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Valkyrie Profile
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Valkyrie ProfileÊtre... ou ne pas être la servante d'Odin
Valkyrie Profile est sorti sur PSX fin 1999 au Japon, et un an plus tard aux États-Unis. Si sa sortie n'a pas chamboulé l'industrie vidéoludique comme peuvent le faire les Final Fantasy ou Dragon Quest, elle est néanmoins considérée par nombre de joueurs comme une date importante de l'Histoire des RPG japonais.
Une plongée dans la mythologie nordiqueLe Ragnarök - conflit entre les dieux d'Asgard et les géants des glaces - approche. En conséquence, Lenneth, l'une des trois Valkyries au service d'Odin, se voit confier la mission de se rendre à Midgard afin de recruter des Einherjars et de les envoyer à Freya.
Ce point de départ constitue pendant un temps certain la seule chair du scénario. Le joueur contrôle Lenneth et alterne entre recrutement d'Einherjar et purification, c'est-à-dire éradication de morts-vivants. Ce sont ces purifications qui offrent les lieux dans lesquels les personnages se battent. Ce scénario pour le moins minimaliste en apparence est en fait la base d'un concept radical très fort à partir duquel chaque compartiment du jeu est défini, sans quoi il serait bancal. Le déroulement du jeu, en particulier, paraît complètement déséquilibré, simple succession de présentations scénarisées des personnages et de lieux sans réel objectif autre que d'en venir à bout. Néanmoins, même s'il a provoqué le rejet de certains joueurs, c'est ce refus de tout compromis qui donne une cohérence à l'ensemble, totalement éloigné des standards du RPG japonais, et qui fait de Valkyrie Profile un jeu extraordinaire au sens propre du terme. Le scénario peut donc dans un premier temps se résumer à une suite de décès, pas exactement glamour et commercial comme principe. Cette succession mortuaire s'apparente à un paysage de la condition humaine. Très située dans le temps (les décors et équipements), dans un cadre mythologique souvent fantasmé, cette peinture de l'humanité ne semble cependant appartenir à aucune époque, purement universelle. C'est pourtant bel et bien dans l'univers de la mythologie nordique que déroule l'histoire. Les auteurs se sont totalement appropriés cette mythologie, quitte à la trahir pour mieux surprendre. Souvent associé aux vikings, cet univers, bien que violent, fascine beaucoup de personnes, qui auraient presque envie d'y vivre. Il en va tout autrement dans le cas de Valkyrie Profile. L'univers du jeu, introduit efficacement et sans détour par le prologue, est très lugubre. La misère et l'oppression sont partout, mais pas le moindre rayon de lumière ne semble percer. Une série de drames poignantsOn découvre le monde mélancolique et sinistre de Valkyrie Profile au travers des séquences scénarisées qui conduisent au recrutement - et donc à la mort - des futurs Einherjars. Les jeux montrant des scènes injustes voire intolérables comme la torture et l'esclavagisme ne sont pas si rares. Seulement, dans Valkyrie Profile, le joueur ne lutte pas contre ces ignominies, certains personnages jouables étant même les plus odieux coupables des crimes donnés à voir. Par ailleurs, une grande authenticité est conférée à la tragédie qui accompagne le décès des personnages par un refus de dédramatisation. Ils perdent tout ce qu'ils avaient lors de leur mort, souvent dans des circonstances à la limite du supportable. Leur existence d'Einherjar n'en est pas une, ils ne subsistent que pour se battre au service d'un maître et d'une cause qu'ils n'ont pas choisis (on est loin des personnages de fantômes qui accompagnent sans contraintes les vivants). Ces personnages, très éloignés des archétypes du genre, reflètent parfaitement l'atmosphère inhabituellement noire du jeu. Déjà, l'héroïne est froide, ambigüe et complice d'actes peu recommandables. Tout sauf l'aventurier naïf adolescent, ce qui complique sérieusement l'identification. Les Einherjars offrent quant à eux un panel très varié de personnages, de la brute épaisse (Arngrim) au looser idéaliste (Lawfer) en passant par l'inexcusable salopard (Gandar), l'ordure de base (Badrach), la douce sacrifiée sur l'autel des traditions (Nanami) ou encore le monstre d'orgueil (Aelia).
Dans l'ensemble, s'ils ne sont pas toujours attachants au sens traditionnel du terme, les personnages sont très charismatiques et marquants, malgré la durée réduite et ramassée qui est attribuée à leur développement. On peut remercier les dialogues acérés et intelligents ainsi que la mise en scène parfaite, qui se permet des ellipses scénaristiques inouïes, pour donner autant d'épaisseur aux personnages en si peu de temps. Le joueur est complètement passif (ce que la plupart des gamers détestent) pendant les séquences scénarisée qui dépassent régulièrement le quart d'heure. Elles sont néanmoins suffisamment passionnantes et bouleversantes pour scotcher devant son écran. Graphismes et bande-son sublimes, au service d'un univers dérangeantL'aspect visuel du jeu contribue amplement au charisme des personnages. Les artworks sont de toute beauté et que dire des sprites, les plus beaux que je connaisse. Ils dénotent d'une science de l'alliage des couleurs de très haut niveau, et offrent une variété bienvenue. Il faut dire que le nombre élevé de personnages l'exigeait, ainsi que leur grande disparité, aussi bien en terme d'âge, de sexe, de statut sociale ou encore de race... À ce titre, le sprite de Lenneth, aussi bien en tenue de ville qu'en tenue de combat, est un délice dont on ne se lasse jamais. En plus de cela, leur animation est d'une fluidité et d'une classe purement exceptionnelles, que ce soit en combat ou dans les lieux pour Lenneth.
Chose rare pour un RPG, le jeu adopte une vue de côté, à la façon des anciennes gloires des jeux de combat. Dérouté au premier abord, le joueur est vite ébloui par la beauté et la finesse improbable des décors. Ceux-ci bénéficient en plus d'un travail approfondi au niveau des couleurs, car ils sont l'un des principaux éléments de l'ambiance si terne et sans vie du jeu. Pour faire court, que vous soyez dans une importante cité ou dans un village rural, les couleurs vont du vert au gris en passant par le marron, les autres couleurs étant quasiment absentes de l'écran, exception faite des sprites. Pour finir sur l'aspect visuel, les effets lors des combats en foutent plein la vue, les attaques spéciales - appelées Finishing Strikes - sont très impressionnantes, et les rares cinématiques font leur boulot sans plus. Outre les graphismes, l'atmosphère du jeu repose également d'une autre façon sur la bande-son, signée Motoi Sakuraba. Les morceaux sont souvent violents et ultrarythmés dans les lieux et pendant les combats, nettement plus mélancoliques dans les villes (Tomorrow, la musique qui accompagne les scènes se déroulant au village japonisant de Haï-Lan, est un sommet du genre). Le rendu général est une indéniable réussite qui suscite un certain mystère. Pour la version US, les doublages en combat, pour les coups spéciaux et magies, sont excellents. Malheureusement, les doublages pendant les cut-scenes sont très inégaux. Un principe de jeu particulierLe jeu est découpé en huit chapitres, à la fin desquels il faut, entre autres choses, envoyer un Einherjar qui correspond aux critères exigés par Freya. De prime abord, les chapitres n'ont aucune autre signification scénaristique. Ils sont eux-mêmes découpés en vingt-quatre périodes.
Le déroulement des chapitres est en apparence très linéaire. Tout d'abord, sur la carte du monde, Lenneth se concentre et identifie une destination. Le joueur s'y rend moyennant un nombre défini de périodes pour recruter un nouveau personnage après une séquence scénarisée ou bien boucler un lieu au bout duquel se trouvent des Divine Items. Le joueur peut choisir de les envoyer à Odin comme exigé ou bien de les conserver. Cette décision est plus stratégique qu'il n'y paraît car certains de ces objets sont très utiles, mais ne pas les envoyer à Odin va baisser deux notes distinctes : Estimate worth et Seal rating. Les deux mesurent globalement la qualité du travail de Lenneth et son obéissance, mais ne sont pas totalement corrélées. Elles sont affectées par d'autres facteurs, en particulier l'envoi ou non d'un bon Einherjar à la fin de chaque chapitre. Ces deux compteurs sont cruciaux car ils définissent la nature de la fin qui attend Lenneth. Il y a trois fins différentes, et seule la fin A, exceptionnelle scénaristiquement et inaccessible en mode Easy, est réellement satisfaisante. Malheureusement, il est presque impossible de l'obtenir à sa première partie sans aide extérieure. Lenneth cesse de proposer des destinations au bout d'un moment. En général, il reste quelques périodes non utilisées dont le joueur dispose à sa guise pour faire du levelling (limité, par conséquent), de l'exploration ou bien simplement de les jeter pour provoquer la fin du chapitre. Il faut savoir que si Lenneth suggère une destination, le joueur peut s'y rendre plus tard ou même jamais. Sous couvert d'une grande linéarité, le jeu accorde en réalité une entière liberté au joueur. À lui de l'exploiter au mieux. Des phases de jeu originales et efficacesLes lieux dans Valkyrie Profile s'apparentent à un jeu de plateforme. Lenneth peut sauter, frapper et courir mais aussi détruire une partie du décor ou jeter des cristaux aux usages multiples. Pour arriver au bout des lieux, il faut résoudre des énigmes qui se corsent progressivement, finissant par donner du fil à retordre. Les lieux sont aussi déterminants car on y trouve, parfois bien caché, le meilleur équipement du jeu. Les ennemis sont visibles et on engage le combat en premier si Lenneth frappe préventivement l'ennemi à l'écran, ce qui n'est pas négligeable.
Les combats de Valkyrie Profile sont réputés et n'ont guère d'équivalents. Le joueur y dispose de quatre personnages, qu'on peut ranger en deux catégories principales: les guerriers et les magiciens. Pas de MP pour les magiciens, par contre ils doivent sauter quelques tours avant de lancer un nouveau sort. Les tours des ennemis et du joueur se succèdent. À chaque personnage est attribué un bouton: carré, croix, rond et triangle. Appuyer sur un des boutons lance une attaque du personnage correspondant. Un bon timing des différents personnages permet de réaliser un combo qui remplit une barre. Si cette barre atteint 100%, les personnages ayant participé à l'assaut peuvent lancer leur Finishing Strike, des coups largement plus puissants que les coups ordinaires. Sans rentrer dans les détails, les combats sont excessivement jouissifs et moins bourrins qu'ils n'en ont l'air. Surtout, ils donnent un sacré avantage à celui qui donne l'assaut le premier. À noter que certaines armes peuvent se briser lors des combats et devenir inutilisables. Les personnages sont dotés des caractéristiques habituelles, qui augmentent lors des passages de niveau avec l'expérience remportée lors des combats. Les combats offrent également des skill points, qu'il faut dépenser pour acquérir des skills. En résumé, certains skills aident en combat, d'autres augmentent la hero value, le compteur qui jauge le degré d'appréciation du potentiel Einherjar aux yeux de Freya. Au final, beaucoup de facteurs différents à négocier au mieux pour lutter efficacement contre les boss, parfois compliqués. En conclusion, Valkyrie Profile fait preuve d'une audace folle et d'une foi envers l'intelligence du joueur qui défient la logique industrielle. L'introduction du jeu et le concept de base sont extrêmement déroutants et inhabituels, mais tout finit par prendre son sens et dégager une cohérence inattendue. L'investissement du joueur et sa confiance envers les auteurs est ainsi largement récompensée, mais cela passe par deux tiers du jeu pendant lesquels le joueur n'a aucune idée d'où on veut l'emmener.
De ce fait, Valkyrie Profile est, comme tous les RPGs qui marquent leur époque, un jeu qui transcende complètement la simple performance technique pour offrir une expérience vidéo-ludique inoubliable et hors du commun, à même de rendre bien fades les autres jeux.
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