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Compile Heart a annoncé cette semaine la venue de son nouveau label : Galapagos RPG. Cette marque accueillera les prochains RPG de la firme et seront créés pour « Japan-specific customers ». Une expression bien mystérieuse qui pourrait se traduire de deux façons selon l’interprétation qui en est faite. La première serait « pour des clients spécifiquement japonais » et la seconde « pour des clients japonais spécifiques ». Fort heureusement Compile Heart a cru bon de préciser sa pensée en contactant Siliconera. Ce dernier rapporte donc les propos de la boite, selon laquelle Galapagos RPG, plus qu’un simple nom, est un acte de contestation envers l’occidentalisation du jeu vidéo japonais et un retour aux sources annoncé aux valeurs nippones du médium, afin de séduire le public japonais en priorité. Compile Heart n’est toutefois pas un cas isolé. Hideo Baba producteur de la série Tales of, s’était également illustré l’an dernier, à la même période, en rappelant que sa série est avant tout développée pour le Japon et que les joueurs japonais sont sa priorité absolue.
Le drapeau et symbole du label Galapagos RPG Ces déclarations participent tout d’abord d’une lapalissade tout à fait grotesque, tellement l’évidence s’impose à nous. En effet, qu’un studio japonais dise que sa production culturelle se destine avant tout au public constituant son premier récepteur économique, cela saute aux yeux de quiconque voudra bien considérer la logique du marché. Très peu de jeux développés au pays du soleil levant ne disposent effectivement d’une sortie internationale, encore moins les J-RPG, enfants bâtards de la localisation. La barrière du langage et de la traduction est une première explication, les coûts de localisation supplémentaires une autre et l’absence fréquente de perspective internationale dès le début du développement une dernière. Darwinisme japonais Revenons ensuite un instant sur l’utilisation du terme Galapagos, qui peut sembler incongru au non initié. Le Galapagos Syndrome sert à caractériser un phénomène qui se rapporte à une partie isolée d’un système plus global, tout comme les îles Galapagos et son écosystème si particulier par rapport au reste du monde ont permis à Darwin de conduire ses travaux sur l’évolution. Ce terme est le plus souvent utilisé pour caractériser des phénomènes japonais, comme par exemple les téléphones portables japonais durant la dernière décennie, qui étaient bien en avance sur ceux de leurs congénères européens ou américains. Ainsi, en employant le terme Galapagos, Compile Heart se revendique d’une exception japonaise, d’un certain particularisme par rapport au reste du monde. Seulement, ce n’est là qu’une autre de ces évidences dont le développeur semble s’enorgueillir. Depuis l’explosion d’internet, le monde entier a pris conscience de la spécificité culturelle japonaise, l’archipel nippon constituant lui-même un phénomène Galapagos de civilisation. Pour un tableau clair de la façon dont le mécanisme gagne tout le Japon, je vous conseille d’ailleurs le brillant article de Devin Stewart, directeur de programme au Carnegie Council for Ethics in International Affairs. Mais passons. Logo de la compagnie Compile Heart Outre le caractère très tautologique de ces faits, il est plus pertinent de se pencher sur leur raison d’être profonde. Pour cela, focalisons-nous sur le label Galapagos RPG en scrutant la vidéo de promotion de la marque parue sur le site officiel du développeur. Celle-ci dépeint un drapeau rose flottant sur un fond bleu ciel, frappé du « G » de Galapagos en lettrine, tandis qu’un chant à forte consonance patriotique résonne. Une opération marketing qui semble vouloir lancer, non pas une marque, mais bien un mouvement à l’emblème, et au cantique, reconnaissable. Car il s’agit bien d’un hymne patriotique que tonnent les voix rauques et graves de Compile Heart. Un hymne à l’intolérance et à l’exclusion. Voyez plutôt. Une rébellion subalterne Alimentée par une vertu bien éloignée de la norme Fleurit comme les feuilles fraiches du printemps Rejette la norme mondiale Et joue Avec tes camarades habituels Ah, Galapagos Galapagos RPG Il y a ceux-là, s’en prenant à nous sur les forums Alimentés par une critique sociale normalisée Tuez les joueurs occasionnels Et joue Avec tes compagnons habituels Ah, Galapagos Galapagos RPG Ah, Galapagos Galapagos RPG Comme vous pouvez donc le constater, le studio nippon ne fait pas que promouvoir sa vision du jeu vidéo, il en fustige une autre. De façon assez obscure d’ailleurs « Il y a ceux-là, s’en prenant à nous sur les forums ». Puis, le développeur ne fait pas dans la demi-mesure en appelant à supprimer les joueurs occasionnels. Curieuse prise de position pour un éditeur qui, théoriquement, ne devrait pas chercher à se priver d’une partie de ses potentiels acheteurs. On peut toutefois deviner le fait que l’éditeur accuse le casual gamer des maux de l’industrie japonaise car il aurait poussé le marché à l’occidentalisation. Ou bien encore cherche-t-il à séduire la figure du gamer orgueilleux qui abhorre le joueur occasionnel venu toucher à ses platebandes. En outre, Compile Heart considère son label comme le signe d’une rébellion, à la fois déviante et digne de vertu, que l’on imagine engagée contre l’occidentalisation des jeux japonais, comme nous l’avait indiqué Siliconera. Seulement ce phénomène reste une tendance minoritaire dans l’immense production de ce pays. Pour rester sur le RPG, le terrain de Compile Heart, les seuls gros hits considérés comme influencés par la culture vidéoludique américaine sont la série Souls de From Software et Dragon’s Dogma de Capcom. Il y a manifestement extrapolation de la part de Compile Heart. Néanmoins, il existe tout de même une base sur laquelle s’appuie l’éditeur pour nourrir son protectionnisme vidéoludique. Protectionnisme et valeurs Chacun le sait, depuis le début des années 2000, la part du Japon dans le marché mondial du jeu vidéo est en chute libre – de 50% en 2002 à 10% en 2010. Toujours aussi prolifique, mais dans le même temps toujours plus renfermée sur elle-même et plus insulaire, l’industrie du jeu vidéo japonais est devenu un « environnement clos » selon Yoichi Wada, futur-ex-PDG de Square Enix. Ce dernier prétend que l’écosystème est devenu « presque xénophobe ». A croire que Compile Heart l’a ressenti lui aussi, et a voulu surfer sur la tendance de la crainte de l’étranger en exacerbant les peurs des joueurs japonais. Maintenant, afin de mener une analyse tout à fait juste, on ne peut se limiter au simple contexte vidéoludique dans lequel est faite l’annonce du label Galapagos RPG. Au même moment, au Japon, l’épineux problème de l’appartenance des îles Senkaku qui oppose Pékin et Tokyo fait office de serpent de mer politique et ravive les nationalismes. Tout en gardant à l’esprit que depuis l’incident de la centrale nucléaire de Fukushima, un fort courant altermondialiste parcourt l’opinion publique japonaise, reprochant entre autres choses la dépendance énergétique du Japon et réclamant un abandon total du nucléaire civil. Le moment semble être par conséquent tellement bien choisi pour la publication d’un label protectionniste comme Galagos RPG, qu’il est difficile de croire à une coïncidence. La manœuvre parait d’autant plus opportuniste qu’il semble peu probable que ce label amorce chez le développeur un quelconque changement dans leur façon de concevoir leurs jeux. Il suffit pour cela d’effectuer un tour d’horizon des méthodes de la boîte. Screenshot d'Hyperdimension Neptunia, publié et développé par Compile Heart Alors Compile Heart, qu’est-ce que c’est finalement ? Hyperdimension Neptunia, Cross Edge, Record of Agarest War, Mugen Souls, si l’un de ces noms vous dit quelque chose, vous êtes l’un des rares joueurs à avoir posé vos mains sur les franchises les plus vendues de cette boite qui fait dans le J-RPG de niche. Une telle niche que même les ventes cumulées des cinq plus gros succès de l’éditeur ne dépassent pas le million d’unités. Si l’on porte maintenant notre regard sur les mécanismes qui sous-tendent habituellement les jeux de la firme, on se rend aisément compte des facilités dont usent et abusent les développeurs : des graphismes minimalistes, du fan-service à foison, des culottes, des seins, des héroïnes de moins de quinze ans, une accumulation de stéréotypes, etc. Des mécaniques que l’on peut d’ailleurs également retrouver dans les productions de la compagnie sœur, Idea Factory. Quoi qu’il en soit, au final, les softs sont quasi-unanimement reconnus par la presse comme vides, manquant de fond, bien que le contenu et le gameplay soient chiadés. Si l’on se souvient alors des déclarations de Compile Heart mentionnées plus haut, celui-ci disait vouloir créer des jeux pour les japonais avant tout et retourner aux vraies valeurs du versant nippon du médium vidéoludique. En postulant que le japonais moyen ressemble à un otaku – potentiellement frustré – totalement désintéressé par l’aspect artistique du jeu vidéo et que les vraies valeurs japonaises sont les petites fillettes, l’humour potache et la dextérité, l'éditeur a vu juste. Mais l’on se trouve alors à des lieues de titres tels qu’Okami, Xenogears ou Metal Gear Solid, des softs qui représentent respectivement la magique poésie des estampes japonaises, la délicieuse complexité de l’esprit des créateurs nippons ou encore le souci du travail bien fait cher à ces développeurs. J'accuse Alors non, Compile Heart, si modeste et insignifiant développeur qu’il soit sur la scène internationale, ne peut user de moyens aussi pernicieux que vicieux pour s’auto-approprier le savoir-faire typiquement japonais qui fit naitre d'illustres œuvres, encore moins par le biais d'un coup marketing pervers. Savoir-faire qu’il ne possède en toutes circonstances pas, ne possèdera peut-être jamais et que ses prédécesseurs ont su, eux, bâtir avec des titres d'une véritable qualité. On ne décrète pas le talent, on ne décrète pas une appartenance à des valeurs, on le montre. De plus, pourquoi vouloir se construire en opposition à un courant, à une position, comme l’a fait Compile Heart avec l’occidentalisation du jeu vidéo ? Imageepoch a également adopté une position à tendance pro-japon, mais sans rechigner pour autant sur la qualité de l’industrie occidentale, sur les casuals gamers ou sur les signaux japonais vers l’occident. La courte histoire du jeu vidéo a en outre souvent prouvé que c’est en innovant de toutes pièces que l’on pouvait chambouler les pratiques et marquer les mémoires. Malheureusement, Compile Heart s’est fourvoyé en s’engageant sur le chemin de la tautologie, du protectionnisme vidéoludique et de la paresse. En attendant, le premier RPG labellisé Galapagos RPG sortira cette année, et me fera je l’espère mentir.
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