre, obligeant notre brave politicard à agir avant l'heure... et de s'apercevoir que les manifestants ne sont que la partie émergée de l'iceberg : scouts agressifs shootés au sucre, panneaux stop sortant de terre et tabassant les passants, apparition de poulpes géants se prenant pour des membres de la DDE, notre brave VP se retrouve face à une ribambelle de choses étranges dont la liste s'allonge heure après heure. Mais hardi gaillard, en tant que représentant du peuple il est de son devoir de venir à la rescousse de ses administrés et d'user de tous ses talents pour trouver qui se cache derrière ce souk. Si possible en en profitant pour glaner quelques voix sans avoir à abîmer son costume à 500$ car bon, faut pas déconner non plus.
Citizens of Earth ne perd ainsi pas de temps pour nous inviter en Absurdie, multipliant les scènes déjantées et les situations tirées par les cheveux histoire de bien nous faire comprendre qu'il n'y aura rien ni personne à prendre au sérieux dans l'aventure ; le scénario, pas bien costaud en l'état, est d'ailleurs juste un prétexte pour justifier les délires vécus par le VP. Un personnage qui n'est pas le symbole du jeu pour rien car il incarne à merveille son état d'esprit, lui qui est une bonne grosse caricature de politicard dont le bagou et l'égocentrisme sont indirectement proportionnels à la taille et dont chacune des répliques est remplie d'une amusante ironie. Et il n'est pas le seul, chaque personnage du jeu est un vrai simulacre sur pattes s'inspirant de profils so american dont on aurait amplifié à l'extrême les clichés, autant dans leurs designs que dans leurs personnalités. Et cela donne lieu à des dialogues truculents et décalés du début à la fin de l'aventure, dialogues qui en prime changent en fonction des compagnons du moment. Chaque personnage dispose également de son doubleur attitré histoire de renforcer son identité propre, et les nombreux dialogues du jeu reflètent également cet aspect. On sent qu'Eden Industries a mis le paquet sur l'aspect narratif du titre, et il faut bien avouer que c'est plutôt réussi.
Vis ma vie
Dès lors qu'il sera lâché sur les routes, notre VP aura donc pour mission de résoudre ces étranges problèmes. Et pour ça il faudra suivre la flèche, au moins tout au long du prologue et du premier chapitre. A partir du chapitre 2 - sachant que le jeu en comporte 6, prologue non-inclus - la progression est semi-libre, la totalité de la carte devient accessible et l'intégralité des quêtes et missions annexes peut être accomplie ; il sera cependant obligatoire de suivre les objectifs principaux, dans l'ordre, pour faire avancer l'histoire. Relativement classique sur la forme, l'exploration consistera à balader notre présidentiel héros sur terre, sur mer, voire même en dessous et dans le cyber-espace, à rentrer comme un sauvage chez les gens et à visiter des lieux qui feront offices d'improbables donjons. Et c'est plutôt amusant de voir ce schéma classique opérer dans un cadre tiré de notre monde moderne. Il faudra cependant faire avec une carte brouillonne à souhaits, sur laquelle il est impossible de zoomer, Eden Industries n'ayant pas vraiment pris la peine d'adapter la chose en fonction du support. Mes condoléances aux joueurs Vita et 3DS...
Meneur d'hommes avant tout, le VP n'est pas très doué de ses dix doigts ; pour tout dire le seul domaine qu'il maîtrise c'est la tchatche, et il laissera donc les autres faire le sale boulot. Il s'agira là de gens qu'il recrutera pour agir à sa place parmi les citoyens lambdas incarnant un job tiré du monde moderne : boulanger, professeur d'école, pompier, prof de yoga et j'en passe. On trouve exactement 40 citoyens à recruter et chacun fera l'objet d'une petite quête à accomplir avant de pouvoir compter sur lui. Bonjour la désacralisation du job de sauveur du monde ! Le jeu tourne véritablement autour de ces petits bonshommes qui ne sont pas juste de petits soldats mais la base même du jeu et de l'univers : en plus de leurs personnalités respectives, chacun dispose d'un talent unique qui trouve une influence directe sur le gameplay, l'évolution dans l'aventure et même carrément sur la manipulation des paramètres : la Policière offrira ainsi des avis de recherches tenant lieux de boss annexes, le Conspirationniste pourra enregistrer dans un calepin les profils des ennemis, la Présentatrice Météo permettra de changer les conditions atmosphériques, et l'on pourrait aussi citer le Chef Scout qui permettra de renommer tout et n'importe quoi. Bref, ces talents renforcent la personnalité et l'implication des citoyens et auront tous une utilité à un moment ou à un autre, en plus de rendre la vie du VP (et celle du joueur) bien plus agréable.
Cependant, cet aspect du jeu est gâché par un manque flagrant d'ergonomie et de bons sens : il faudra sans cesse repasser par le menu pour activer les capacités des citoyens. Logique pour celles qui donnent des effets passifs, agaçant quand il s'agit de capacités actives : le VP aura beau être devant un obstacle que seul la Jardinière peut dégager, il aura beau être devant la voiture que le Concessionnaire vient "d'invoquer", il aura beau être devant un ponton que seul le Capitaine peut utiliser, il faudra obligatoirement passer par le menu pour déclencher l'action. Pire encore, certains citoyens devront obligatoirement être intégrés à l'équipe pour déclencher un changement de zone, et il n'y aura aucun problème à dégager le-dit citoyen juste après être rentré. N'oublions pas non plus les marchands dont le talent consiste à offrir un accès à leur boutique... uniquement si l'on est dans la boutique en question. Quel intérêt ?
A noter également que certains talents doivent monter en niveau pour dévoiler tout leur potentiel, chose qui n'encourage pas vraiment à la découverte des aptitudes de nos joyeux compagnons.
Les combats suivent eux aussi un certain classicisme. Les ennemis, bien visibles sur le terrain, respecteront la règle du "un à l'écran = un en combat". Il sera possible de leur foncer dessus, ce qui soit déclenchera un combat soit éliminera directement la cible si celle-ci est plus faible que l'équipe. Méfiance cependant, tout ennemi entrant en contact avec l'équipe sera intégré au combat. On aura donc vite fait de se retrouver avec 3-4 adversaires pour un manque d'attention, et cela peut très vite piquer. D'autant plus que la fréquence de réapparition des ennemis est assez haute, que certaines zones affichent un nombre démentiel d'ennemis à l'écran, sans oublier que tous réapparaissent dès que l'on quitte la zone ce qui, au passage, rend très rapidement la progression fatigante. Bref passée une courte transition on arrive donc sur l'écran de combat, qui constitue probablement la meilleure raison de déconseiller Citizens of Earth aux épileptiques car son background se résume à des enchaînement psychédéliques de couleurs et de symboles.
Mettant en scène des combat au tour par tour, Citizens of Earth laisse sur le bord de la route le traditionnel système à base de MP. Ici, on parlera de points d'énergie. Chaque citoyen disposera d'un très large panel de compétences, certaines lui faisant gagner ces fameux points et d'autres les consommant ; il y a donc un peu gestion pour exploiter au mieux son équipe. On note également la présence d'une mécanique de forces / faiblesses élémentaires, avoir l'avantage étant synonyme d'un doublement des points d'énergies gagnés. A l'inverse, on en perdra le double si on attaque un ennemi ayant un avantage. Citizens of Earth échappe également à la règle de l'équipe-type, puisqu'on peut littéralement composer et décomposer son équipe à l'envie et que chaque personnage est efficace à sa façon ; à noter que si un combat se révèle trop tendu, il est tout à fait possible de le recommencer en modifiant l'équipe active. Les plus acharnés s'attarderont également sur la complémentarité de certains citoyens car le jeu permet de créer des enchaînements bien vicieux ou surpuissants en combinant les bonnes compétences. L'humour prôné par le soft s'invite également dans les affrontements, les capacités des alliés comme des ennemis étant inspirées de leurs jobs et du monde réel ce qui donne lieu à des affrontements qui sont, au moins textuellement, aussi farfelus que le reste. Un bon point à noter car en terme d'animations, il faut bien avouer que le soft est très pauvre.
Un système de combat très sympathique donc, mais qui ne s'appréciera totalement qu'en faisant grimpant un peu la difficulté avec l'aide de la Mascotte, le jeu étant relativement aisé en mode normal. Une facilité qui inflige un effet pervers sur le jeu, car elle n'encourage pas vraiment à la découverte des citoyens. On trouve d'ailleurs encore pire que ça à ce niveau, puisqu'il n'y a tout simplement pas de partage d'expérience ! Avec 40 citoyens de disponibles, la plupart sont acquis à un niveau très faible, et seuls deux moyens existent pour la mise à niveau : le talent du Professeur qui s'avère très, très onéreux ou le farming. Comment le studio a t-il pu passer à côté d'un défaut aussi énorme ? Au final, on en viendra plus à garder les trois ou quatre mêmes personnages tout au long du jeu qu'à faire tourner notre bande de joyeux drilles, qui feront office de trophées plus que d'autre chose.
Bound Earth
Une autre singularité de Citizens of Earth va venir de son design plutôt en marge de ce qu'on retrouve dans la production actuelle. Un bon style cartoon bien coloré et exagéré et qui s'accorde parfaitement avec le jeu, même s'il faut bien avouer que cela lui donne un cachet "jeu Flash de luxe" et que les environnements ne sont pas les plus originaux qui soient. Monde moderne oblige, me direz-vous. La bande-son quant à elle donne vite l'impression d'écouter des boucles sonores de 15-20 secondes pas vraiment inspirées, malgré une tentative louable de s'accorder au ton burlesque de l'aventure. Mention spéciale aux musiques de combat qui frôlent le soporifique. Mais s'il y a bien un point sur lequel le jeu peut difficilement se faire pardonner, c'est la désagréable impression qu'Eden Industries semble avoir oublié de tester son jeu qui reste truffé de bugs, de glitchs (parfois au point même de bloquer la progression !) et de crashs qui vont rythmer la vie du joueur. Impossible d'y échapper, même pendant de courtes sessions ! On se posera aussi la question de l'optimisation du soft vu les incessants et très agaçants temps de chargement qui surviennent à chaque changement d'écran. Le jeu dispose également d'une localisation en français, et s'il reste compréhensible de bout en bout, l'effort fourni est vraiment un travail de cochon : fautes, ligatures des lettres remplacées par des smileys, mise en forme des phrases à la ramasse (et vas-y que ça sort des bulles de texte, et que les mots sont attachés les un aux autres pour que ça rentre, et que le défilement des textes est pas pris en compte !) et j'en passe. Si l'on remarque en sus que les caractères spéciaux employés lors de la localisation sont laissés tels quels in-game, ça ne fait vraiment pas très sérieux.
Comptez 20 à 25 heures pour faire le tour de l'aventure, sachant que celle-ci ne dispose d'aucun contenu manquable. On trouve également un mode new game+ dont l’intérêt est relatif puisque, comme noté juste avant, rien ne peut vraiment être loupé et que le jeu n'a rien de plus à offrir au delà de la première partie.
Mise à jour de la review : courant avril 2015, le développeur a mis en ligne un patch pour le jeu. 1.7 go de patch (pour 1.2go de jeu, voyez le comparatif...) qui résout la plupart des problèmes techniques. En revanche tout le reste est laissé en l'état...
Citizens of Earth est un jeu délicieusement décalé, bourré de second degré et doté d'un style cartoon caricatural qui lui sied à merveille. Une forme qui lui réussit plutôt bien, mais qui rentre en conflit avec sa réalisation : même si l'idée de faire reposer l'intégralité du jeu sur les citoyens est originale et que le système de combat est sympathique en soi, le jeu d'Eden Industries cumule les tares, que cela soit à cause de choix de design et d'ergonomie vraiment discutables, des problèmes techniques récurrents ou d'un manque de finition parfois bien agaçant. Du coup, le mauvais à tendance à prendre le pas sur le bon et rend l'expérience assez laborieuse. Heureusement le jeu se finit plutôt vite, son rapport qualité / prix est plus que correct et son aspect "collection" peut également servir de motivation aux aficionados du genre. Avis aux amateurs, donc.
01/09/2015
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- Original
- L'humour
- L'implication des citoyens à tous les niveaux du jeu
- Le système de combat
- Contenu solide
- En français intégral
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- Les problèmes techniques en pagaille
- La fréquence des combat
- L'ergonomie à la rue
- 40 citoyens et un affreux système d'exp à gérer
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TECHNIQUE 2.5/5
BANDE SON 2/5
SCENARIO 4/5
DUREE DE VIE 3.5/5
GAMEPLAY 3.5/5
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