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Dossier

Chroniques du J-RPG : le marché salon actuel confronté à son déclin

Causes et conséquences d’une conjoncture défavorable au J-RPG salon

Les origines

La Xbox 360 émerge fin 2005, tandis que la Playstation 3 prend vie en 2006. Fait surprenant en apparence, le marché japonais et plus particulièrement celui du J-RPG se rue sur la petite de Microsoft alors que la Xbox première du nom fut désertée en son temps. On se demande alors pourquoi tant d’affection au pays du soleil levant pour une console américaine. On peut dénombrer deux raisons principales. La première étant la difficulté des développeurs japonais à apprivoiser la bête de course que représente la Playstation 3 à l’époque. Rendez-vous compte en 2005-2006, développer sur une machine équipée d’un processeur Cell à huit cœurs (en réalité huit SPU, mais passons), au sortir de la Playstation 2 à laquelle les développeurs s’attachent plus que de raison et restent bloqués (Persona 4 en 2008 par Atlus) ; à l’époque où les ordinateurs milieux de gamme sont encore vendus avec des Core 2 Duo d’Intel. Bref, la Xbox 360 était bien plus apprivoisable avec son Xenon à trois cœurs et son architecture proche du PC. La seconde raison peut résider dans le fait que, pris d’un excès de confiance et constatant leur suprématie console sur les dernières générations, les développeurs japonais ont cherché à s’installer très rapidement sur le marché mondial par le biais de la console de Microsoft, sans prendre la peine de passer par le Japon. Et quelle erreur ce fut. Quelques courbes pour appuyer le raisonnement qui va suivre :



Ici on voit à quel point l’engouement pour la 360 est inversement proportionnel dans le temps à celui de la Playstation 3 au Japon. Le parc de Playstation 3, beaucoup plus important au Japon que celui de la Xbox 360, a forcé les développeurs japonais à migrer vers un hardware différent en ce qui concerne le J-RPG. A cela s’ajoute un certain échec local (dû au faible parc de Xbox 360) de célèbres franchises telles que Star Ocean ou Tales of. Voire mondial si l’on met les chiffres (en millions ici) en perspective avec la génération précédente.

Ventes/J-RPG Tales of Vesperia Tales of Symphonia Star Ocean 4 Star Ocean 3 Blue Dragon Lost Odyssey
Japon 0.19 0.31 0.21 0.55 0.21 0.11
Reste du monde 0.44 0.79 0.50 1.16 0.65 0.73

Qui plus est, des initiatives comme celle prise par Mistwalker en faisant du doublage anglais le doublage original dans Lost Odyssey dépeint parfaitement cette volonté qu’avaient les développeurs japonais de conquérir l’occident. En bref, comme on peut le voir avec les chiffres de ce tableau, en négligeant le marché japonais, les éditeurs se sont tiré une balle dans le pied car ils avaient oublié à quel point le Japon représente leur source de revenu primaire. Ainsi amputés de ce marché, les ventes n’ont pas été aussi fructueuses qu’elles auraient pu l’être par le passé. En somme, avant de partir en guerre, mieux vaut construire une base solide.

Après cette claque qui a amorcé la phase de frilosité du J-RPG console de salon, les développeurs se sont rétractés sur la Playstation 3, comme en témoignent les portages d’Eternal Sonata, de Star Ocean 4 ou encore de Tales of Vesperia. Mais pas seulement. Si le développement sur Playstation 3 était un impératif pour subsister sur consoles HD, les studios s’orientent surtout massivement vers, je vous le donne en mille, les portables. Si vous désirez plus d’informations sur cette tendance, je vous renvoie directement au précédent dossier.

Des difficultés qui s’accumulent

La vague de frilosité alors initiée va créer une avalanche de problèmes pour le J-RPG sur consoles HD. Les couts de production déjà importants vont pousser les éditeurs à ne pas prendre de risques pour éviter l’échec commercial, d’où un certain manque de concepts réellement nouveaux ou même de renouvellement des développeurs.

6e gen (Playstation 2, Xbox, Game Cube) 7e gen (Playstation 3, Xbox 360, Wii)
Nouveaux studios 41 14
Total des studios 132 76
Proportion des nouveaux studios 31.06% 18.42%

Pas besoin de faire un dessin ici, on voit clairement la chute de la part des nouveaux studios qui s’investissent dans le RPG dans la production sur consoles de salon. Et là est tout le problème. Les nouveaux développeurs sont de plus en plus réticents à se lancer dans l’aventure sur cette génération alors qu’ils représentent un fort apport en dynamisme et en innovation à l’industrie. On se souvient par exemple de l’arrivée de Level-5, Monolith Soft ou encore tri-Crescendo (entre autres) sur la génération précédente, des boites qui ont désormais acquis une renommée certaine, notamment grâce à des jeux phares comme les Baten Kaitos, les Xenosaga ou Dragon Quest VIII. Le parallèle est malheureusement difficile à faire sur la génération actuelle de consoles de salon. Outre Mistwalker et Ganbarion, le reste des nouveaux studios fait pâle figure, surtout lorsque l’on s’attarde un moment sur la réception de leurs jeux.



Comme on peut le voir ici, la barre des 500 000 unités écoulées est très compliquée à passer pour les nouveaux studios sur cette génération de consoles de salon. Cet accueil très froid des joueurs n’est pas sans ajouter au climat déjà très tendu vis-à-vis de l’investissement en J-RPG. Ce qui est paradoxal ici, c’est le message envoyé par les joueurs. En effet ces derniers semblent toujours réclamer de la prise de risque et de l’innovation, mais n’achètent pas les produits de ces nouveaux studios qui pénètrent sur le marché, alors qu’ils sont un des principaux vecteurs de l’arrivée de nouvelles licences. Sur quatorze nouveaux arrivants parmi les développeurs de J-RPG, on en compte seulement trois qui font usage d’anciennes IP. A savoir Tecmo Koei (anciennement Koei), Jamsworks et h.a.n.d. Le corollaire de la situation dépeinte ici, c’est l’omniprésence des dinosaures du RPG sur cette génération HD.



Ici sont répertoriés les studios qui ont développé le plus de J-RPG sur cette génération de salon. Première chose à noter : la large majorité est constituée de développeurs historiques du genre. Square Enix, de toute évidence, mais aussi Koei, NIS, tri-Ace, Capcom ou encore Namco. Ils ont littéralement phagocyté la production, ne laissant que peu de place aux boites plus modestes, qui du coup préfèrent en général se tourner vers les supports portables. Une génération sous la suprématie des plus gros donc, mais qu’en ressort-il ?

Et bien, peu de choses finalement. Les gros studios ne se servent que très peu de leur position pour essayer de relancer de nouvelles licences et de les faire perdurer. Bien sûr on a du The Last Remnant de Square Enix, du Nier développé par Cavia et édité par Square Enix, du Resonance of Fate par tri-Ace, du Valkyria Chronicles par Sega, du Fragile Dreams par tri-Crescendo. Néanmoins l’apparition de toutes ces nouvelles IP ressemble plus à un tâtonnement, à une marche désunie, qu’à une réelle volonté de renouveler le genre sur la durée. Seule la saga Valkyria Chronicles a réussi à faire son petit nid, même si au regret de beaucoup, les second et troisième opus parurent sur PSP. Bref, les idées sont là, mais la persistance ne l’est pas, et les joueurs sanctionnent parfois cela en boycottant certains jeux.

Conséquence directe ou indirecte de cette conjoncture, les plans sociaux et les restructurations se sont accumulés dans les gros et moyens studios, effrayant par là même les potentiels investisseurs ou les jeunes boites prêtes à se lancer dans l’aventure sur console de salon. On pense notamment à la dissolution de Cavia après le semi échec commercial de Nier. Mais aussi dans le même temps, l’équipe originale qui officiait sur les Suikoden a été dissolue à son tour. Pendant ce temps-là, Square Enix semble se lancer dans l’édition à plein temps en rachetant Eidos et en recherchant du savoir-faire en occident, délaissant de ce fait un petit peu le développement de ses propres produits. Quoi qu’ils décident tout de même de mettre un coup de pression à tous leurs concurrents potentiels en annonçant par la bouche de Motomu Toriyama qu’ils prévoyaient un Final Fantasy tous les ans, façon Call of Duty.

Un genre qui se cherche sur la génération salon actuelle

Quoi qu’il en soit, n’oublions tout de même pas le rôle des joueurs dans cette mutation de l’industrie. Avec la démocratisation du jeu vidéo sur cette génération et l’élargissement du type de public touché par ce medium, de nombreuses exigences sont venus se greffer au cahier des charges du jeu vidéo idéal. On constate plus particulièrement une exigence technique de plus en plus forte sur consoles HD, plus propice à compliquer la tâche des développeurs japonais (qui n’ont jamais réellement excellé au plus haut point en technique pure) qu’à leur rendre service. Car qui dit RPG populaire, dit RPG d’envergure : long, riche et vaste ; et maintenir une haute qualité graphique sur autant de contenu, la tâche n’est pas aisée. Malgré tout, l’offre du J-RPG sur consoles de salon va tenter de s’adapter à une nouvelle demande de la part des joueurs, mais tentera aussi de ne pas perdre son ancien public. De ce fait le RPG japonais fait des états d’esprit pour essayer de contenter tout le monde, mais cela le place dans une situation délicate où le genre se cherche, un petit peu le cul entre deux chaises. The Last Remnant résume bien cet état de fait, en cela qu’il fut développé par Square Enix pour paraitre sur la console américaine, la Xbox 360, avec l’Unreal Engine 3, le moteur occidental qui dépote du moment. Le résultat est toutefois en demi-teinte : ralentissements, problème d’affichage des textures, etc. Toutefois, si The Last Remnant peut faire figure de mauvais élève, la saga Souls de From Software en revanche est parvenue à contenter à la fois japonais et occidentaux, nouveau et ancien public. En témoignent d’ailleurs les ventes, plus de trois millions d’exemplaires vendus dans le monde, et la majorité de critiques dithyrambiques. Néanmoins les réels succès se font rares et face à tant d’échecs ou de désillusions, beaucoup d’éditeurs (la décision se situe plus souvent à ce niveau) choisissent la facilité.



Et la facilité, c’est le portage/remake. Ici on remarque que presque chaque gros éditeur a voulu y aller de son petit remake ou portage. Square Enix en tête bien évidemment. Toutefois ce graphique ne nous indique pas en quoi cette tendance est symptomatique d’un certain mal qui se développe chez les éditeurs. Pour cela, regardons, l’évolution de la sortie des remakes avec le temps.




Que ce soit en valeur absolu ou en proportion on observe une hausse quasi constante du nombre de J-RPG portage ou remake créé par année, avec un pic en 2011. Pourquoi en 2011 me direz-vous ? Sans doute dans un premier temps à cause de la désillusion du début de la génération, où les studios de développement malgré leurs tentatives, se sont rendu compte qu’innover et faire de nouvelles licences représentait un investissement trop important et que les ventes n’étaient pas à la hauteur de leur attente. Peut-être aussi car le cas Final Fantasy XIII a fait ressortir de leur tanière les puristes qui ont gueulé un bon coup pour obtenir du jeu assez classique, d’où le captage par l’industrie de ce marché avec l’apparition de ces remakes et portages. Sachez qu’ici, le dématérialisé n’est pas pris en compte, seulement les titres sortis physiquement sur Xbox 360, Playstation 3 et Wii, pour des raisons de cohérence d’ensemble. Nous aurons l’occasion de revenir sur les plateformes dématérialisées dans un prochain article. Ce qui peut être intéressant maintenant, c’est de comparer ces chiffres à ceux de la Nintendo DS et de la PSP, ou même à la génération précédente.

Playstation 3/Xbox 360/Wii Nintendo DS/PSP Playstation 2/Game Cube/Xbox GBA Playstation 1/Sega Saturn/Nintendo 64
Remakes/portages 22 116 61 20 52
Pourcentage 14,29% 20,60% 12,20% 9,47% 9,70%

Outre l’anormalité tout à fait exceptionnelle de la DS et de la PSP que l’on tente d’expliquer dans le précédent dossier, on remarque ici une tendance à la hausse dans la proportion des portages/remakes de J-RPG sur consoles. Si l’on occulte la dernière génération portable, le pic est atteint par les trois dernières consoles de salon. Maintenant, qu’est-ce que cette hausse traduit ? Un manque d’innovation ? Pas forcément, sur DS et PSP le taux de nouvelles licences n’a jamais été si haut sur portables. Sur Xbox 360, Wii et Playstation 3, le taux de nouvelles licences est supérieur à la génération précédente. Alors cela peut traduire un recyclage facilité par le dématérialisé et la grosse base de jeux dans laquelle puiser ? Sans doute. En tout cas la tendance se confirme surtout chez les gros studios qui possèdent la plus grosse base de jeux à rééditer et qui ont une légère tendance à trop se reposer dessus. Notamment Square Enix.

On peut toutefois reconnaitre à ce dernier d’avoir participé au rayonnement du J-RPG en ligne avec Final Fantasy XI puis Final Fantasy XIV. J-RPG en ligne qui d’ailleurs, au final, n’a jamais trop brillé sur cette génération de salon en dehors de quelques exceptions (Monster Hunter notamment). On peut dire que le genre a légèrement raté le coche du online. Quelques softs ont tout de même tenté de se jeter à l’eau et ont réussi des petites prouesses, notamment le mode en ligne de The Last Story avec les affrontements en arène ou de boss. Maintenant, le J-RPG aurait pu bien mieux exploiter les capacités online des consoles, d’une autre façon que le scoring bête et méchant que l’on croise souvent. Par exemple, un système à la Fable aurait pu être bienvenu, dans lequel les autres joueurs peuvent interagir dans notre monde.

On conclura cette partie avec une citation du director of business development à Ignition Entertainment, Shane Bettenhausen, qui concerne l’édition et la localisation et qui reflète bien la situation actuelle :

Les réalités de la production et de l’envoi de biens physiques a définitivement eu un impact sur notre capacité à prendre des risques sur des petits titres de niche pour des plateformes comme la Nintendo DS, la Nintendo Wii et la PSP. C’est particulièrement sinistre pour la DS, parce qu’il y a une multitude de titres intéressant au Japon qui ne trouveront vraisemblablement jamais leur chemin en dehors des frontières.

En sachant que la plupart du temps, les jeux de niche se trouvent être des J-RPG.


11/12/2012
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