Sorti l'année dernière sur Vita, Soul Sacrifice avait été une bonne surprise dans le milieu très codifié des Hunting-Games principalement grâce à direction artistique sombre et baroque, sa narration relativement recherchée et son système de jeu original. Mais s'il y a bien un truc auquel il ne pouvait pas échapper, c'est le syndrome de la 'version Plus' typique de ce genre de jeu : quelques mois après la sortie du jeu est donc dévoilé Soul Sacrifice Delta, version améliorée et présentée comme un 'nouveau' jeu et pas juste une mise à jour. Nouveau scénario, nouveaux personnages, nouvelles mécaniques, tout était au programme. Forcement c'est alléchant sur le papier, mais il faut voir en application et surtout si les défauts du premier opus ont également étés gommés.
En rouge et noir (bis)
Un ciel noirci de fumées faisant disparaître toute trace du ciel et du soleil. Une terre desséchée, craquelée, jonchée de cadavres. Un air à l'odeur de souffre et de charogne. Tout autour de lui des cages suspendues au-dessus du sol. Un vrai paysage de cauchemar. Et soudain un cri strident retentit, rappelant le personnage que l'on incarne à son statut : enfermé dans une prison d'os, il n'est qu'un esclave destiné à devenir festin pour Magusar, le sorcier responsable de la fin du monde. Et quand le bruit caractéristique des soldats du sorcier se fait entendre... c'est un air de déjà-vu qui se manifeste chez notre avatar. Il a déjà vécu cette scène. Il a déjà fait face à Magusar. Mais il se tient à nouveau dans cette cage. Pourquoi ? Librom, l'affreux ouvrage à la reliure en peau humaine, ressent également ce déjà-vu. Et ce n'est pas tout : à sa grande surprise, Librom s’aperçoit que son propre-contenu s'est étoffé avec l'apparition d'un nouveau chapitre appelé Grim, dédié à une mystérieuse organisation qui cherche à briser un phénomène appelé la Récurrence Éternelle. C'est alors une plongée vers l'inconnu pour les deux compagnons d'infortunes, qui vont de nouveau devoir se plonger - littéralement - dans ces nouvelles pages afin de percer les mystères entourant cette répétition. Et de vite s'apercevoir que l'histoire est loin d'être finie, et que le monde cache encore de bien sombres secrets.
Suite directe du premier opus, Delta reprend l'histoire la ou elle avait été laissée et réussit un joli numéro d'équilibriste qui permet de raccrocher les deux jeux tout en re-justifiant la fin de l'épisode original. Si Soul Sacrifice Delta est votre première approche de l'univers pas de panique, le scénario originel est présent et il sera néanmoins nécessaire de le boucler pour accéder à la suite. Si à l'inverse vous rempilez, vous pourrez directement passer à la case Grim pour peu d'importer votre sauvegarde ; tout ce qui touche au scénario et qui a été bouclé précédemment le restera.
A l'inverse de son ainé qui se focalisait principalement sur Magusar, Delta va lui mettre sous les feux des projecteurs l'univers de Soul Sacrifice, notamment le conflit entre les trois factions composant le jeu : Avalon, guilde de Sorciers faisant du sacrifice de monstres une loi absolue, Sanctuarium, regroupement de Sorciers voulant sauver ceux s'étant transformés en monstres et Grim, étrange groupe aux motivations aussi floues que ses membres sont mystérieux. Ce trio de 'frères ennemis' sera au cœur de récits tout sauf manichéens, et il permettra de mieux saisir les tenants et les aboutissants du monde de Soul Sacrifice à travers de multiples missions avec des personnages des trois camps. Le découpage très stylisé de la narration avec des pages qui défilent et de nombreux petits effets et artworks pour marquer l'action est toujours de la partie, tout comme un compendium bien fourni qui donne au jeu un background relativement dense pour peu d'aimer la lecture. On retrouve également une narration de haute volée, et comme dans le premier opus les doubleurs jouant le jeu de cet univers bien sombre et malsain dans lequel l'espoir fait tout pour survivre.
Et au passage en parlant de background, arrêtons nous quelques secondes sur Grim : outre le fait que ce nom soit lié à un élément primordial de l'histoire, il est également présent comme un hommage aux conteurs en général. Pourquoi ? Car l'équipe créative est partie puiser dans l'univers des contes et des fables pour créer de nouveaux éléments, non sans les avoir profané et maltraité dans le processus. Dans Soul Sacrifice Delta, Le Petit Chaperon Rouge ou Cendrillon (pour ne citer que ça) sont bien moins enchanteurs que dans vos souvenirs.
Des démons et des hommes
Globalement, le jeu conserve une structure similaire à celle de son ainé. Notre personnage ne quittera jamais sa cage, l'accès au contenu du jeu passera exclusivement par Librom dont chaque page correspondra à une histoire, une mission à accomplir, aux paramètres du jeu, à ceux du personnages, etc. La première étape est bien sûre de créer son avatar, et de déjà constater le travail accompli sur cette version Delta. Là ou le premier Soul Sacrifice offrait un choix plutôt limité dans les costumes et les apparences, l'équipe créative s'est défoulée pour proposer une personnalisation plus poussée de son avatar que ce soit tant physiquement (yeux, cheveux, couleur de peau, voix) que vestimentaire (séparation haut / bas et possibilité de porter des accessoires). Autre nouveauté de ce système de création, l’affectation à une faction : il faudra choisir entre Grim, Avalon et Sanctuarium, un choix qui aura une influence sur plusieurs pans du gameplay. On y reviendra plus bas, point par point. La aussi, on pourra changer de faction entre deux missions.
Ensuite vient l'écran des Offrandes, le système de magie du jeu. Une offrande correspond à un artefact contenant une essence magique (une arme, une armure ou des projectiles par exemple), et un personnage ne peut en équiper que six au maximum ; il s'agit de bien choisir entre offrandes offensives, de soin et de soutien, tout en prenant en compte le fait qu'une offrande dispose d'un nombre limité d'utilisations. Le panel disponible, plutôt large initialement, s'est encore agrandi dans cette version avec tout un tas de nouveaux types d'offrandes. Autre nouveauté significative, les combinaisons. Le nom est plutôt explicite, il s'agit de combiner les effets de deux offrandes pour créer un nouvel effet qui est généralement bien plus dévastateur voire totalement pété. De plus, il y a également un nouveau tiers de puissance, les offrandes 'Plus', sacrifiant le nombre d'utilisations pour une puissance accrue. De quoi taper encore plus fort sur les archidémons et casser leurs parts maudites. A noter également l'existence de l'Ars Magica, un ouvrage qui recense toutes les offrandes du jeu, ultime provocation faites aux complétionistes car le jeu cumule près de 1000 offrandes !
Custom over 9000
Le système de personnalisation des stats va lui aussi aller dans cette direction grobilliste. Toujours représenté par le bras de son sorcier que l'on va recouvrir de runes, chaque rune ayant un bonus natif et un bonus supplémentaire si notre bras est de la couleur correspondante (occulte, divin, neutre). Première nouveauté le fait que beaucoup d'amour à été donné aux porteurs de bras neutres, qui luttent désormais à armes égales avec les autres. Seconde nouveauté, l'apparition de nouveaux tiers de puissance dans les runes. Troisième nouveauté, les runes de cœur : quand un personnage atteint le niveau 100, il est possible de sacrifier la puissance ainsi acquise - et de retourner au niveau 1 - pour créer une rune de cœur (ou améliorer une rune de cœur déjà acquise) qui doublera, de base, la puissance d'un type d'offrande. Rien que ça. Enfin dernier nouveau point, la résonance : associer plusieurs runes d'une même couleur multipliera la puissance des-dites runes, et la clé de cette mécanique sera la rune de faction ; pour déclencher son effet il faudra cependant être dans la faction correspondante. En cumulant tous ces éléments et en optimisant un build, on peut ainsi obtenir des boosts de puissance variant de 300 à 500 %. Explicite, non ?
Le seul véritable bémol va provenir des runes de factions. Enfin pas vraiment des runes de factions en elle même, mais de la manière de les obtenir. A chaque archidémon vaincu on gagne des points de faction, points qui peuvent être enregistrés et éventuellement envoyés en ligne pour participer à un classement entre les trois factions avec à la clé quelques bonus. Mais pour le joueur en lui même enregistrer des points le fera grimper dans la hiérarchie d'une faction : franchir certains paliers octroiera des titres, chose purement cosmétique, mais également les fameux sceaux de faction. Le souci va venir du rapport gain / investissement, car à 5-10-20 points l'archidémon (selon la difficulté), l'obtention des derniers sceaux relève plus de la purge que du plaisir de jeu. Et il faut répéter ça trois fois, pour chaque faction, si vous voulez un peu toucher à tout ! On pourrait aussi blâmer le système d'obtention des runes, pas forcement évident ni pratique dans son application et qui n'encourage pas vraiment les joueurs à sortir des 'rails' qu'ils se sont initialement fixés. Pour les runes de bonus offensifs par exemple, il faut les utiliser X fois pour débloquer un tiers de puissance et recommencer jusqu'à atteindre le dernier...
Niveau missions, là aussi on reprend la base de l'original avec une séparation entre les missions storyline (à faire seul) et les missions fantômes (à faire seul ou en ligne, avec d'autres joueurs) regroupant missions simples ou il suffit de tuer/sauver la cible et les missions de défis à réaliser sous certaines conditions. Et là aussi, on ne tarde pas à voir les améliorations et modifications apportées : la difficulté s'étale maintenant sur 15 niveaux contre 10 auparavant, il y a 1.5 fois plus de missions et quelques nouveautés apparaissent en marge des missions classiques : les pages blanches et le Dédale d'Alice. Les premières permettent de créer des missions aux récompenses et aux ennemis aléatoires en échange d'un sacrifice d'offrandes, c'est le seul moyen d'obtenir certaines offrandes introuvables ailleurs et de gagner des accessoires de tête. Autant dire que si l'esthétique de votre personnage ou si le remplissage de l'Ars Magica vous importe peu, ce mode ne servira pas à grand chose. Le Dédale d'Alice va lui consister en un donjon qui dispose de ses propres règles et dont chaque étage sera généré aléatoirement, le but étant d'atteindre au minimum l'étage 30 qui contient l'archidémon Alice, trouvable uniquement dans cet endroit. Probablement le lieu exploitant le mieux le gameplay de Soul Sacrifice Delta, riche en récompenses mais dont la difficulté et la courbe de progression très abrupte le réserveront à une poignée d'acharnés. Les autres se serviront juste des trois premiers étages pour farmer les points de factions.
N'oublions pas non plus le bestiaire, qui s'est considérablement étoffé : le bestiaire originel est bien sûr repris, celui introduit via les DLC également, et à ce petit monde se rajoute les nouvelles créatures introduites par Delta. De plus, certaines anciennes créatures gagnent de nouveaux mouvements, sans parler des autres créatures introduites par une politique de DLC gratuits similaire au premier opus ! Même combat pour les environnements, mêlant déjà-vu et renouvellement avec maintenant l'introduction de modifications pouvant avoir lieu au cours de combat comme un changement de la géographie ou une influence de la météo. Soul Sacrifice premier du nom avait été blâmé pour son contenu chiche et la redondance que cela entrainait, Delta corrige plus que bien cet aspect même s'il ne l'efface pas totalement.
On m'a dit que...
Et ce n'est pas tout, car le jeu introduit également des features plutôt sympathiques notamment le système des rumeurs : obtenues à la taverne en échange d'offrandes ou de faits d'armes (ramasser X âmes, tuer tel monstre x fois), ces rumeurs vont directement influer sur la forme ou le déroulement d'un combat comme par exemple en affaiblissant les démons ou en augmentant les stats des alliés. Les rumeurs ont un nombre limité d'utilisations, et leur rareté dépend bien sûr de leurs effets. Le rituel de sacrifice des monstres mineurs - une des manières de recharger les offrandes en combat ou de booster ses stats - a également été modifié avec des effets qui vont changer en fonction de la faction choisie. Autre point qui a été drastiquement corrigé, l'IA des NPC alliés. On peut partir en mission avec deux NPC, et ceux qui ne servaient que de punching-ball dans le précédent volet sont ici des demi-dieux à la réactivité détonante : sans exagérer, on peut les laisser nettoyer les 3/4 des missions sans intervenir une seule fois. Le système de scoring a été refondu également en intégrant plus de points liés aux actions de soutien, chose qui plaira aux amateurs de ce type de jeu car le premier Soul Sacrifice n'encourageait pas vraiment ça. L'explosivité, la rapidité d'action et le côté épique du premier opus est donc toujours présent, et franchi même un nouveau palier.
Bref beaucoup de modifications du matériau de base et dans le bons sens, même s'il n'échappe pas au sempiternel couple répétitvité + farming propre à ce genre de jeu. De plus, la bien capricieuse caméra n'a malheureusement pas bougé et en fera voir de toutes les couleurs avec les archidémons s’agitant dans tous les sens. Finalement le plus gros défaut de Soul Sacrifice Delta est sûrement d'avoir fait les choses trop bien - ou trop fort - dans sa formule. Cela a eu un effet ravageur sur le jeu en ligne : les craintes de voir une communauté moindre à cause d'une version 1.5 se sont avérées fondées et le panel d'options offert par le jeu l'a achevé, à quoi bon 'perdre' du temps en ligne quand on dispose, hors-ligne, de tous les outils pour boucler sans forcer les missions les plus difficiles ? C'est d'autant plus dommage que les développeurs ont pris note des retours du premier jeu pour proposer un jeu en ligne plus optimisé et avec plus d'options (notamment la possibilité d'enregistrer des phrases en raccourcis), faire tomber la foudre divine sur les ennemis à l'aide de compagnons humains est vraiment jouissif... pour peu de les trouver.
A vous d'écrire le futur
Fer de lance majeur de cette licence, la direction artistique de
Soul Sacrifice Delta est toujours aussi glauque que fascinante, aussi immonde que charmante et donne un véritable cachet d'unicité à cet univers qui ne laisse personne indifférent, anciens comme nouveaux joueurs. Des gueules aussi impressionnantes que repoussantes des monstres au design de personnages aussi tortueux qu'étrangement stylisé, sans oublier les nombreux décors nés d'une maltraitance voulue des architectures de nombreuses civilisations (grecques, romaines, celtes pour ne citer que ça),
Delta plante son propre décor et forge sa propre personnalité. Les nombreux artworks du jeu sont d'ailleurs magnifiques. Et pour en revenir aux premiers paragraphes de la review, à cet univers s'intègre étrangement bien les nouveautés inspirées des contes de fées, qui n'ont aucun mal à rivaliser avec les créations originelles du jeu. Les frères Grimm se retourneraient dans leurs tombes en voyant la version pestiférée de Hansel et Gretel, comment Raiponce à pu être adaptée en une ville difforme ou encore en voyant la version centipède de Blanche-Neige... Niveau musiques, le duo
Yasunori Mitsuda / Wataru Hokoyama rempile pour cette extension en signant une dizaine de nouvelles pistes venant en complément d'une OST déjà de très haut niveau, de nouvelles pistes n'ayant pas à rougir face aux anciennes et gardant toujours ce mélange étrange de symphonies épiques et de passages tantôt mélancoliques tantôt lugubres.
Il est très difficile de donner une durée de vie pour le jeu, voir même pour ce genre de jeu en général. 10 à 30 heures suffiront pour l'aspect scénaristique selon que vous importez ou non une sauvegarde, et le compteur pourra facilement atteindre trois chiffres si vous avez l'intention de saigner l'intégralité du contenu. Importer une sauvegarde du premier
Soul Sacrifice conserva les missions scénaristiques validées, toutes les âmes récupérées et un partie des offrandes. L'état d'avancement des missions fantômes et le niveau du personnage seront remis à 0.
Version 1.5 de haute volée, Soul Sacrifice Delta corrige, rajoute, embellit une version de base à la personnalité déjà forte. Bien loin du Monster-Hunter like lambda, cet opus renforce la dimension narrative du titre et le background de cet univers, offre un surplus bienvenue de personnalisation tant sur l'aspect tactique qu'esthétique, et surtout il propose un gameplay bien plus maitrisé, violent et dynamique même si malheureusement l'aspect multijoueurs, encore meilleur que dans le premier opus, en pâtit. Delta est clairement la version à avoir si on s'intéresse à cette licence, et possède également de sérieux arguments pour faire replonger ceux pensant avoir triomphé de la version de base ; pour exagérer on pourrait même dire que Soul Sacrifice était une sorte de joli brouillon et Delta une version finale. En attendant un vrai Soul Sacrifice 2 ?
26/10/2014
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- L'importation de sauvegarde
- La direction artistique sublime
- L'aspect narratif bien plus développé
- Le système de factions et son influence
- Un impressionnant ajout de contenu
- La personnalisation plus poussée
- Le système de rumeurs
- La durée de vie
- Le online encore meilleur...
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- ...même si ironiquement plombé par les nombreux ajouts
- Répétif, genre oblige
- La caméra didjou, la caméra !
- L'obtention des points de factions
- La VO en DLC (encore ?!)
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TECHNIQUE 3.5/5
BANDE SON 4.5/5
SCENARIO 4/5
DUREE DE VIE 5/5
GAMEPLAY 4.5/5
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