En ce moment on ne peut pas dire que ce soit la joie chez les amateurs de Tactical RPG japonais. Après les années fastes c'est un peu la disette, les rares sorties consoles étant des portages ou des resucées de vieilles licences. Forcément quand on voit poindre à l'horizon un jeu qui n'est ni l'un ni l'autre on a un peu tendance à se jeter dessus comme le roi Arthur sur le saint Graal. Sauf que les jeux à même de dynamiter (ou juste dynamiser) un genre moribond ne sont pas légion, comme l'illustre ce God Wars: Future Past gentillet.
Ne m'appelez plus jamais Kratos
Dans un Japon lointain, très lointain, les dieux courroucés par la folie des Hommes (vous savez, ceux qui détruisent la nature et tuent les animaux) décident de faire pleuvoir des calamités pour leur apprendre à ne pas rester à leur place. Leur bonne idée sera donc de faire cracher des monceaux de lave en fusion par le mont Fuji, ce qui va certainement arranger les petits oiseaux… À quelques temps de là, la reine de la région bordant le volcan se laisse convaincre de sacrifier sa fille aînée pour calmer les
Kami. La jeune princesse est donc jetée dans le cratère et, vu qu'on se sait jamais de quoi sera fait le futur, sa sœur Kaguya est priée de se retirer dans un temple scellé en cas de récidive de grosse colère divine. Une sorte de ration de survie
au cas où, quoi.
D'ailleurs ça ne traine pas, et quelques années plus tard rebelote. La terre gronde, la montagne crache du feu, les monstres sortent, la vacherie. Sauf que cette fois le jeune Kintaro, bucheron badass de son état et ami d'enfance de Kaguya, n'entend pas laisser son
osananajimi se faire buter pour rien et décide de l'enlever. Ils partent donc à la recherche de la génitrice, Tsukuyomi, qui s'est tirée depuis un moment en laissant les rennes de la région au gouverneur Kitsune qui, vous l'aurez deviné à son
patronyme de renard, n'est pas très gentil et va poursuivre le duo bientôt rejoint par un paquet de personnages hauts en couleurs.
Bref
God Wars (à ne pas confondre avec la licence d'action sur la mythologie grecque), c'est une histoire vieille comme le monde. L'originalité, et accessoirement ce qui vendait le jeu, c'était la promesse assez rare de voir évoluer des personnages de la mythologie
shinto et du folklore nippon. Promesse tenue ?
C'est une déesse, un Oni et un héros folklorique...
Pas vraiment en fait. Si l'histoire sera prétexte à croiser pêle mêle
Kintaro,
Ôkuninushi,
Momotarô ou encore le
Yamata no Orochi (liste pas du tout exhaustive), on verra vite que ces personnages sont sous-exploités, à la limite du
namedropping. Passé leur introduction en général mise en scène par un combat, les personnages n'évoluent plus voire n'interviennent dans l'histoire que pour balancer des généralités. À côté de ça l'utilisation de ces références reste à l'état larvaire, tout au plus les verra-t-on ceints de leur attribut mythologique, faisant de Kintarô et sa hachette un bûcheron costaud, envoyant
Urashima voguer sur le dos d'une tortue. Pour un jeu dont l'exotisme pousse à ce point à se documenter, on regrette que les développeurs n'aient que superficiellement joué le jeu.
Ce scénario en sous-performance nous permettra au moins de recruter pléthore de nouveaux alliés assez rapidement histoire de se choisir son équipe de prédilection. En effet le système de combat est d'un classicisme à toute épreuve dans son déroulement en tour par tour et ses déplacements sur quadrillages. Si l'on a droit à quelques trouvailles bienvenues parmi lesquelles une jauge de MP initialement vide qui se remplit d'un pourcentage fixe à chaque tour d'action, obligeant de fait à gérer l'utilisation de skills sous peine de se retrouver à sec au moment crucial, on verra bien vite que son intérêt se trouve surtout dans sa mécanique de Jobs plutôt complète. Ce sont pas moins de trois jobs qui seront à tout moment équipés sur nos héros et en premier lieu ce que le jeu appelle le "job unique", chacun étant l'apanage d'une et une seule de nos unités en fonction de sa personnalité.
Ces classes personnelles prédisposent à une orientation du personnage grâce à des skills plus ou moins déviées des classes de base, comme c'est le cas pour notre prétendu héros dont les prouesses de Bûcheron seront assez vite éclipsées par les jobs communs de types Guerrier. Néanmoins les lois de l'équilibrage sont impénétrables et certains de ses camarades se gavent de techniques utiles et variées, à l'image d'Hanasaka et ses techniques de soutien. Incarnation même de la technique irremplaçable, son "homme de mousse" viendra créer une effigie à l'Impureté élevée ce qui en fera un parfait leurre. À l'opposée du spectre, les quelques personnages bestiaux n'auront pour eux qu'une technique puissante mais malpratique qui boostera drastiquement leurs stats mais au prix exorbitant du gel de leurs skills. Quand on voit l'importance des techniques, autant dire qu'ils se sont un peu fait couillonner. Impossible à changer, l'Unique est également le job qui évolue le moins vite mais sur la durée de l'aventure, et à ce titre reçoit une quantité d'XP bien faible au regard des deux autres jobs. En contrepartie c'est aussi celui qui permettra de distinguer un personnage par rapport aux autres puisque tous finissent un peu par se ressembler en fin de jeu.
Tout passe tout lasse sauf la classe
Restent les jobs primaires et secondaires tous piochés dans
une liste commune d'une vingtaine de classes et que chaque personnage devra finir par maitriser s'il souhaite passer à l'étape supérieure. La différence entre primaire et secondaire n'est qu'affaire de choix, puisque si le premier conditionne
de facto l'équipement et les caractéristiques de l'unité, le second ne fera que lui adjoindre les skills déjà débloquées. De même que l'Unique, le job secondaire reçoit une quantité d'XP inférieure, mais ramené à l'échelle du jeu rien n'empêchera l'équipe de passer de l'un à l'autre jusqu'à avoir pratiquement maitrisé la totalité des classes. Ce sera d'ailleurs le seul moyen – de longue haleine – de débloquer les quelques classes secrètes.
Comme pour les classiques
Final Fantasy Tactics ou
Tactics Ogre, les jobs sont la pierre angulaire du système de combat. Les personnages en soi n'ont pas vraiment d'aspérités, chacun étant de base limité à trois cases de déplacement et des différences de stats marginales pouvant en faire des attaquants de mêlée ou à distance, ou un mage. Ce qui viendra changer la donne c'est le job primaire autorisant le port d'équipement plus évolué qu'une épée, et l’apprentissage au long cours des skills. Les jobs de base, peu puissants, permettent toutefois de toucher à tous les styles : ainsi le Warrior possèdera certains attributs d'un Tank en plus de ceux d'un DPS. Les suivants finiront heureusement par se spécialiser dans des tâches plus diverses.
C'est là que brille vraiment le jeu : on y trouve des classes dévolues au tank ou aux attaques à distance, aux sorts de masse ou plus ciblés, au soutien des alliés comme à la calamité des ennemis. Les buffs, débuffs et altérations d'état trouvent dans
God Wars une véritable importance par la diversité et l'ampleur de leurs effets. Ils permettront de faire d'un Shinobi habituellement frêle une machine à tuer atteignant facilement les lignes ennemies en évitant les coups, ou de rendre momentanément inoffensifs ces boss qui défonçaient vos lignes. Les skills peuvent tous monter en niveau pour bénéficier d'effets améliorés, au prix d'une augmentation de cout en MP. Quant aux passifs si précieux, il est possible d'en équiper jusqu'à cinq. Un chiffre suffisant pour permettre au joueur de personnaliser ses unités comme il le souhaite en poussant une spécialisation à fond ou au contraire en comblant les lacunes.
Ajoutons une poignée de techniques spéciales à déclencher en consommant des parties d'une jauge qui augmente à mesure des tours de jeu et on obtient un système pour le moins complet. Mais à l'image du reste, ça manque de polish puisque la répartition en est hautement inéquitable : certains jobs uniques en possèdent plusieurs, d'autres aucun, et c'est la même chose pour les classes de base inégalement dotées.
Avec un tel système de combat il est dommage que God Wars ne fasse rien ou presque pour le mettre à l'épreuve. Même les missions de protection habituellement si redoutées ne sont ici qu'une formalité, puisqu'à l'instar des membres de l'équipe les PNJ à protéger ne meurent pas immédiatement une fois au sol : vous disposez de cinq tours pour les retaper, soit un temps généralement suffisant pour terminer une mission ou lancer un soin. Non pas que la mort soit vraiment pénalisante dans la mesure où elle n'est pas définitive, une unité tombée au combat redevenant fringante dès le retour à la worldmap. Si beaucoup des principales batailles s'avèrent simplistes dans leur déroulement et ne requerront qu'une équipe à niveau, God Wars tend à pousser le joueur vers les temples shinto. Ceux-ci permettent de booster ses stats le temps d'un combat moyennant un petit pécule, mais sont avant tout pourvoyeurs de batailles annexes. En effet surviennent ça et là des batailles rendues plus ardues par le simple nombre important d'ennemis (quand l'équipe comptera tout au plus 5 ou 6 combattants en ses rangs) et leur utilisation massive des altérations d'état overpowered. La tactique pure s'effaçant devant le choix des jobs et la puissance des combattants, il faudra presque nécessairement en passer par du grinding déguisé ne serait-ce que pour avoir accès à des jobs plus évolués. Déguisé car le jeu est suffisamment malin pour nous faire miroiter une belle carotte en la présence d'artefacts puissants gardés par les requêtes de haut niveau, elles-mêmes débloquées par les annexes de base. Bref on ne vient pas au temple pour gagner des points de jobs mais pour améliorer son équipement bien au delà de ce que proposent les magasins, le level-up n'étant qu'un complément sympathique au but initial : ces équipements possédés par un Kami, dont les stats déjà élevées s'accompagnent d'effets supplémentaires, amélioration drastique de vitesse, régénération de vie, j'en passe et des meilleures.
L'effet pervers, c'est que le temps passé dans des quêtes insipides juste pour obtenir une arme finit par prendre le pas sur le reste du temps de jeu. Le Tactical de Kadokawa use le joueur dans ce qui devrait être trivial et ne l'accroche pas plus dans les moments importants, empêchant sa vraie force – son système de jobs bien développé – de briller.
« Les impuretés elles se déposent là »
On l'a vu, malgré un système de combat bien construit dans ce qu'il tente God Wars ne fait pas dans l'originalité mais tire plutôt vers un classicisme total. Pas de stratégie particulièrement inventive à mettre en place pour l'emporter, pas d'exagération de la mécanique des affrontements comme peut le montrer un Disgaea, pas grand chose à en dire en fait. À moins que ? Là, bien caché sur le statut des personnages : l'Impureté.
Pas des plus flamboyantes, la mécanique d'Impureté influence pourtant drastiquement le déroulement des combats. On peut la ramener plus classiquement à l'Aggro à l’œuvre dans la plupart des jeux où l'intelligence artificielle a besoin de se choisir une cible, et c'est totalement sa fonction : en règle générale les ennemis du jeu feront tout ce qu'ils peuvent pour cibler le personnage à la plus forte impureté tant qu'il se trouve dans leur aire d'action, y compris si cela n'est pas le choix optimal. Alors où est l'innovation ? En plus de cette certitude de ciblage, c'est que tout est fait pour pouvoir facilement manipuler cette statistique. Tout personnage démarre le combat avec une Impureté nulle, et chaque action (soigner, frapper un ennemi) la fera monter peu à peu, tandis que recevoir des coups ou laisser passer le temps verront la valeur baisser. Soit. Mais certains jobs et personnages semblent tout entiers dévolus à en user avec brio. Le Guerrier d'abord, dont l'une des techniques fait augmenter drastiquement sa valeur, ce qui en fait un Tank parfait pour une grande partie du jeu, tout comme le séducteur Ookuninushi pourra absorber l'Impureté de ses collègues féminines. D'une pierre deux coups. Si rien d'exceptionnel ne venait titiller les combats, au moins ce système là fait un peu plus frémir les accents tactiques de God Wars.
God Wars n'aura jamais l'aura d'un Tactics Ogre ou Final Fantasy Tactics, monstres sacrés dont il ne fait que reprendre les grandes mécaniques sans pour autant proposer un scénario digne de ce nom ou même aller au bout de ses rares spécificités. Pour autant il serait dommage que les amateurs laissent de côté ce TRPG classique dans une période plutôt avare en hommages à la tradition.
21/10/2017
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- Le cadre original…
- Système de classes bien développé
- L'Impureté et les altérations, des mécaniques qui se démarquent
- Contenu touffu
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- …mais assez peu mis en valeur
- Ralentissements et temps de chargement longuets
- Bande son quelconque
- Histoire comme combats ne sont pas aptes à enthousiasmer
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TECHNIQUE 3.5/5
BANDE SON 3/5
SCENARIO 3/5
DUREE DE VIE 4/5
GAMEPLAY 4/5
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