Genre roi d'une époque, le cyberpunk a vite vu sa cote de popularité chuter au fil des décennies sans pour autant avoir totalement disparu. Peut être faut-il y voir le fait que la réalité rattrape la fiction, désormais désuète car les thématiques qu'elle porte n'ont jamais été autant d'actualité ? Les écrans ont pris le relais des livres pour continuer à entretenir la flamme, que ce soit des écrans de cinéma (
Matrix, Minority Report), de télé (
Mr Robot) ou les écrans branchés à une console ou un PC (
Shadowrun, Deus Ex).
Dex, lui, appartient à cette dernière catégorie :
apparu sur Kickstarter courant 2013, le projet du studio Tchèque
Dreadlocks n'avait pas pour prétention de réinventer la roue mais de proposer un mélange de RPG, d'action et de plateforme, le tout sur fond d'ode au cyberpunk avec un scénario sombre et mature. Et le crowdfunding, vous connaissez la chanson : un projet, une ambition, des promesses.. et un résultat qui peut parfois briser quelques espoirs.
Battle Angel Dex
On a coutume de dire que le destin ne prévient pas quand il vient frapper à votre porte ; dans le cas de Dex, demoiselle aux cheveux bleus et au costume sombre, le destin a pris la forme d'un groupe d'hommes armés sur son palier. Paniquée, elle reçoit alors l'aide du légendaire hacker dénommé Raycast, qui l'aide à fuir, et un peu plus tard celle de deux autres hackers appelés Tony et Decker qui l'aident à se planquer. Qu'est-ce qu'elle a bien pu faire ? Raycast lui fait alors le topo de la situation : si elle est visée, c'est qu'elle est la clé du conflit opposant Kether, une IA omnisciente régissant le cyberespace et GSV, une autre IA créée par un groupe appelé le Complexe. Si GSV arrive à prendre le dessus sur Kether, alors le Complexe aura un contrôle total du net. Et la clé, appelée Dex, dispose d'une capacité très particulière, celle d'accéder au cyberespace sans périphérique ou implant cybernétique... un sacré pouvoir, qui ne doit pas tomber entre toutes les mains. De quoi ajouter de la confusion à la confusion dans la tête de la belle, qui en plus est intronisée comme dernier espoir du monde libre par un Raycast, qui semble en savoir bien plus qu'il ne le dit sur la situation et sur qui elle est vraiment. Si elle veut obtenir des réponses et ne pas passer sa vie à fuir, la seule solution s'offrant à Dex est de s'opposer au Complexe.
Ghost in a Shell
Très classique dans son déroulement et dans ses situations et prenant place dans un univers dystopique et cradingue tout aussi classique, on pourrait qualifier Dex d'inventaire quasi-complet des thématiques et éléments récurrents du cyberpunk (et de certains de ses sous-genres) : corporations avec les pleins pouvoirs, organisation de l'ombre qui manipule les élites, transhumanisme et ses dérives. Monde plongé dans la misère et la débauche, omniprésence de l'informatique et questions autour du progrès et de la barrière de plus en plus fine entre l'homme et la machine. Le soft ne réinvente pas la roue concernant ses inspirations et aspirations qui vont de William Gibson en passant par Mamoru Oshii. Le studio Dreadlocks affichant fièrement son amour pour le genre cyberpunk et ses auteurs emblématiques. L'histoire de Dex surprendra difficilement les aficionados du genre sans pour autant les ennuyer car dans l'ensemble le récit est relativement bien écrit et bien amené. Avec un soin tout particulier apporté aux dialogues à choix multiples (qui peuvent avoir des conséquences changeant du tout au tout), et des dialogues qui, en plus, sont doublés. Malgré quelques zones d'ombres qui persistent après l'écran de fin et des multiples fins ayant un arrière goût de déjà-Deus-Ex-vu, l'ensemble tient relativement bien la route.
Le vrai point noir du jeu, il faut plutôt aller le chercher au niveau de l'univers ; le studio a tellement voulu en mettre niveau thématiques que le jeu a du mal à creuser, crédibiliser, donner vie à son univers. En dehors de la multiplication des petits détails inutiles et donc indispensables pour tenter d'immerger le joueur (collectionner des magazines porno, s'envoyer en l'air ou espionner des boites mails, par exemple), on ne sort jamais vraiment du cadre imposé par les quêtes principales et secondaires, donneurs de quêtes et personnages importants de l'histoire étant la seule interaction avec ledit univers. Il y a bien un peu de narration passive avec quelques articles de journaux et le contenu de certains mails, mais il n'y en a pas assez pour véritablement créer un ciment qui raccrocherait les éléments l'un à l'autre pour donner une cohérence à l'ensemble. L'existence même de Dex est d'ailleurs assez symptomatique de cet aspect patchwork. Le chaton perdu de la première heure disparait très vite au profit d'une tigresse à la blague facile, genre J.C. Denton version féminine. Une tigresse, dont on ne sait et dont on ne saura quasi rien - qui est-elle au fait ? sa famille ? ses loisirs ? son boulot ? sa personnalité, ses convictions ? - et qui donne l'impression tout le long de l'aventure qu'elle est déconnectée du reste du monde, rendant difficile l'attachement au personnage.
Minority Recall
Le gameplay de Dex est séparé en deux phases : celle dans le monde réel et celle dans le cyberespace.
La première prend place dans la ville d'Harbor Prime, un terrain de jeu en 2D entièrement accessible dès le début, enfin accessible dans la mesure du possible car des obstacles matériels ou humains segmentent l'accès à certaines parties, et il faudra les bonnes capacités ou la patate nécessaire pour passer l'obstacle. Dex dispose d'un panel relativement classique d'actions pour progresser - frapper, esquiver, courir, sauter, ramper, faire des roulades, s'accrocher aux rebords -, un panel qui sera amené à évoluer lorsqu'elle pourra profiter d'augmentations cybernétiques. La partie personnalisation, quant à elle, est également classique : Dex dispose de 7 compétences - endurance, combat au corps à corps, maîtrise des armes à feu, piratage, charisme, marchandage et crochetage (au passage, je vous conseille de maximiser cette dernière le plus tôt possible) - qu'on augmentera au gré des level-up, tandis que la partie équipement se limite à quelques armes à feu et des objets de soins. Il faut choisir avec soin son profil de jeu, car le jeu n'offrira pas la possibilité de remettre son build à 0 ou de remplir à fond toutes les barres.
Quelque peu moribond, le level-design du jeu a été construit sur une idée de kills furtifs plutôt que de furtivité tout court ; dans Dex on pète des nuques ou des mâchoires à un rythme régulier et si possible sans se faire voir (la première victime arrivant d'ailleurs deux minutes après avoir commencé le jeu...). Quelques caisses ou conduits d'aération par-ci, par-là, des caméras et des tourelles à mettre hors d'état de nuire pour ne pas se faire pincer, Dex met assez vite en place des éléments récurrents qui seront les mêmes du début à la fin et qui sont les signes annonciateurs d'une certaine prévisibilité dans le déroulement des évènements. Il faudra les exploiter du mieux possible, ne serait-ce que pour éviter les bobos et ainsi économiser sous et objets. L'affrontement direct sera cependant obligatoire à de nombreuses reprises, notamment face aux ennemis de grandes tailles ou ceux en armures qui sont impossible à neutraliser de manière furtive. Pas bien finaude, l'IA compensera son comportement limité et prévisible par sa force de frappe, car entre armes à feu et coups spéciaux on aura vite fait de voir notre barre de vie fondre comme neige au soleil. Heureusement, Dex est capable de rendre coup pour coup et plus si affinité, les augmentations cybernétiques et le level-up transformant rapidement la demoiselle en juggernaut ; mention spéciale au coup de pied sauté qui, non content d'infliger des dégâts, fait trébucher la cible, un mouvement qu'on aimera à répéter en boucle pour totalement neutraliser un adversaire et ce jusqu'à sa mort. Les armes à feu, idée sympa sur le papier, se révèlent dans l'ensemble un mauvais investissement : Dex doit obligatoirement être immobile pour tirer, le système de visée n'est pas fameux et, ironie de l'histoire, elles sont bien moins efficaces que les coups de poings/pieds. On peut néanmoins leur trouver une utilité dans la casse des tourelles et caméras.
Le point le plus dommageable du gameplay restera cependant les phases de hacking. Prenant la forme d'une espèce de shoot'em up dans le cyberespace, elles vont consister à soit participer à un mini-jeu de défense (quand il s'agit d'une caméra ou une tourelle) ou une sorte de mini-jeu d'exploration (quand il s'agit d'un PC) qui vont tous deux demander un brin de réflexes au joueur. Ces phases de jeu font appel à une seconde barre de santé appelée Concentration, et quand celle-ci arrive à 0 et bien elle... reste à 0 en plus d'éjecter Dex du cyberespace. Pour la regonfler il n'y a pas trente-six milles moyens, il faut soit avoir sur soi des objets ou aller à la borne de recharge la plus proche. Et autant dire qu'elle va souvent se vider car les ennemis sont très agressifs dans le cyberespace, et on arrive à des situations un poil ubuesque où, en pleine séquence d'infiltration, on doit régulièrement faire des retours au dernier point de soin trouvé pour recharger ses batteries (heureusement, la progression est sauvegardée au fur et à mesure). Ces phases deviennent très, très vites répétitives en plus d'être de plus en plus longues et de plus en plus lassantes. On peut également utiliser les dons de hacking de Dex pour perturber les ennemis portant des équipements électroniques ou cybernétiques, mais là encore on se retrouve dans une situation où le résultat ne vaut pas l'investissement... surtout quand on peut facilement ravager un ennemi au corps à corps.
Czech Scramble
Les graphismes de Dex sont un point fort du jeu. Le studio Dreadlocks s'est vraiment appliqué dans la conception de la ville de Harbor Prime. Chaque quartier a vraiment son identité propre. Du huppé et lumineux Gratteciel aux dangereux bas-fonds, en passant par le quartier délabré de Taijo, il y a un appréciable souci du détail passant à la fois par les décors et les nombreuses animations des NPC, qui donnent un sentiment de vie à l'ensemble... même si on en voit vite les limites, comme par exemple avec les policiers qui ne semblent pas dérangés par le fait qu'on cherche à tirer sur les passants. En parlant d'animations, celles des personnages sont pas trop mal foutues, notamment celles de Dex (si on sort du lot la très étrange marche accroupie). Dommage cependant qu'il n'y ait pas eu plus de soin sur les visages, qui sont de grosses bouillies de pixels. Quant à la bande son, évidemment bien typée musique sci-fi, elle est étonnement bien fournie et mélange agréablement sons électroniques et compositions orchestrales plus classiques. Une bonne surprise.
Comptez 15 à 20 heures pour voir le bout de l'aventure, avec une rejouabilité potentielle si vous voulez voir les différentes conséquences des quêtes et les trois fins ; pour tout dire, il y a un seul embranchement scénaristique majeur, donc deux fins différentes, la troisième étant commune aux deux embranchements. Il y a également un DLC gratuit qui permet d'accéder à trois costumes, chaque costume conférant un bonus particulier : le premier permet de régénérer la barre de concentration, le second augmente de manière conséquente les capacités physiques et le troisième permet d'avoir accès à une invisibilité 'gratuite' (dans une partie normale, il faut dans un premier temps acheter une cyber-augmentation et ensuite acheter les consommables permettant cette invisibilité). A noter que le jeu dispose d'une traduction en français, même si elle n'est pas parfaite.
Jeu ambitieux mais malheureusement peu original dans son application. Plein de bonnes idées qui sont au final peu creusées ou abouties,
Dex est un jeu qui a surtout pour lui l'amour d'un genre, le cyberpunk, et un récit classique et bien rythmé, même si il a un air de déjà-vu et que son univers manque de cohésion. Pas mal d'idées ont également été amputées ou n'ont pas vu le jour si on fait un comparatif avec
le suivi du projet Kickstarter, ce qui fait soupirer d'autant plus sur ce qu'il aurait pu être ou ce qu'il aurait pu proposer.
Dreadlocks nous livre un jeu correct et qui, faute d'être inoubliable, porte fièrement l’étendard d'un genre littéraire vieux de 30 ans d'âge et qui n'a jamais eu autant d'écho qu'aujourd'hui.
03/06/2016
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- Du cyberpunk en veux-tu en voilà
- La direction artistique
- Bien écrit et bien rythmé
- Localisation en français
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- Un level-design sans grande inspiration
- Linéaire et vite répétitif
- Les combats parfois bien brouillons
- IA faiblarde
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TECHNIQUE 3/5
BANDE SON 3.5/5
SCENARIO 3/5
DUREE DE VIE 2.5/5
GAMEPLAY 3.5/5
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