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The Surge
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The SurgeSouls toujours, prêts.
Se faire un nom sur le marché du RPG n'est pas chose aisée pour les développeurs du vieux continent, trop souvent éclipsés par les deux mastodontes japonais et américains. Dans un marché aussi concurrentiel sur les jeux classiques, où les tentatives réussies de proposer de l'original occupe rapidement une niche, il peut être tentant d'en reprendre les codes pour s'arroger une part du gâteau. C'est ce qu'avait fait le studio Deck13 avec son Lords of the Fallen, très inspiré d'une fameuse série-dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom mais assez peu goûté par la critique et les acheteurs. Pas échaudés pour autant, les voilà qui remettent le couvert avec un The Surge au style légèrement remanié. Ces distanciations parviendront-elles à faire oublier le modèle ?
Le meilleur des mondes possiblesNous sommes sur Terre, dans un futur peut-être pas si éloigné que ça où l'humanité, à force de tirer sur la corde, a ravagé son propre environnement. Catastrophes écologiques, maladies, fléaux sanitaires, la planète s’essouffle et la population en ressent durement les effets. L'avenir s'annonce sombre, mais une lueur d'espoir subsiste peut-être en la personne de Jonah Gutenberg, leader charismatique de l'entreprise CREO qui tente de se poser en démiurge d'une nouvelle ère florissante pour la race humaine. Son projet Resolve, développé en secret, doit permettre ce sursaut planétaire grâce notamment à des évolutions technologiques majeures tel les Exosquelettes qui se démocratisent, et emploie pléthore de travailleurs venus de tous horizons, du scientifique de génie au troufion de base. Warren est de cette dernière catégorie et se décide à rejoindre les rangs de la multinationale plus par nécessité que par altruisme. Le voilà qui choisit son exosquelette de travail qui va lui être implanté dans une séquence insoutenable permettant d'apprécier les graphismes du titre… quand quelque chose semble mal tourner dehors. Blackout.
Lorsque Warren se réveille, pataud de devoir se mouvoir avec son nouveau corps, les seuls bâtiments alentours semblent être les ruines des anciennes usines et les seules âmes qui vivent sont bien décidées à l'envoyer ad patres. Par une hologramme pas plus avancée que lui, il apprend tout de même qu'un événement inconnu a semble-t-il transformé la majorité des machines et travailleurs robotisés en créatures aussi décérébrées que belliqueuses. Voilà notre héros-malgré-lui contraint de saisir des armes de fortune pour se défendre contre ses nouveaux adversaires au mépris de la personne humaine. Si l'on exclut le twist visible dès les premières secondes de jeu (mais que je me refuse à spoiler), Warren est un individu complètement lambda qui ne connaîtra qu'une évolution inconsistante. Pourtant issu de la société civile, il n'éprouve guerre de remords à charcuter ses semblables quand bien même ceux-ci n'ont d'humain que l'apparence. Ses interactions se limitent à des dialogues peu enjoués avec les rares PNJ survivants, ou plus rarement – et indirectement – par le biais d'une partie des enregistrements audio plus ou moins bien cachés dans les bâtiments traversés. Ceux-ci seront d'ailleurs la première source d'information sur le background de la situation, et sont ré-écoutables à tout moment par l'intermédiaire du menu. Mais l'un dans l'autre, l'histoire et ses personnages n'arrivent pas à passer outre la configuration initiale du désastre pour captiver le joueur. L'ambiance en revanche… C'est une véritable boucherie à l'intérieurCoursives sombres façon vaisseau d'Alien, usines poisseuses ou rutilantes salles d'exposition, les zones traversées au cours de The Surge s'éloignent nettement des influences de Lords of the Fallen et de l'Heroic Fantasy en général au profit d'une SF relativement réaliste. On baigne dans un environnement certes en ruine mais moderne, où les lourdes armures médiévales et la magie laissent place nette aux exosquelettes futuristes et aux drones de soutien. Visuellement le jeu tient la route avec ses graphismes léchés et sa direction artistique fouillée, parfois à la limite de l’écœurement tant les effets visuels et les lumières donnent à l'image un côté saturé d'infos. Les phrases de tutoriels qui apparaissent en surimpression sur les murs laisseront leur place aux panneaux indicateurs qui guidaient les travailleurs des usines, ou à la voix monocorde de la speakerine de sécurité qui nous fera regretter la morgue sarcastique de GlaDOS, et l'on pourra compter sur plusieurs films institutionnels (pour ne pas parler de propagande) où un Xzibit de pacotille vante à qui veut l'entendre les louanges de CREO et ses ouailles, accompagnant la déchéance vraisemblable de l'entreprise d'une drôle de chansonnette.
Mais si tout cela pourrait laisser croire à un rendu aseptisé, c'est sans compter sur l'envie du jeu de tirer vers l'horreur post-apo et le gore, un peu comme un Dead Space sous Tranxen. Durant le laps de temps où Warren est resté inconscient – voire peut-être un peu avant – les survivants encore sains d'esprit on tenté d'avertir leurs potentiels suivants en taguant les murs, des prévisions du désastre annoncé aux suppliques cryptiques. Ceux qui ont eu moins de chance gisent inertes au sol et par petits bouts éclaboussés sur les murs. Rien d’extrêmement graphique cependant, ni de très effrayant et la surprise viendra la plupart du temps d'un ennemi attendant derrière une porte ou un élément de décor comme pour jaillir d'un « bouh ! » farceur. Beaucoup moins ragoutant, le système de combat incorpore un système de "coup de grâce" d'une importance capitale comme on le verra, qui s'accompagne d'un ralenti particulièrement graphique et sanguinolent d'un Warren toujours aussi expressif quand il découpe membres ou troncs avec une facilité déconcertante. On ne l'attendait pas forcément à ce niveau, mais force est de constater qu'à certains moments The Surge parvient à atteindre le juste dosage, où l'énervement devant des situations toujours défavorables laisse place à une saine tension galvanisante. Le travail sur l'ambiance et la mise en scène est clairement l'une des forces du jeu. C'est aussi grâce à son level-design racé, tout droit inspiré de son maître. Même si l'univers de The Surge ne se déplie pas en monde ouvert mais seulement sur une demi-douzaine de zones distinctes, l'architecture a de quoi désorienter avec ses couloirs labyrinthiques et ses portes fermées par des circuits électriques à l'alimentation coupée. De multiples raccourcis salutaires font heureusement le pont entre la base médicale du niveau et les secteurs situés plus avant en territoire ennemi. Portes à déverrouiller, ascenseurs ou remontes-pente futuristes, gaines d'aération dérobées, et même si vous êtes attentifs quelques phases de plateforme qui permettront de se déplacer prestement hors des chemins balisés en évitant la faune locale. En améliorant l'exosquelette, notre héros finira par obtenir les accréditations ou charge électrique nécessaires à l'ouverture de zones classifiées et containers précieux. Dans l'ensemble les niveaux sont suffisamment vastes et riches en secrets pour qu'on s'y attarde mais la construction du jeu, faite d'allers-retours incessants, a de quoi tempérer le plaisir de la découverte. Et en lieu et place de pièges vicieux, ce seront surtout des gaz nocifs ou flaques polluées qui causeront dommages à Warren. Du moins si notre héros ne pense pas à s'équiper de pièces d'équipement de sécurité adéquats pour les franchir sans risque, l'une des nombreuses mécaniques cachées dans un gameplay à l'apparence simpliste, mais en apparence seulement. La disparitionThe Surge cultive l'hommage – si l'on peut appeler ainsi la reprise directe d'éléments bien connus – avec un aplomb déconcertant. Basé sur les systèmes mis en place par Lords of the Fallen, eux-mêmes grandement pompés sur la série phare de FromSoft, il en efface cependant nombre de lourdeurs tout en les agrémentant. Et pourtant il en reste.
Si la base des déplacements et du combat est assez classique pour un Action-RPG, avec ses ennemis qui suivent un chemin prédéfini ou restent fixes jusqu'à détecter le joueur de visu ou par les bruits qu'il occasionne, le nouveau titre entreprend un revirement vers l'action pure au détriment du RPG et de son cortège de statistiques. Ainsi les traditionnels niveaux d'expérience, ici apportés par les pièces robotiques recyclables, sont affiliés à l'Exosquelette de Warren et ne lui offrent au départ qu'un faible accroissement de vie. En l'espèce une amélioration qui peut sembler insignifiante, mais c'est la répétition du level-up qui va montrer son intérêt. Le matos est en effet garni d'un certain nombre d'emplacements pour Implants, sortes d'outils mécanisés qui offrent des fonctions plus ou moins cruciales mais toujours utiles : certains sont des consommables tels qu'une régénération de vie ou d'énergie (le Mana du jeu) dont le stock se reconstitue à la mort, d'autres seront plus fonctionnels ou donneront des passifs temporaires, les derniers assurant des gains statistiques mais ne pourront être changés qu'à la station médicale la plus proche. D'un point de vue formel, la nuance parait ténue mais certaine. Ce qui fait la force du personnage n'est plus tant son niveau que son matériel, entre les modules de drone aux actions offensives (laser, lance flamme) ou plus fonctionnelles (déséquilibrer l'ennemi, un must-have), les armes et les armures à fabriquer et améliorer à l'atelier. Pour ces dernières, c'est avec assiduité qu'il faudra pratiquer le sport local du démembrement : le ciblage d'un ennemi permet en effet de se concentrer sur ses différentes parties, tête, corps, bras et jambes ; en concentrant ses coups pour affaiblir un membre "protégé", on fera moins de dégâts mais on augmentera les chances de récupérer la pièce d'armure (ou l'arme, s'agissant du bras droit) une fois l'inconvenant au sol. En particulier dans le cas où Warren a engrangé suffisamment d’énergie pour exécuter son coup de grâce synonyme de drop certain et de chorégraphie macabre. Les pièces ainsi lootées peuvent être utilisées pour créer de nouvelles armures aux propriétés diverses et variées, certaines comptant uniquement sur leur robustesse aux impacts, d'autres offrant plus de compromis de célérité des coups ou de fonction utiles – une protection aux gaz nocifs pour le casque Elite Hazard par exemple.
Pour les armes, c'est un peu différent. On n'en compte qu'une demi-douzaine de types, du double-poignard et son combo véloce au tronçon de métal monté sur vérin hydraulique pour une puissance maximale, en passant par une sorte d'épée-tronçonneuse et une hache électrisée. Si l'on trouve plusieurs représentantes au sein des différentes catégories, elles ne diffèrent que par leur puissance d'attaque et éventuellement la récupération d'énergie occasionnée par les coups successifs. Les patterns d'attaque restent désespérément à l'identique, et l'amélioration ne fera pas bouger leurs caractéristiques hors-dommages. Seule vraie bonne idée de The Surge, encore une fois reprise de Lords of the Fallen, celle de conditionner des versions modifiées (et généralement plus puissantes) des armes des boss à la réussite d'actions particulières ; ainsi couper tous les bras mécanisés du Firebug avant de l'achever offrira une version enflammée de ses vérins jumeaux. D'autres gagneront des coups spéciaux additionnels et assez stylés. Les complétionnistes apprécieront l'effort. HandicapPour parler jouabilité pure, notons que Warren ne dispose que de deux coups différents par arme, l'un horizontal, l'autre vertical, et c'est en utilisant chacun en conjonction avec l'autre qu'on déclenche des attaques plus diversifiées. Pour l'exemple, armes doubles encore, dont les combos traditionnels peuvent laisser place au choix à une attaque sautée à fort recul permettant de se maintenir à l'abri de la contre-attaque certaine ou au contraire de rester au contact de l'ennemi en tournoyant dans sa face. Difficile pourtant de trouver abouti un système qui persiste à se prendre tout seul les pieds dans le tapis. The Surge tend à guider les méthodes d'attaque par la difficulté d'utilisation de certains types d'armes. Pour avoir longuement écumé matériel lourd et léger, je peux dire en toute objectivité que le second est en systématique désavantage, et cela ne tient qu'à une mécanique : l'Impact.
L'Impact, fonction de la valeur portée par armes et armures, c'est ce qui conditionne si vos enchainements et coups font chanceler votre adversaire ou s'ils le ressentent comme un tumbleweed sur un mur de brique. Or s'il est possible d'impacter à l'aide d'une arme légère au prix de longs combos, la mise en application du concept par le jeu jusqu'au NG+ est autrement plus tranchée : les armes lourdes déséquilibrent en un ou deux coups pour un combat open-bar, tandis que tentez de rester plus de 2 secondes au corps à corps avec les armes "rapides" et vous prendrez une grosse contre attaque dans votre mouille. Chirurgical et totalement déséquilibré. Sachant que l'attrait des légères n'est que dans leur DPS élevé sur la longueur de combo, qu'elles demandent en général de porter des armures peu protectrices ne gênant pas la vitesse d'attaque, et vu que quel que soit le type d'arme le temps de réaction du personnage avant déclenchement du coup sera de toute façon long (une seconde minimum), elles finissent par vite devenir inutilisables, non optimales ou à minima décourageantes. Autre mécanique mal fagotée en terme de diversité, la défense. Certes l'exosquelette dispose d'une fonction "garde", mais celle-ci est trop fluctuante. Certains coups ne peuvent être bloqués ou occasionnent tout de même de lourds dommages, elle se brise facilement tant elle consomme l'endurance et à moins de maîtriser les variantes mal fichues d'accroupissement ou de saut permettant de passer au dessus ou dessous de coups particuliers – ce qui ne sera pas mince affaire –, cette parade sera systématiquement un risque hasardeux. Finalement votre meilleure arme défensive sera l'esquive, seul moyen fiable d'éviter de lourds dégâts et le déséquilibre, apôtres d'une mort certaine quand les ennemis tendent à enchaîner sans interruption. Malgré l'exosquelette qui fait de lui un surhomme, le joueur semble un peu handicapé en début de jeu, dont la rudesse semble initialement pointer vers une rigidité à l’extrême. C'est d'autant plus visible à un moment où lui n'est pas encore habitué à la maniabilité ni aux réactions des ennemis, en particulier quand le level-design prend un malin plaisir à le faire combattre dans des couloirs étroits. Mettre sur pied un jeu du genre qui soit agréable et intelligent relève du savant mélange, et force est de constater que The Surge a souvent tendance à déverser ses ingrédients a bisto de nas. Pourtant les choses s'améliorent. À mesure que l'on parcourt les niveaux, qu'on y trouve des implants dotés de fonctions innovantes et qu'on met sur pied des tactiques plus tranchées. Qu'on découvre aussi des aides plus ou moins cachées comme la capacité de charger les fonctions du drone, et qu'un véritable build spécifique et adapté à notre façon de se battre et se mouvoir se met en place. Une fois toutes les cartes en main, on ne peut que constater la grande flexibilité de l'ensemble.
Alors on se prend au jeu, on cogite, on farme, on peste sur la génitrice de l'IA qui décide d'actionner son lance-flamme à proximité directe d'un réservoir de fluide frigorigène inflammable (du vécu), mais on avance petit à petit dans ce monde inhospitalier. Les nombreux recoins secrets sont une bonne carotte pour pousser à l'exploration, comme les portes de sécurité et les circuits haut-niveau pour le backtracking. Certaines scènes de fin de jeu nous font jeter un autre regard sur des figures jusqu'ici tête-à-claque, et si la fin du scénario ne donne pas l'envie irrépressible de relancer une partie pour bien tout comprendre, la perspective d'obtenir de nouveaux atours toujours plus puissants et de récupérer les derniers trophées ou audio-logs oubliés en route s'en chargera. Qu'elle soit voulue ou non, cette relation d'amour-haine c'est peut-être un levier ludique valable finalement. Commencer The Surge à l'aveugle s'accompagne fatalement d'une mise en concurrence consciente du jeu avec les pontes du sous-genre porté aux nues depuis la fin des années 2000. Affrontement dont il sortira en général perdant du fait de son manque de polish, d'équilibrage, de diversité d'ennemis, d'un casting peu développé ou, plus dommageable, d'un gameplay minimisant les attributs RPG au profit d'une formule plus action. Mais avec le temps va, tout s'en va disait Léo, et au fil des niveaux, les gênes s'effacent pour laisser place aux indéniables qualités du jeu. Une direction artistique froide mais pas aseptisée qui imprime une sacrée gueule à l'aventure, la tension inhérente au genre de plus en plus présente qu'on se rapproche de la fin, une certaine latitude à construire son personnage en fonction des Implants. Pas la peine d'aller chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien. The Surge est très imparfait mais attachant, et surtout s'éloigne d'une formule maintes fois caricaturée pour le plus grand plaisir des amateurs de Dark Souls qui… Et zut, perdu.
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