L'histoire d
'UnderTale, c'est un peu le schéma même du conte rose-bonbon auquel nous a habitué internet depuis l'essor du dématérialisé et du financement participatif : un seul homme, un projet indépendant,
une page sur Kickstarter, un succès sur Kickstarter, un jeu lancé et un succès commercial et critique. Il faut dire que du haut de ses hautes statistiques (
93/100 sur Metacritic,
98% d'opinions positives sur Steam), ce jeu à la tronche de jeu
Super Nintendo pas fini, présenté par son créateur
Toby Fox comme un RPG "
ou l'on peut éviter de tuer", à de quoi intriguer. Et les avis dithyrambiques, c'est un peu comme ceux qui font un étalage de politesses : il faut toujours s'en méfier.
Howdy!
L'histoire de UnderTale s'ouvre avec la chute d'un jeune humain dans un trou au sommet d'une montagne qu'il explorait. Pourquoi ? On ne le sait pas vraiment et on ne le saura jamais vraiment. Il survit à sa chute et se réveille, s'apercevant qu'il a un peu plus que des cailloux comme compagnie car il a chuté loin, très loin sous terre, atterrissant ainsi au royaume des monstres. Ces mêmes monstres qui furent bannis et enfermés dans ce monde souterrain par les humains, il y a bien longtemps, après la conclusion d'une guerre entre les deux peuples. Déterminé à rentrer chez lui, le jeune humain décide alors d'explorer ce monde doux-dingue, rempli de créatures et de personnalités uniques, avec l'espoir de trouver une sortie.
Et dès le premier pas que l'on fera faire à notre personnage, la première chose que l'on retiendra d'Undertale est son humour délicieusement décalé, les situations sont souvent loufoques et le casting du jeu se distingue par son hétéroclisme et son côté barré. On est parfois pas loin d'un bête humour façon génération pop-culture, bien trop à la mode ces derniers temps, mais Toby Fox, le créateur du jeu, utilise avec brio cet humour et cette dérision comme un terreau pour faire grandir ses personnages, chaque entité se dévoilant au fil du jeu avec une sincérité presque palpable ; cet amour pour l'humour étrange et caustique rapproche d'ailleurs Undertale de Earthbound, Fox étant grand amateur de ce dernier, mais le comparatif entre les deux s'arrête à ça. Et plus l'on avance dans l'histoire et plus cet humour fait copain-copain avec une histoire qui, mine de rien, prend subtilement de plus en plus de place, dévoilant petit à petit les enjeux et les conséquences de la présence du jeune humain dans ce monde souterrain. On s'attache vraiment à cet univers avec l'envie d'en voir de plus en plus et de savoir ou l'histoire va nous mener, une histoire très intimiste et dont le (vrai) final est plus que poignant. La qualité de l'écriture y est pour beaucoup dans l'équation, l'auteur du jeu complétant une mise en scène étonnamment vivante pour un jeu aussi moche par des textes qui n'en font pas trois tonnes et ou chaque mot est savamment pesé pour servir au mieux les personnages qui les prononcent. Un vrai souci du détail qu'on retrouve dans pas mal de jeux, mais Undertale se distingue en allant encore plus loin dans sa construction.
Ce qui rend
Undertale si particulier, c'est le rapport qu'il fait entre gameplay et scénario. Là ou le jeu-vidéo distingue habituellement ces deux éléments, parfois au point de créer une rupture (
vous avez dit dissonance ludo-narrative ?),
Toby Fox a lui construit son projet en considérant les deux comme un tout. Difficile d'en parler sans spoiler, mais
Undertale intègre les codes et éléments du RPG, comme les combats aléatoires et le gain d'expérience comme des éléments à part entière de la vie de cet univers, et non plus comme de simples éléments statistiques et pratiques. La manière dont le joueur progresse aura une influence en continu sur la manière dont le jeune humain sera perçu, sur les dialogues, les évènements et leurs déroulements ainsi que sur les conclusions qui peuvent être multiples ; jouer l'ange ou le démon sera clairement ressenti au fil du jeu, jeu qui ne se privera pas d'accabler et / ou de se moquer du joueur et de briser le quatrième mur pour mettre le mettre face aux responsabilités de ses actes. Mieux encore, le jeu se rappelle de chaque action faite et, directement ou indirectement, le rappellera au joueur en lui collant le fait accompli en pleine face ; se faire traiter d'hypocrite après avoir rechargé une sauvegarde pour épargner un monstre tué quelques minutes auparavant est une manière assez étonnante de perturber un joueur habitué à charger/sauvegarder pour déterminer le meilleur résultat d'une action. Et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. En créant ainsi une telle alchimie entre le gameplay et narration,
Undertale offre une expérience qui implique, offrant le choix et donne de l'importance à ce choix tout en renforçant la crédibilité et l'attachement à ce drôle de monde souterrain.
Un souci du détail qui force le respect mais qui a aussi ses conséquences,
Undertale est truffé de secrets et une bonne compréhension de son histoire et de son univers passe au moins par trois fins différentes, dont deux qui ne sont pas tendres avec le joueur d'un point de vue jeu (sans parler d'une éventuelle lassitude à revoir les mêmes tableaux) et qui nécessitent des conditions particulières pour être accomplies. Et même avec ces trois fins, visiter le wiki ou des sites à spoilers peut surprendre devant la quantité de secrets encore détenus par le jeu. Pour l'anecdote,
Toby Fox a même pensé aux amateurs de
hacking avec quelques éléments planqués dans les fichiers du jeu, dont une fin spéciale !
You feel like you're going to have a bad time
RPG au tour par tour assez minimaliste, Undertale propose une exploration plutôt rectiligne et des puzzles légers, puzzles qui sont là avant tout pour servir l'univers et les actions des personnages plutôt que de faire tourner la matière grise du joueur. Bref, pas vraiment le meilleur point du soft. Pour les combats en revanche, c'est autre chose. On ne disposera que de quatre actions pendant les affrontements : Attack, Items, Act, Mercy. Comme son nom l'indique, la première sera une attaque physique elle prendra la forme d'une sorte de jeu de rythme ou il faudra arrêter une barre, si possible bien au centre de l'écran, afin de maximiser les dégâts. Toute aussi évidente, Items permet d'utiliser... des objets, le choix se faisant plutôt vite car l'inventaire du héros ne possède que 8 emplacements. Chose intéressante c'est l'intégralité de l'inventaire qui est accessible en combat et certaines utilisations peuvent avoir des effets surprenants : par exemple si l'on garde le bâton de bois (toute première arme du jeu) on peut faire tourner en rond les ennemis canins, utiliser un biscuit-araignée devant un certain boss du jeu permet de directement couper court à l'affrontement... car ce dernier n'attaque pas ses clients !
L'action Act, quant à elle, est probablement la plus importante de toutes. Elle permet d'accéder à une liste d'actions qui différera selon le monstre choisi : mystifier, rire, raconter une blague, provoquer, chanter ne sont que quelques unes de ces actions. Et c'est à cette action Act que se rattache un des principes fondamentaux sur lesquels est construit Undertale et qui sert d'accroche au jeu : un jeu dans lequel on ne peut tuer personne. Les monstres sont des êtres vivants avec des sentiments, pas juste des sources d'argent et d'expérience ! En choisissant les bonnes actions ou combinaisons d'actions, il est possible de conclure un combat - et l'histoire - sans qu'une seule goutte de sang ne soit versée. Un monstre prêt à jeter l'éponge verra son nom virer au jaune, et c'est à ce moment que la dernière option, Mercy, pourra être utilisée ; on peut aussi l'utiliser pour fuir les combats. Ces actions contextuelles sont aussi l'occasion de tout un tas de réactions et de situations loufoques qui permettent de mieux connaître les monstres, et par conséquent de renforcer son attachement à Undertale.
En revanche, même si l'on cherche à conclure un combat de la manière la plus pacifique possible, le camp d'en face ne se privera pas d'attaquer à chaque tour. A chaque attaque ennemie, le combat se transforme temporairement en une sorte de shoot'em up où le joueur, symbolisé par un cœur, va devoir éviter une pluie de projectiles divers et variés - des larmes, des biceps, des chiots en furie, pour ne citer que ça - afin de pas voir ses points de vie fondre comme neige au soleil. Chaque monstre dispose de ses propres patterns, des patterns qui peuvent changer au fil du combat et qui peuvent aussi s’entremêler selon le nombre de monstres présents lors de l'affrontement ; attention cependant à ne pas mettre en pétards vos interlocuteurs pendant les phases Act, car la difficulté peut facilement monter d'un cran. Il faudra aussi compter sur des règles qui vont ponctuellement changer au fil de l'aventure, comme voir notre cœur être soumis à la gravité ou pouvant éviter des dégâts en étant mobile/immobile face à des projectiles d'une certaine couleur. Les combats contre les boss sont en ce sens unique car chacun aura un fonctionnement différent. Une manière originale de dynamiser cet aspect du jeu, même si il faut bien avouer que les nerfs peuvent parfois être mis à rude épreuve notamment contre certains boss.
STOP PLAGUING MY LIFE WITH INCIDENTAL MUSIC!
Graphiquement, c'est plutôt difficile de faire une longue description du jeu. Avec sa tronche de jeu 16-bits pas fini, malgré le fait qu'il soit coloré et que le design des monstres est bien original, le jeu donne surtout une impression de pauvreté avant tout. Voulu, pas voulu afin que le joueur reste concentré sur l'essentiel ? Allez savoir, mais ce style colle à la peau de la vie burlesque de ce monde souterrain. Ce qui est sûr en revanche, c'est qu'avant d'être graphiste ou codeur,
Toby Fox est avant tout un musicien et cela se ressent bien. Faussement rétro et aussi variée que fournie (elle contient 100 pistes, ce qui est gros pour un jeu indé), la bande-son du jeu est indéniablement un des piliers de l'aventure, accompagnant avec une cohérence parfaite les moments sérieux, burlesques et émouvants du jeu, le genre de bande-son qui se loge dans votre tête pendant de longues semaines. Les thèmes accompagnants les affrontements contre les boss sont d'ailleurs plus que mémorables.
Comptez en moyenne 6 à 8 heures pour compléter une partie, et entre 15 et 20 pour faire les trois parties (minimum) nécessaires à la totale compréhension du jeu.
Sous son apparence austère et minimaliste, Undertale cache bien son jeu, celui d'une profondeur insoupçonnée et d'une utilisation intelligente du medium appelé jeu-vidéo, et qui force un peu plus le respect quand on connait le passif du projet. Un joli exercice de sincérité et d'inventivité totalement à contrecourant de cette tendance voulant une chasse au grandiose quitte à oublier ses possibilités pour essayer de mieux singer les autres médias. A la fois très drôle et très sérieux, très cliché et très innovant, très profond et très simpliste à la fois, Undertale dépasse son statut de jeu-vidéo pour offrir une expérience unique, cohérente, qui implique et qui ne peut pas laisser indifférent, mais à une seule condition : ne pas laisser autre chose que son instinct guider ses pas. Au moins pour une première partie.
26/12/2015
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- Un casting mémorable
- Un système de combat original
- Une histoire bien écrite et touchante
- Une déconstruction intelligente du jeu-vidéo
- Une bande-son qui déboite
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- Une partie aventure un peu pauvre ?
- Le cheminement pour les fins pas forcement évident et parfois pas très agréable
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TECHNIQUE 1/5
BANDE SON 5/5
SCENARIO 5/5
DUREE DE VIE 3/5
GAMEPLAY 4.5/5
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