En règle générale, l'adaptation d'une oeuvre en jeu vidéo rend sceptique, et pour cause, rares sont les projets de ce type ayant donné de bons résultats. Pour autant, il est parfois judicieux de mettre sa méfiance de côté et de tenter une énième fois d'y croire. Cela peut donner une agréable surprise, c'est le cas du titre dont nous allons parler aujourd'hui: Battle Chasers: Nightwar. Issue du comics éponyme, il s'agit sans doute de l'une des adaptations les plus réussies en terme de respect de l'univers initial. Cependant cela suffit-il pour un faire un bon jeu ? Analyse.
LA QUÊTE DE LA VÉRITÉ
Aramus, ce nom représente un modèle dans le cœur de bon nombre d'hommes, inspirés par la légende de ce grand guerrier. Mais même les plus nobles héros ont de sombres secrets et sa mystérieuse disparition ne peut que le prouver. Il laissa derrière lui sa jeune fille, Gully, avec pour seul héritage sa paire de gantelets de puissance, dont on dit que leur pouvoir permet de déplacer des montagnes. Un tel artefact ne saurait rester caché bien longtemps, et la convoitise des plus malhonnêtes ne tarda à faire de cet enfant une cible facile. Ce fut à ce moment qu'elle fit la connaissance de ceux qui allaient devenir ses gardiens : Garrisson, frère d'arme et ami de son père, Knolan, un puissant mage, ainsi que son Golem Calibretto et enfin, Red Monika, une voleuse intrépide aux charmes fatals. Ensemble, ils décidèrent d'entreprendre une quête de la vérité, sur la puissance des gantelets et la disparition d'Aramus. Durant leur périple, leur malchance les fera échouer sur l'île du croissant, où il ne tarderont pas à découvrir que de sombres forces sont à l'oeuvre.
L'univers de Battle Chasers doit son origine à Joe Madureira, auteur de comics américains, qui donna naissance aux aventures de Gully et ses gardiens à la fin des années 90, en tant que scénariste et dessinateur. La composition graphique de son oeuvre, offrant tantôt des grottes emplies de Mana et d'araignées, tantôt des décharges de métal, où rodent de vieux robot de guerres, fut l'un des points d'origine d'un genre connu aujourd'hui sous le nom d'Arcane Punk, dont le golem Calibretto est une des figures emblématiques. Joe Madureira a également conduit la conception du jeu, en tant que fondateur et dirigeant de Airshipt Syndicate, le studio chargé du développement. La transposition du papier au pixel est donc soignée et respecte scrupuleusement les comics sur tous les points. Tout comme dans l'oeuvre originelle, on constate un certain stéréotype chez les héros, que ce soit le guerrier sous stéroïdes, froid mais protecteur, ou le mage geignard, à la fois fourbe et sage. Cependant, ces derniers n'en sont pas pour autant peu attachants, que ce soit dans le trait, rappelant parfois des personnages de Dofus, ou dans le caractère. Mention spéciale à Red Monika, la caution sexy de l'équipe, qui était déjà très populaire à l'époque de la BD.
LA QUÊTE DE L'OPTIMISATION
Jeu indé oblige, les graphismes de Battle Chasers ne peuvent êtres comparés aux gros bonnets du moment. Si l'on se restreint au cercle dont il est issu, on est alors en présence d'un titre à la qualité plus qu'honorable, offrant un design 3D rappelant un bon vieux World of Warcraft, le tout agrémenté par un cel-shading plutôt bien géré. Il semblerait également que les studios de Airship Syndicate ait tenu à maintenir une certaine connexion avec la bande dessinée, par la colorisation d'abord mais aussi par la modélisation des décors, complexes dans leurs compositions mais simples dans leurs textures. Certains effets de particules, d'aspect 2D, viennent renforcer cette direction artistique pour un résultat final plein de charme, et doté d'une forte identité visuelle. Bien entendu, la patte de Joe Madureira se devait d'être présente et c'est durant les phases de dialogue qu'elle se manifeste le mieux, proposant de magnifiques portraits proches des travaux initiaux de l'auteur.
Côté animation, la première version du jeu obtenait des résultats convenables mais souffrait parfois de quelques ralentissements. Ce problème fut atténué lors de la mise à jour 1.03 faisant place à une fluidité parfaite, du moins en début de partie. Car c'est là le principal défaut technique de Battle Chasers, l'optimisation. En effet, si les premières heures du jeu ne souffrent d'aucun accro, on notera qu'au fil de notre avancement, certains bugs commenceront à apparaître à mesure que les données de sauvegardes s'alourdissent. À la moitié de l'aventure, on verra alors fréquemment arriver des ralentissements durant les combats et surtout des temps de chargement spectaculairement longs. Ces derniers pouvant aller jusqu'à 20 secondes pour charger un décor de fond vide, vos héros et les ennemis. On expérimentera parfois quelques "Freeze" lors d'une transition entre deux zones d'exploration, un problème cependant moins présent depuis le dernier patch. Malgré des graphismes corrects et une bonne direction artistique, le niveau technique du titre vient gâcher la fête, et pourra laisser au final une empreinte suffisamment profonde pour en faire un mauvais souvenir.
LA QUÊTE DU GRIND
L'expérience demeure cependant agréable concernant le jeu lui-même. A mi-chemin entre un RPG classique et un Dungeon Crawler, l'aventure se déroule sur deux axes majeurs : l'exploration de l'île et celle des donjons. La carte principale s'apparenterait presque à un plateau de jeu de par son design. On y déplace son équipe en contrôle direct mais pas librement pour autant, contraint de suivre les chemins proprement tracés. Les donjons, en revanche, proposent des décors entièrement en 3D, bien plus vastes, dont l'architecture sera générée aléatoirement à chacune de vos parties. Ils constituent le noyau du jeu, tant sur le plan scénaristique que sur celui du gameplay. La conquête de ces derniers étant plutôt longues, le joueur aura la totale liberté d'interrompre son exploration afin de recharger ses batteries en ville, ce qui n'est pas un luxe. Car oui, si vous pensiez vous la couler douce, en abaissant quelques leviers entre deux combats contre des chauve-souris, oubliez. Bien qu'elle ne relève pas du masochisme, la difficulté de Battle Chasers n'est pas à prendre à la légère pour autant. Il ne sera pas question de partir à l'aventure sans un sac rempli de potions, votre Mana ne se rechargera pas toute seule non plus, et les ennemis qui croiseront votre route ne vous feront pas de cadeaux. Gérer son équipe, ses ressources et le déroulement des combats sera nécessaire sous peine de se taper de nombreux Game Over, en particulier dans la seconde moitié du jeu. L'équilibrage constitue d'ailleurs un élément plutôt raté du titre. Bien qu'il soit plaisant de rencontrer un peu de résistance, cela pourra facilement se transformer en frustration lorsqu'on rencontre un groupe de monstres d'un niveau équivalent au nôtre mais capable de raser notre équipe en deux tours. L'obligation de gagner en puissance se fera sentir et mettra à jour le second gros problème, les phases de grind. Ces sessions de levelling sont pénibles car longues. De plus, les combats n'étant pas aléatoires, il faudra donc enchaîner les cycles de nettoyage de map et de repos à l'auberge afin de faire "re-poper" les ennemis. En guise de bonus désagréable, on notera que les membres en réserve ne prendront pas le moindre point d’expérience. Chaque personnage ayant son importance, on se retrouvera donc a faire des séances de rattrapage dans les donjons déjà visités. Battle Chasers s'inspire des RPG d'antan, pour le meilleur...comme pour le pire.
Pour autant, une fois les mécaniques du jeu acquises, on trouve de l'intérêt à développer son équipe et à mettre en place différentes tactique de combat. L'évolution des personnages est standard, ces derniers obtiendront des compétences qui leurs sont propres au fil des niveaux. Des aptitudes passives pourront également être activées en distribuant des points sur deux axes de développement possibles, spécifiques à chacun. Il faudra également mettre la main à la pâte afin d'étoffer son inventaire d'objets et d'équipements de valeurs, en utilisant un système de crafting fort bien pensé. Ce dernier est accessible de deux manières : en ville, en investissant une coquette somme dans les boutiques afin de les faire évoluer, ou bien dans certains donjons, via des autels dédiés. L'originalité de cette fonction réside dans le pourcentage de réussite à créer un objet. En effet, si vous manquez d'un composant en particulier, les chances de fabrication seront de bases faibles mais pourront être augmentées, en utilisant un autre ingrédient en plus grand nombre. Également, une boutique particulière dans le village vous échangera des objets uniques, et bien plus puissants, contre une devise appelée "pièces d'ombres", qu'il vous faudra collecter durant vos pérégrinations. Mais la puissance n'est pas tout et c'est bien la stratégie qui vous assurera la victoire. Les affrontements sont dans la plus pure tradition des JRPG, avec quelques subtilités en plus. Les attaques directes octroient quelques points supplémentaires de Mana pour la durée d'un combat, ce qui s’avérera très utile pour l'utilisation des compétences, rallongeant ainsi vos réserves. Il ne faudra donc pas envoyer l'artillerie lourde inutilement, sous peine de se retrouver à sec au milieu d'un donjon et d'être obliger de retourner faire un somme au village. Il sera également important de composer une équipe équilibrée en fonction des spécialités de chacun, afin de pouvoir faire face à tout type de monstres. Il est d'ailleurs conseillé d’occire le maximum d'adversaires possible. En effet, le titre propose un système de bestiaire complet et ayant une véritable utilité pour le joueur. Éliminer un type d'ennemi en grand nombre aura pour effet de fournir de nombreuses informations sur lui, comme ces points faibles ou les items lâchés lors de son trépas. Pour finir, le remplissage du bestiaire débloquera des bonus permanents, la plupart du temps liés aux statistiques de vos personnages. En définitif, l’expérience demeure plaisante dans sa globalité et oblige le joueur à un minimum de réflexion. Les sessions de grind viendront malheureusement casser le rythme de votre aventure, et aura même tendance à en pousser certains à l'abandon.
LA QUÊTE DU DIRIGISME
Soyons honnêtes, l'intrigue de Battle Chasers n'a pas de quoi prétendre à l'oscar du meilleur scénario. Classique et plutôt prévisible, elle se laisserait presque conter sans que le joueur y prête réellement attention. Ceci ne constitue pas pour autant un défaut. La narration est fluide et ne souffre ni d'incohérences, ni de longueurs. On apprécie donc une aventure simple et reposante, laissant le loisir de se concentrer sur le jeu à proprement dit. Les donjons représentent la majeure partie du contenu. Au nombre de huit, ils constituent des zones enclin à l'exploration. Que ce soit des trésors, des écrits enrichissant le background ou quelques tâches secondaires, chaque niveau se déroulera presque comme un scénario dans le scénario. Il vous sera également possible de recommencer une zone à un niveau de difficulté différent afin d'obtenir des récompenses plus conséquentes, une idée sympathique rallongeant la durée de vie du titre bien que l'écart entre le mode normal et héroïque d'un donjon ne soit pas si flagrant.
D'autres activités en marge de la trame principale seront disponibles, s'inscrivant dans les classiques du genre. Tout d'abord, une arène, vous permettant d’enchaîner les combats en mode survie, offrira des récompenses de plus en plus intéressantes au fur et à mesure que vous franchirez les nombreux paliers de difficultés. Également, un comptoir de chasse dans le village proposera des missions sur des cibles uniques et généralement bien plus puissantes que la plupart des boss du jeu. D'autres petites quêtes annexes proposées par l'aubergiste viendront enfin compléter tout ça. Pour finir, l'aspect "collection" sera, bien sûr, présent avec le bestiaire, la pêche ou la collecte d'écrits sur l'histoire de l'île du croissant. L'ensemble du contenu vous tiendra donc une trentaine d'heures, les plus assidus (et patients surtout) qui souhaiteront monter leur équipe au maximum et débloquer les armes ultimes de chaque héros pourront compter une quinzaine d'heures supplémentaires. Un durée de vie plutôt correcte, pour le standard du titre, mais qui sera aussi due à ces satanées phases de levelling. Il ne sera pas question non plus de papillonner dès le début dans la zone de son choix, Battle Chasers se présente comme un jeu à étape, cloisonné dans son déroulement, seuls les donjons permettront de fouiner un peu.
LA QUÊTE DU JEU D'ACTEUR
S'il y a bien un luxe que nous autres praticiens de la langue de Molière n’obtenons pas souvent dans un RPG, c'est un doublage français. Battle Chasers nous fait ce cadeau et, même si à cheval donné on ne regarde pas les dents, force est de constater que la valeur de ce présent est discutable. En effet, la version française du jeu est malheureusement très inégale, donnant parfois des dialogues tout droits sortis d'un fandub amateur. La version originale est, quant à elle, bien plus travaillée et propose des voix mieux adaptées aux personnages. On reconnait tout de même que l'effort est là, d'autant qu'il s'agit d'une petite production.
Toutefois, si la voix laisse à désirer, il n'en est rien du côté de la mélodie. Les compositions musicales sont travaillées et renforcent l'ambiance dark fantasy du titre, tout en soutenant l'aspect hybride propre à l'Arcane Punk, comme le prouve la piste Dreaming of Crits. Mention spéciale également pour quelques thèmes spécifiques comme le Battle Chasers Themeou l'excellent Aweque l'on peut entendre sur la carte du monde. L'ensemble de la bande originale oscille entre la mélancolie et le mystère, donnant une ambiance qui rappellera parfois celle de Diablo. C'est sans doute le point fort du travail réalisé sur la partie sonore du titre, son environnement. Que ce soit à travers ses musiques ou ses bruitages, Battle Chasers nous plonge littéralement dans son univers.
Bien loin du générateur de "Tales of" proposé par Namco ou des cinématiques hollywoodiennes de Square, Battle Chasers: Nightwar propose une expérience plus brute, plus simplifiée, mais néanmoins plaisante. Si la qualité du jeu demeure perfectible d'un point de vue technique, elle est cependant louable sur le plan artistique. Malgré quelques moments de lassitude et de frustration, on ressort de l'aventure plutôt conquis et diverti. Proposé à un prix correct pour son contenu, le titre demeure un bon interlude entre deux grosses productions et un agréable retour aux sources pour les plus nostalgiques.
La version téléphone est très fidèle à la version console (ou la version switch). Un vrai plaisir de se replonger dedans une nouvelle fois.
La version téléphone est très fidèle à la version console (ou la version switch). Un vrai plaisir de se replonger dedans une nouvelle fois.