Démarrer un nouvel épisode de Pokémon, c'est toujours l'assurance de se replonger dans un petit bout de nostalgie confortable. Même à trente ans passés et l'esprit ailleurs, les sensations ressenties "la première fois" reviennent vite, et c'est d'autant plus vrai que la formule n'a pour ainsi dire pas bougé d'un iota depuis 1996, en dépit des timides changements consentis par le cru 2016.
Talula does the Hula from Alola
Alola à tous ! Êtes vous des filles ou des garçons ? Euh, qu'est-ce que je raconte ?
Vous connaissez la musique, le joueur débarque dans une nouvelle ville avec sa môman et décide, plutôt que de l'aider à défaire les cartons, de l'abandonner à son triste sort de femme au foyer pour aller traquer les pokémons sauvages. Le tout à onze ans, mais que fait la police ? Comme il serait présomptueux pour un seul gamin de vouloir sauver le monde seul, allons-y à trois ! Notre jeune héros sera donc accompagné - de force - dans sa quête par un ahuri perpétuel lui aussi en formation, ainsi que d'une greluche dont les seules passions semblent être de faire les boutiques et enguirlander son remuant pokémon rare à chaque cut-scene.
Comme vous pouvez le remarquer, cette nouvelle mouture reprend très exactement la trame habituelle de la série, une histoire simpliste et prétexte d'un voyage initiatique, mais avec cependant une nuance : la narration s'appuie désormais sur une scénarisation beaucoup plus présente qui passe en premier lieu par la présence d'un marqueur d'objectif dans les villes, mais aussi dans la nature et les donjons, par ailleurs extrêmement courts et rares. Chaque objectif est là pour déclencher une scène ou un combat éventuel, mais leur omniprésence dirigiste finit par être carrément lourdingue.
Arrêtons-nous un moment pour analyser cette nouvelle feature. En un sens, le changement est mineur ; la série n'a jamais offert une énorme liberté de déplacement puisque la progression était déjà entravée par l'obtention préalable des badges et des différentes Capsules Secrètes qui créaient des frontières implicites, voire directement de gardes-barrières. Ici les traditionnelles CS sont remplacées par un appeau à pokémons, lesquels viendront nous prêter main forte dans nos déplacements : un Locklass pour surfer sur les eaux, un Tauros pour défoncer les rochers environnants, un Mastouff pour renifler les objets cachés éventuels et j'en passe. L'un dans l'autre, c'est la même chose en plus pratique question gestion des capacités pokémon. Les badges sont remplacés par des cristaux, les arènes par des épreuves, les gardes-barrière par... des gardes-barrière. Mais en pleine nature, c'est important. Les changements sont donc purement cosmétiques, mais le ressenti diffère largement. Autrefois induites par le game et level-design, les barrières sont désormais subies car pointées en permanence par ce petit drapeau, anodin mais qui donne une impression d'entrave à la liberté et au libre-arbitre. C'est d'ailleurs un comble, quand la licence se décide enfin à libérer l'avatar du déplacement case par case sur quatre directions.
Ula-Ula, pour des rencontres chaudes
L'archipel d'Alola, dont les inspirations se basent sur Hawai et la Polynésie, est formé de quatre îles distinctes et diffère des continents tels Kanto ou Johto par les croyances de ses habitants. Ceux-ci ont développé une relation forte avec les déités gardiennes des îles, proches de l'animisme. Ces protecteurs, à la gloire desquels on dispose des Tikis un peu partout, choisissent un Kahuna - ou Doyen - chargé de présider à la mise en place d'une grande épreuve initiatique appelée Tour des Iles, à laquelle s'adonneront les enfants ou jeunes adultes désireux de parfaire leur maîtrise des pokémons.
Si cela vous rappelle quelque chose, c'est normal. Le tour des iles n'est dans l'esprit pas si loin des anciennes arènes bien connues des joueurs, puisqu'il s'agit de remporter une suite de combats thématiques parfois agrémentés de petites énigmes ou quiz, avant d'affronter le boss. Mais encore une fois, la septième génération se démarque des précédentes par le nombre d'épreuves d'abord, chacune des îles comptant entre un et quatre capitaines ainsi qu'un Doyen à vaincre, mais aussi par la nature du combat final sanctionnant la réussite de l'épreuve. Au lieu d'affronter un dresseur et son équipe, c'est un pokémon déchaîné appelé Dominant qui vous assaille. Largement boosté par un cristal Z, le dominant est capable d'employer les fameuses techniques du même nom mais aussi d'appeler en renfort ses congénères, une compétence qu'il partage d'ailleurs avec nombre de pokémons sauvages qui n'hésiteront pas eux-aussi à faire durer les combats.
Ce n'est qu'une fois la bête vaincue que vous obtiendrez le fameux cristal Z, précieux sésame vers la suite de l'aventure mais aussi véritable arme de destruction massive entre des mains expertes. En le faisant tenir à un pokémon, celui-ci pourra bénéficier d'effets décuplés pour ses techniques, mais seulement une fois par combat.
Étrangement, Game Freaks n'a pas su sur quel pied danser pour mêler la trame classique et purement fonctionnelle à une scénarisation plus prononcée. Le début du jeu part dans la bonne direction, on avance doucement mais sûrement d'épreuve en épreuve, avant de se rappeler soudain qu'on a encore 20 pages de script a caser. D'un coup, on envoie valdinguer les épreuves, les Cristaux-Z manquants nous sont filés aléatoirement car c'est pas tout ça mais les failles spatio-temporelles ne vont pas se refermer toutes seules. Curieuse manière de rythmer son aventure...
De l'origine des espèces
En gardant en tête que la franchise a toujours basé son univers sur le monde réel, Alola ne peut que faire penser à bien des égards aux iles Galapagos. Les pokémons du coin sont pour la plupart des espèces endémiques, et même les plus connus ont dévié de leur forme classique sous l'influence du climat ou de leur alimentation, bien que les plus éminents chercheurs comme le professeur Chen se perdent encore en conjectures. Parmi ces "formes Alola" - malheureusement limitées à la première génération - on trouvera ainsi un Goupix au pelage aussi blanc que la neige, ou encore un Raichu qui ajoute à ses étincelles le type Psy. L'une des caractéristiques de la faune semble d'ailleurs être la profusion de doubles-types donnant lieu à des combos assez inédits, mais souvent plus difficiles à mêler ; les Insectes sont légion tout comme les Spectres, à la différence des types Eau bien plus rares en début de jeu, et il devient compliqué de former une équipe où pas une force et faiblesse ne se recouvrent. Ceci dit les possibilités sont suffisamment riches pour plaire à tout un chacun, et ce sera au moins l'occasion de changer un peu des habitudes, depuis 20 ans qu'on pratique.
En resserrant le nombre de nouveautés eu égard aux espèces déviantes de leur forme d'origine, le jeu se laisse aller à un fan-service plus prononcé. Les références sont nombreuses tout comme les caméos, mais c'est surtout pour l'attachement aux nouveaux qu'on se fait du mauvais sang si les anciennes générations leur piquent autant la vedette. En effet seules 81 toutes nouvelles têtes font leur apparition, un chiffre en nette régression. Pas toujours très inspirées ni aussi charismatiques que les chouchous de longue date, on peut tout de même en tirer son champion. Pour moi ce fut le coup de foudre pour Vorastérie ; quel sera le votre ?
Vous en avez assez de cette bande de racailloux ?
Comme d'habitude, le scénario gravite autour d'une équipe de méchants mauvais, la bien nommée Team Skull. Une bande de délinquants, petites frappes, rappeurs ratés,
ganguros, traines-savates et autres rebuts de la société qui parlent en verlan et s'enfuient dès qu'ils n'ont plus l'avantage. D'odieux personnages capables de laisser trainer mablettes et nunchuks de WiiU bien pégueuses à même le sol de leur taudis. Monstres ! Mis à part leur attirance pour l'anarchie, ils reprennent tous les codes de la Team Rocket et leur gout du vol de pokémons et croiseront fatalement la route du futur champion. De l'autre côté, la Team Aether cherche, elle, à porter assistance à tous les pokémons blessés, ainsi qu'à comprendre un mystérieux phénomène de brèche interdimensionnel qui apparait dans le ciel d'Alola. Une trame si classique et manichéenne qu'on en voit arriver les soubresauts avec des heures d'avance.
D'aucuns vous soutiendront qu'il y ont tout de même perçu une maturité qui tranche radicalement avec la gaminerie habituelle. Maturité, il faut le dire vite : certes on rencontrera quelques réflexions des habitants d'Alola sur la condition des pokémons, leur relation au dresseur ou leur mortalité au travers de courtes histoires plus ou moins dramatiques, mais c'est une constante dans la série. Si changement il y a sur cet aspect, c'est surtout dans la franchise des historiettes, qui peuvent directement parler de la mort d'un proche quand elles avaient plutôt tendance à rester évasives pour laisser le joueur cogiter par lui-même. La fin du jeu, plus travaillée comparativement au rien d'avant en devient douce-amère, les descriptions des pokémons parfois plus cruelles, et la présence des Ultra-Chimères dans le roster y ajoutent une touche monstrueuse plus prononcée que l'habituelle candeur dont le design fait preuve.
Poképets does what Nintenmons
Tant qu'on parle maturité, Pokémon Soleil/Lune se pare de toujours plus de mini-jeux destinés à tisser des liens entre le dresseur et ses bestioles. A la manière de l'inusable système déjà vu dans Fire Emblem - entre autres - on peut désormais filer à bouffer à nos bébêtes, leur masser langoureusement le cuir chevelu pour stimuler son affection ou encore affecter le contenu de notre équipe de réserve à diverses tâches de gestion au lieu de les laisser moisir dans le PC. Si cette dernière feature est aussi anecdotique que la Place festival pour le jeu offline, l'élevage est en revanche beaucoup plus important. Outre qu'il est désormais simple de guérir les altérations d'état en sortie de combat par un petit coup de pinceau magique, l'attachement du pokémon joue énormément sur le déroulé des duels. Les plus fidèles pourront régulièrement lancer des coups critiques, éviter les attaques ou même résister d'un cheveux à un KO programmé. C'est sympa quand ça arrive, mais ça rend par voie de conséquence le jeu encore plus facile qu'il ne l'est déjà.
Il faut dire que la difficulté du contenu in-game a clairement été revue à la baisse. Si l'on excepte les Topdresseurs et les boss, les ennemis ne portent tout au plus que deux ou trois pokéballs et peuvent de toutes façons être très facilement évités : dans cet environnement en 3D, croiser un regard de loin n'est plus un combat automatique, et nombre de dresseurs n'ont aucune conscience de leur entourage quand vous filez discrètement dans leur dos. Une fois n'est pas coutume, l'habituel Rival récurrent choisit le Starter faible contre notre propre animal de compagnie, et les Teams se contentent des mêmes bestioles faibles du début à la fin du jeu. En cas de coup dur, l'utilisation d'un Z-move est presque synonyme de victoire, du moins contre le pokémon adverse en jeu. Enfin, c'est peut-être aussi que la force de l'opposition n'est pas adaptée à l'activation permanente du Multi-XP, cet accessoire obtenu très tôt dans le jeu qui peut à loisir maintenir l'ensemble de l'équipe à un niveau proche des combattants. Même le post-game, conséquent, laisse à désirer sur ce plan-là malgré deux-trois surprises bienvenues. Bref, pour trouver du répondant, il faudra s'en remettre aux nouvelles Batailles Royales qui demandent plus de tactique et de chance, au jeu online qui trop souvent mise sur le tout-compétitif, ou partir dans les rues combattre ses amis. Gageons que Game Freaks compte capitaliser sur le succès de PokémonGO pour regonfler les opus traditionnels, et si l'on en croit les pubs, articles et annonces de ventes record ça semble bien parti pour marcher.
Le mot de la fin
Cette nouvelle génération apporte son lot de menus arrangements en terme d'ergonomie. Il est possible d'ouvrir le menu des pokéballs d'une simple pression - un must en cas de capture difficile - et d'assigner les Poké-montures qui remplacent les CS à une direction du pad. Il est par contre dommage de constater que le maitre des capacités a été relégué presque à la fin du jeu, quand certains pokémons importants en ont besoin pour obtenir des skills intéressants. Une faute de goût assez difficile à comprendre mais peu pénalisante ; encore une fois on est rarement bloqué, et nos recrues sont suffisamment puissantes pour faire face à n'importe quelle menace du jeu de base. L'accès aux fonctions multijoueur en ligne ou avec ses amis comme l'échange et les combats libres sont directement accessibles dans le menu. Quant aux fous de compétitions, l'apparition d'un Entraînement Ultime dédié à l'amélioration des IV des pokémons au niveau 100 sera un plus non négligeable. L'obtention de natures précises et de certains talents demandera en revanche toujours autant de farming.
Au rang des différences entre les deux versions, onze pokémons et les évolutions seront exclusifs à chacune, dont la mascotte légendaire associée (vous savez, celle qui se trouve sur la jaquette) et certaines ultra-chimères. Le minimum syndical, qui s'accompagne d'un décalage de l'horloge du jeu : quand il fait jour dans la version Soleil, il fait nuit dans la version Lune... et inversement. C'est peu, et on ne s'étonnera pas si une version Étoile ou assimilée s'écrase dans les bacs d'ici quelques mois mais que voulez-vous, le modèle commercial a beau vieillir il marche toujours autant. Pourquoi en changer ?
Malgré une volonté affichée de scénariser plus visiblement son aventure, et d'ancrer les mécaniques de jeu de cette septième génération dans un univers plus exotique qu'à l'accoutumée, Pokémon fait du sur place. Une centaine de nouvelles têtes à capturer, de menus remaniements dans les systèmes de jeu et c'est marre. Pourtant les versions Lune et Soleil sont un vent de fraicheur, ou plutôt une brise, qui donne envie de s'y replonger. Alors on enfile son T-shirt préféré, la casquette vissée sur la tête et le sac accroché au dos, on caresse une dernière fois le Miaouss familial et c'est parti pour l'aventure à deux pas de chez soi.
22/01/2017
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- Les systèmes de jeu restent extrèmement efficaces même après 20 ans
- Quelques nouveautés appréciables
- Certaines nouvelles têtes sortent tout de même du lot
- Une bonne bande-son
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- La scénarisation n'a pas que du bon
- Rarement très inspiré
- Difficulté inexistante
- Techniquement toujours faiblard, avec des ralentissements
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TECHNIQUE 3/5
BANDE SON 3.5/5
SCENARIO 2/5
DUREE DE VIE 4/5
GAMEPLAY 4.5/5
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