Je sais ce que vous allez dire : "Encore un Roguelite indé super dur, et en plus, c'est pas vraiment un RPG.", et vous auriez raison. Into the Breach, Slay the Spire, Crypt of the Necrodancer ou encore l'excellent Dead Cells. Le genre est devenu épidémique depuis quelques temps, prenant la place et certains codes des Souls. S'il fait date, c'est que ses forces s'exercent bien sur de courtes sessions, particulièrement adaptées à des systèmes tels que la Switch d'ailleurs. Une science du gameplay facile à prendre en main mais dur à maitriser, particulièrement accrocheur. Qui a souvent tendance à éclipser le scénario par ailleurs, et c'est peut-être sur ce point que Hades a une vraie carte à jouer.
Charondez-vous avec l'Histoire
Cette optique très narrative, disruptive donc - pour utiliser le mot - ne sort pas de nulle part, mais de son développeur
Supergiants Games déjà coutumier du fait. Les développeurs de
Bastion,
Transistor et
Pyre ne sont pas à leur coup d’essai et se sont fait un nom avec leurs jeux de rôle racontés par un narrateur extérieur, ainsi qu’une bande son de qualité intégrée à la diégèse, un facteur sonore qui revêt du moins une importance primordiale. On trouvera notamment ici quelques thèmes chantés du plus bel effet, ainsi qu'un doublage soutenu en anglais.
Dans
Hades, on incarne
Zagreus, le fils du dieu grec éponyme. Le tempérament colérique de son père, le non-dit qui s’installe entre eux vis-à-vis de la disparition de la mère du jeune prince envenime l’ambiance. Leur relation conflictuelle, et c’est peu de le dire, culmine dans la fugue du prince qui veut sortir de cet environnement toxique, où tout lui est caché. Seulement entre lui et sa liberté se placent les
Enfers, ses portes, ses monstres et ses trésors.
De ce but simple, qui le restera d’un bout à l’autre et dont découle le gameplay,
Supergiant tisse un panthéon pour le moins coloré qui déploie ses relations au goutte à goutte, avec un chara-design soigné et humour féroce. L’idée, c’est de conditionner cette évolution aux progrès faits dans les phases d’exploration. Ainsi après chaque mort de Zagreus, porté par le Styx jusqu’à ses pénates, de nouveaux dialogues sont disponibles avec les habitants du palais. Le portier Hypnos commentera notre dernier trépas de mort naturelle ou contre le boss de fin, l’infâme
[Censuré]. Mégère, l’une des Érinyes, fait sa tsundere à l’égard du prince avec lequel elle a semble-t-il maille à partir. Orphée cherche sa femme, le héros Achille son ancien camarade. Les trois têtes de Cerbère demandent des grattouilles tandis que dans le fond Hades tonitrue sur les papiers administratifs qui s’amoncellent devant le cortège d’âmes. Là où habituellement cette progression se ferait linéaire, elle est ici cumulative et asservie à nos actes. Accepter de partager une choppe de Nectar glanée au cours de notre ascension permet de débloquer de nouvelles étapes – et accessoires -, sortir enfin du « donjon » ou rencontrer un PNJ spécial sera sans aucun doute suivi d’effets.
Le père, le fils et le triple-esprit
Nyx la police
Intervenant plus indirectement auprès de Zagreus que leurs homologues chtoniens, les dieux olympiens participent allégrement à l'ambiance très foutraque du jeu. Famille nombreuse autant que bordélique, leurs relations s'avèrent aussi tendues que celles du protagoniste et de son paternel : Zeus regarde ses deux benjamins de haut, Artemis complexe sur son manque de raffinement par rapport à ses altières sœurs, l'épicurien Dionysos se murge en permanence tandis qu'Ares n'est là que pour la bagarre. Leurs interactions sont toutefois assez rares, limitées aux
Bienfaits Duo qui apparaissent sous certaines conditions. C'est peut-être là que se perçoit le plus clairement la limite du système, dans ces petites pastilles séparées, très drôles prises séparément mais qui manquent de chronologie et de liant. À côté d'elles, les lentes trames consacrées à tel héro ou telle muse seront un peu plus prenantes.
Mec...
Malgré tout le résultat nous apparait en général fluide, eu égard à une traduction française sans fausse note. Cette façon de faire permet surtout de briser la monotonie en offrant une respiration entre deux
runs accrochés, voire une récompense narrative aux joueurs et ce quelque soit son niveau de jeu. Sans oublier son potentiel mémétique, déjà un succès auprès des fans sur les réseaux sociaux.
Zagreussite totale
Beaucoup de
Roguelite nouvelle formule ont choisi la forme de
platformers en vue de côté,
Hades a préféré l’
isométrie de petites pièces fermées à génération pas tout à fait aléatoire (le contenu et l’agencement peut changer mais on trouve aussi des évènements spéciaux et autres mini-boss). Une vision qui a de quoi désarçonner quelques instants, le temps que l’œil s’habitue à la vivacité des déplacements, aux nombreux effets visuels qui envahissent l’écran, aux patterns des boss et au maniement des armes qu’on met à sa disposition.
Celles-ci sont au nombre de six, et fixes pour une fois, mais il faudra pour toutes les débloquer récupérer des clés en tentant de traverser les geôles du Tartare, les champs en fusion de l’Asphodèle, ceux plus éthérés mais tout aussi vicieux des Champs Elyséens, et les autres épreuves jusqu’à la porte des Enfers. À la lame du Styx s’ajoute une lance magnétique, un arc, un bouclier et quelques surprises. Initialement simples – un dash, une attaque, une technique spéciale -, leurs maniements gagnent en intensité au fil du jeu jusqu’à débloquer les « aspects » spéciaux qui transforment totalement leurs caractéristiques.
Le moindre choix peur faire changer vos capacités du tout au tout
Et c’est là le coup de génie du jeu, peaufiné durant sa phase d'
early access : tous ses compartiments se dévoilent par couche. Chaque pièce des Enfers renferme sa récompense, et parmi elles (Oboles trébuchantes, cœur de centaure pour la vitalité et bien d’autres) les
Bienfaits des dieux de l’Olympe sont peut-être les plus prisées. Ceux-ci, à choisir parmi trois propositions aléatoires, sont des modificateurs qui vont d’une amélioration d’attaque à un effet spécial lors d’un dash, en passant par un changement total du comportement du « lancer sanguin » qui caractérise le pouvoir de Zagreus. Parfois assortis de malus, parfois mal assortis au build actuel, souvent game-changer, les bienfaits sont le sel du gameplay. Ils résonnent directement avec le maniement des armes qui peut changer du tout au tout entre deux parties selon les choix entrepris, et l’on apprend peu à peu à les dompter : on comprendra que les charmes d’Aphrodite ont tendance à désarçonner les ennemis, que les vagues de Poséidon pourront les éclater contre le mobilier, que la perspicacité d’Artémis est pratique pour le Crit alors qu’Athena est plus là pour
protecc, sauf quand elle
attacc notre héros quand d'aventure le bougre lui manque indirectement de respect. Et l’arrivée des autres dieux, des nouveaux évènements et bienfaits, ne fait que renforcer un système-somme particulièrement bien fourni et diversifié. À terme, bâtir un Build viable autour du simple
dash devient une tentative aussi excentrique que réalisable. La richesse du système est difficilement évaluable sans mettre les mains dans le cambouis, mais on n’en sera que plus émerveillé.
Même les boss, pourtant toujours fidèles à leur poste prédéfini, subissent de menus changements à mesure des essais d’évasion. Les têtes de l’hydre de Lerne pourront tantôt envoyer des missiles rapides, tantôt des vagues aussi nombreuses qu’étendues, ou frapper le sol en AoE, si bien qu’il faudra rester sur ses gardes même à la cinquantième échappée.
Oui parce que sinon vous pourriez être pris au dépourvu.
Pas de permHades
Par essence, Hades est un jeu difficile. Les premiers niveaux nous opposent à quelques cranes volants et spectres belliqueux plutôt simples à gérer, même de notre gaucherie initiale, mais plus on monte et plus les attaques se font complexes. Tirs de boulettes en nombre, ennemis à armures, à boucliers, qui se régénèrent après quelques secondes si on ne les achève pas, mini-boss relous et pièges en tous genre… Une session complète (j’utiliserai « run » par la suite car c’est le terme usuel) dure quelques dizaines de minutes, mais il est tout à fait improbable qu’un novice atteigne la sortie directement. Si les vagues de monstres et le peu de sources de régénération de vie ne suffisent pas, les boss s’en chargeront. Comme beaucoup de jeux aujourd’hui, cet échec initial et ceux qui suivront ne sont pas un Game Over, mais partie intégrante de la boucle de gameplay : vous devez échouer pour apprendre, aller un peu plus loin, vous arracher les cheveux sur telle difficulté que vous surmonterez la fois suivante, mourir, piger enfin le fonctionnement de cette mécaniques, mourir, revenir, mourir, mourir et enfin triompher sur un coup chanceux… pour vous apercevoir que le jeu ne fait que commencer et que votre potentiel de maitrise est encore bien plus étendu.
La nuance entre Roguelike et Roguelite est fine mais perceptible : dans le second, dont Hades fait partie, tous les aspects du jeu ne sont pas perdus lors de la mort. Ici sont conservés les objets d’échange, telles les Obsidiennes permettant d’acquérir qui un surcroit de vie initiale, qui un dash supplémentaire, un pourcentage d’amélioration de rareté des objets ou même des charges de résurrection. Des accessoires variés viennent vous donner un coup de main, influençant vos futures trouvailles ou donnant un bonus de dégâts si vous parvenez à finir une salle indemne. L’armement, étriqué au départ, se débloque peu à peu, puis se modifie en fonction de vos gouts. On débloquera des fonctions jusqu’à plusieurs dizaines d’heures après nos premiers pas, finalement.
Et surtout, votre connaissance du jeu reste. Vos réflexes s’affinent, la tactique à adopter contre ce groupe de difficultés se bonifie, votre choix de « build » se perfectionne. Les combats, rapides et disputés, peuvent sembler illisibles au premier abord avec leur profusion d’explosion et effets visuels, les Elans endiablés de notre rejeton des enfers additionnés d’attaques et de passifs automatiques ; quelques heures plus tard vous n’y ferez plus attention tant votre œil s’y sera habitué, et le maniement du personnage est suffisamment bien pensé qu’il parait fluide et naturel : ainsi les attaques et autres tirs jouissent d’une part d’automatisme de visée généralement transparente, histoire de pouvoir cibler des ennemis éloignés sans pester contre les contrôles des joycons.
Hades metal
De source sûre, le mélange de Roguelite narratif proposé par Hades parvient à galvaniser même les joueurs qui se définissent comme « moins skillés », en tempérant la frustration de cet échec attendu et nécessaire par le déblocage constant de petits bouts de narration sans les conditionner à la maitrise du jeu.
Le débat sur la difficulté fait rage dans le microcosme du Jeu Vidéo, comme on l’a encore subit en 2019 avec l’excellent Sekiro, qui avait laissé une partie des joueurs de tous horizons sur le carreau. Plus que jamais, en 2020 les développeurs ont à cœur d’éviter cette frustration autant que le bad-buzz, et quoiqu’on pense de la vision d’auteur et de sa modification à des fins d’accessibilités l’affaire n’est jamais facile à décider. Du côté de Supergiant Games, ça a cogité dur : impossible (du moins pas souhaitable) de mettre un mode assisté aussi vénère que celui de Celeste tant la mort fait partie de l’expérience de jeu, son absence pourrait avoir un impact délétère tant sur la narration que sur l’optique du système de jeu. Leur choix s’est plutôt porté sur un « God Mode » moins intrusif.
En activant cette option, on ne remarquera pas initialement de changement particulier. C’est en mourant qu’elle se met en branle : pour la prochaine run Zagreus bénéficiera d’une résistance accrue aux dégâts qui se renforcera encore à la suivante, et encore aux suivantes. Ainsi les épreuves d'Hades se montreront progressivement moins punitives jusqu’à ce que la technicité acquise par le joueur ne dépasse les capacités du dieu des Enfers.
À cette assistance, désactivable à tout instant, répondent des options contraires débloquées une fois le jeu « fini », à la manière du mode Ascension de Slay the Spire, autre Roguelite à succès. Hades nous propose alors, si le cœur nous en dit, de réitérer nos hauts-faits jusqu’à plus soif, avec nuls autres buts que de continuer à s’amuser, suivre les trames narratives jusqu’au bout et… atteindre la « vraie » fin du jeu. Pour ce faire, une liste de conditions fatales fait son apparition devant la porte dérobée qui mène au Tartare. Elle viendra renforcer le challenge par plus ou moins petites touches, augmenter les dégâts ennemis, donner des nouvelles techniques aux boss ou encore rendre les pièges plus mortels, là encore de façon paramétrable. En gros, laisser au joueur la possibilité de s’ajouter les embuches qu’il préfère pour mettre à l’épreuve ses nouvelles capacités. Une nouvelle phase de jeu qui n’a d’autre fin que ses envies et sa patience devant un jeu tout de même très répétitif par nature.
Sur le papier,
Hades n’est pas excessivement inventif, ni très long et varié. Par sa composition de jeu-système, il use de grosses ficelles jusqu’à la moelle (l’auteur de ces lignes a stoppé sa partie après plus de 55 heures et soixante tentatives d’évasion). Mais il le fait excellemment bien, avec une touche rare et une réalisation sans faille. Pour peu que vous adhériez à la formule, que la répétition ne vous repousse pas, et que vous ayez à cœur de débloquer les multiples trames narratives, d’expérimenter sans cesse de nouvelles façons de jouer, vous y trouverez pourtant sans conteste possible l’un des jeux de l’année 2020.
Let's rock, baby!
09/01/2021
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- Un schéma narratif original
- Le gameplay, simple, tient et se renouvelle sur la longueur
- Personnages attachants
- Musiques et interprétations des dialogues soignées
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- Répétitif par nature
- Il fait partie de ces jeux qui peuvent être décourageants, malgré le God Mode
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TECHNIQUE 4.5/5
BANDE SON 4/5
SCENARIO 4/5
DUREE DE VIE 4.5/5
GAMEPLAY 4.5/5
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