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Chrono Cross: The Radical Dreamers Edition
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Chrono Cross: The Radical Dreamers EditionLa Vengeance du Temps
Si Chrono Trigger a durablement marqué les esprits à la fin de l'époque 16 bits, son successeur est moins connu, peut-être du fait d'une absence de localisation européenne jusqu'à cette réédition. Pourtant, Chrono Cross fut en son temps un succès d'estime et reste encore à ce jour comme l'un des titres les plus célèbres du genre. Magnifique représentant d'un âge doré durant lequel se sont accumulés les grands RPGs, ne peut-il compter aujourd'hui que sur la nostalgie de quelques-uns ou encore sur le prestige absolu de son aîné ? Au contraire, replonger dans cette aventure maritime ne revient-il pas à s'immerger dans un univers absolument unique, mis en valeur par une réalisation à l'époque hors-normes ? Au-delà du Temps - remarques sur cette réédition.Cette version baptisée « Radical Dreamers » doit son nom tout autant au groupe de voleurs auquel appartient l’un des personnages principaux (Kid) qu’à un jeu paru initialement via un drôle d’accessoire (le Satellaview, qui permettait le download avant l’heure). Celui-ci, disponible un peu comme la cerise sur le gâteau de cette réédition, pour la première fois en français, s’apparente à une aventure textuelle assez courte dont l’intérêt global est limité : au moins sera-t-on heureux de retrouver des personnages et des lieux qui deviendront vite familiers via le plat principal. On peut saluer le geste mais il reste, en compagnie de quelques réorchestrations ou d’une fin bonus, de l’ordre de l’accompagnement.
En revanche, la traduction française intégrale de Chrono Cross, de fort belle qualité en dépit du défi que représente notamment la transcription fine des différents accents utilisés par les innombrables personnages, est une nouveauté d’une tout autre ampleur. Encore pourra-t-on l’accueillir avec le léger sourire de celui qui maîtrise parfaitement l’anglais, ou qui a déjà goûté à la traduction précédente, qui n’a d’amateur que le nom et l’étymologie.
Paradoxalement, la véritable plus-value vient d’un point qui aura fait de larges débats – avant que l’affaire ne soit corrigée par un patch. En effet, c’est la première fois que l’on peut s’essayer à un Chrono Cross… sans ralentissement ! Si cet aspect, à la fin des années 1990, ne provoquait pas les débats enflammés actuels touchant au nombre de fps, il n’en reste pas moins que la suite de Chrono Trigger souffrait de ralentissements durant les combats quasi systématiques (chose assez rare dans les RPG de cet éditeur à l’époque). L’oeuvre est ainsi sublimée : l’ensemble est très fluide et permet de mettre encore davantage en évidence le travail du graphisme et de l’animation produit par l’équipe. Avec l'effet du lissage, le joueur se délectera de cette élégance retrouvée.
Il est à noter également que le joueur possède dès le début de l’aventure un objet qu’il n’obtenait qu’en New Game +, permettant d’accélérer le temps et (clin d’œil au scénario articulé autour de la maîtrise du temps) de le ralentir. Cette réédition propose bien sûr, comme cela semble devenir la norme, les options permettant de limiter les combats ou de booster ses personnages.
Le Dévoreur du Temps - remarques sur le scénarioChrono Cross fut présenté à sa sortie comme la suite du déjà légendaire Chrono Trigger : dans ce dernier, une bande de jeunes héros, menés par le plus silencieux d’entre eux, Crono, découvrait que le monde allait périr du fait d’une entité extraterrestre, Lavos, enterrée sous Terre jusqu’à son apocalyptique réveil. L’aventure exploitait les voyages dans le temps pour proposer un monde relativement réduit mais que l’on visitait à cinq époques différentes. L’épopée, rondement menée et parfaitement terminée, laissait peu de place narrative pour une hypothétique suite (malgré la disparition un peu inexplicable de certains personnages du royaume de Zeal), laquelle constituerait un risque en elle-même puisqu’il faudrait se rendre digne d’un tel héritage. Mais il fut une époque où Squaresoft réinventait la roue à chaque nouvelle itération et créait à chaque essai des modèles.
Le pari de Chrono Cross est d’être une suite qui s’émancipe totalement de son grand frère, dans le style graphique, musical, mais surtout dans le scénario – que l’on n’aura pas l’audace ici de détailler (d’autant plus que certaines zones d’ombre, pour ne pas dire des incohérences, subsistent vingt ans après). Délaissant tout à la fois les voyages dans le temps et le continent, Chrono Cross cadre son intrigue dans l’archipel luxuriant et tropical d’El Nido et propose d’explorer deux dimensions différentes. Ce qui les distingue ? Dans l’une, le héros, Serge, est vivant. Dans l’autre… eh bien, il découvre dès ses premiers pas qu’il y est mort ! Et contrairement à ce que son enfance de villageois paisible pouvait laisser présager (sauf à un connaisseur en RPG japonais qui sait que les villages reculés cachent de lourds secrets, et qu'une mère au foyer avait probablement épousé un guerrier légendaire), son existence ou sa non-existence est justement le pivot autour duquel peut basculer le DESTIN du monde.
D’abord embarqué dans un monde qui ressemble comme deux gouttes d’eau au sien sans l’être, Serge se retrouve rapidement pris en mains par une jeune femme blonde (pseudo)nommée Kid, mais aussi en chasse par les chevaliers du seigneur local. De là s’engagera une quête parfois embarrassée dans ses subtilités, mais assurément dépaysante et sans égal, laquelle finira par toucher son prédécesseur, Chrono Trigger. Sur ce dernier point, s’il est vrai que les références au scénario précédent feront plaisir aux survivants du numéro 1, il n’en reste pas moins que le jeu peut parfaitement être parcouru sans connaissance de l’épisode initial. C’est à la fois un tour de force d’indépendance, mais il faut reconnaître que cela souligne en creux la lâcheté des liens entre les deux chefs-d’œuvre. Parmi les particularités de Chrono Cross, il est impossible de ne pas évoquer son nombre consistant de personnages (qui ne pourront être tous recrutés qu'à la faveur des New Game+ successifs), à propos desquels il convient d'ajouter que, s'ils sont variés, colorés, fantasques, le nombre de ceux qui jouent un rôle véritable dans l'intrigue se comptent sur les doigts de la main. La Fin des Temps - remarques artistiquesChrono Cross incarne toute une époque et, mieux, une certaine vision de l’excellence. Si les défauts ne sont pas absents (nous y reviendrons en particulier sur ceux touchant aux combats), il n’en reste pas moins que, sur le modèle du RPG aux décors précalculés dont le règne se termine sans doute avec son héritier spirituel Baten Kaitos (qui bénéficie d'une machine aux spécificités techniques bien supérieures), Chrono Cross fait office de référence… atemporelle !
Graphiquement, le jeu est le maître de son époque et de son style : que ce soit dans les décors (d’une variété et d’un éclat ébouriffants) ou dans l’intégration des personnages (dont l'animation s'avère également remarquable), Chrono Cross n’a sans doute qu’un seul rival avant les années 2000, et c’est Final Fantasy IX. S’il ne propose pas de carte en 3D intégrale comme son illustre concurrent, il se rattrape largement par son monde en 2D, très inspiré de Chrono Trigger. En combat, les personnages sont énormes, les effets de lumière magnifiques et cette version apporte pour le coup une toute nouvelle vision de ces affrontements dont l’animation était régulièrement mise à mal par la lourdeur de la bonne vieille PSX. Nous redécouvrons les sorts que nous n’avions jusqu’alors que subis dans leur lenteur, leur lourdeur et l’expérience est tout autre.
Après cet éloge, on serait bien surpris d’avoir gardé quelques compliments pour un autre aspect : c’est sans compter sur… mon Dieu… comment dire ? Par quel bout commencer pour évoquer ce supplément d’âme magnifique qui se distingue parmi des œuvres toutes plus réussies les unes que les autres au milieu desquelles il fallait se frayer un chemin lorsque le jeu original est sorti. La bande-son. Mon Dieu ! Ma Flamme de Glace ! Mon DESTIN ! À la baguette, mon seigneur Yasunori Mitsuda, déjà responsable des éblouissantes musiques de Chrono Trigger ou de Xenogears, signe à mon sens sa meilleure partition. Étrangement, le jeu se distingue assez peu par ses pistes épiques, mais plutôt par une variété dans les timbres et par une richesse des instruments qui restent encore aujourd’hui une référence. Et comme si cela ne suffisait pas, les bruitages ont bénéficié d'un soin tout particulier qui rend, par-dessus tout, le cliquetis des armes pour le moins percutant. Le Dernier Élement - remarques sur les combatsAbordons à présent l’épineux problème des combats dans Chrono Cross, qui avait la lourde tâche de succéder à un système tout à la fois simple efficace, mélange d’ATB et d’attaques groupées, qui avait élevé son grand frère au pinacle du genre.
Le jugement sera plus nuancé : l’idée de la barre d’endurance que l’on consomme en donnant des coups, et plus encore en jetant des sorts, n’est pas mauvaise en soi. Dans la droite ligne de ce que fut Xenogears, les attaques physiques permettent de faire monter un "niveau", lequel permettra ensuite de déclencher les éléments. L’idée des éléments que l’on configure sur une grille et que l’on ne peut utiliser qu’une fois par combat non plus. En réalité, le problème des combats (en plus d’une musique – reprise de Radical Dreamers – dont la tonalité presque comique interroge) relève tout à la fois de l’ergonomie et de l’efficacité. Si la gestion des équipements est rendue optimale par la clarté des statistiques et le côté pratique du menu, configurer la grille d’éléments relève au contraire de l’aventure. On lorgnera assez vite vers le mode automatique sur ce point – d’autant plus que les changements de personnages sont nombreux et que les allers et venues sont monnaie courante.
La dimension tactique pose également quelques questions : si le jeu permet de choisir, dans l’absolu, entre le recours aux attaques physiques et l’utilisation judicieuse des sorts, leur consommation en Endurance les rend finalement assez lourds et plonge régulièrement les personnages dans l'attente. Cependant, après cette déception légitime, il n’en reste pas moins que les combats laissent une belle place aux buffs et debuffs et que le recours aux invocations permet également quelques belles passes d’armes.
En réalité, les combats de Chrono Cross ont le mérite, non seulement d’avoir rompu avec ceux de Chrono Trigger (et non de les avoir bassement imités), mais également de proposer un système absolument unique (ce qui devrait faire réfléchir en ces temps où Square semble avoir oublié comment bâtir un battle system) et finalement pas si fermé que cela. On n’omettra pas non plus de préciser que le système des six couleurs ainsi que la quarantaine de personnages disponibles promettent d’infinies variations. Avec le recul, c’est l’originalité du jeu et la prise de risques complètement démente qui peut nous étonner aujourd’hui. Au sommet de sa gloire, remettant sur le métier une série dont la réputation ne pouvait dès lors que décroître, Square semblait n’avoir peur de rien. L’identité graphique, le système de combat, la musique, le scénario : tout dans Chrono Cross est unique (et réussi) et paraît aujourd’hui complètement hors du temps. On se prend à rêver qu’un éditeur de premier plan produise avec des moyens modernes une œuvre qui s’affranchirait des diktats de l’époque et mettrait au second plan le fait de plaire à des goûts uniformes. Comme un miroir, Chrono Cross tend à nous rappeler à quel point Square a, depuis, normé son catalogue. Proposant maintenant des univers ressemblant davantage à ceux de séries bien connues que véritablement uniques, et des systèmes de combat reniant toujours davantage le RPG pour s’approcher du générique Action-Aventure-3PS-EXP (je n’ai pas écrit FFXVI) proposé depuis le tournant des années 2010. Ainsi, le voyage de Serge n’est pas exempt de défauts, mais il semble bien parti pour demeurer jusqu’à la Fin des Temps, unique.
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