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Bravely Default
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Bravely DefaultAnd in the end it comes back to bite you
Lorsque l’on interpelle un mordu de RPG japonais sur la toile ou ailleurs, ses références en la matière demeurent souvent très classiques. Chrono Trigger, Final Fantasy VI ou encore Secret of Mana, il ne tarira jamais d’éloges sur ces titres aux mécaniques surexploitées, disséquées et remaniées dans tous les sens par d’autres titres depuis. Certains concepts revisités ont su plaire, d’autres plus nombreux se sont soldés par un échec cuisant. Cela à une telle fréquence que d’aucun affirme sans détour en avoir fait le tour. Le désamour pour le genre guète en retour. Bravely Default dévoile alors ses atours et rôde tel le vautour, dessinant des cercles au-dessus des carcasses presque sans âme, espoir ni conviction des ultimes croyants. Les mêmes qui, après avoir constaté la famine et traversé la misère du J-RPG old-school, font vivoter la dernière flammèche d’espoir qui leur reste, rallumée il y a quelque temps de cela par The Four Heroes of Light. Le regard se lève alors péniblement vers les cieux, le blanc immaculé sur un ciel d’une clarté caribéenne aveugle. La vue est encore trouble, mais une silhouette semble se dessiner, nimbée de lumière et majestueuse. Le doigt tendu : « le phénix ! » Blackout.
Default : Courageux par défautBravely Default a ce petit quelque chose de frustrant. Abordons cela de façon cartésienne en rationalisant : le soft est grossièrement scindé en deux parties.
La première d’entre elles est purement et simplement un bijou d’écriture. Si l’on suit - comme c’est dorénavant la tradition dans les franchises labellisées old-school chez Square Enix - quatre guerriers de lumière et que la tâche dont ils se trouvent investis est somme toute classique, l’élaboration des ramifications du récit témoigne d’un grand savoir-faire. Les thématiques abordées sont nombreuses et les mises en situation esquivent habilement coup sur coup les fausses notes. Parmi un florilège de sujets traités ou simplement évoqués, on retiendra que Bravely Default s’attaque assez finement à l’industrialisation à outrance, remet en cause la sécularisation des sociétés, critique brièvement la stérilité du dialogue politique, ou bien encore, nous parle de la folie ou de la corruption. De toute évidence, la multiplicité des propos empêche ici à Bravely Default de tous parfaitement les exploiter et la majorité ne sera traitée qu’en surface, à peine sous la première des couches. De même, on aura parfois le sentiment, justifié, que la narration n’arrive pas à se défaire des poncifs japonais en matière de moralisation. Mais peu importe, quel bol d’air frais ! Enfin Silicon Studio prouve à la production de J-RPG toute entière que classique ne rime pas avec superficiel. Square Enix a bien recruté lorsqu’il a désigné Naotaka Hayashi en tant que scénariste. Celui-ci est en effet à l’origine de la série de visual novels dont est tiré Steins;Gate, qui a reçu un accueil critique des plus chaleureux quant à son histoire. En sus, plus qu’un simple récit, Hayashi et l’équipe d’écriture ont véritablement donné corps au monde conçu par Silicon Studio. Cela passe par les textes descriptifs présents dans le menu, par l’agencement de hiérarchies et d’instances crédibles ou encore par le développement d’une vision globale d’un univers ancien profondément intra-connecté, exigeant de mettre par écrit les relations diplomatiques et marchandes ainsi que l’Histoire de ces nations. Bien évidemment, lorsque l’on compare le background de Bravely Default à celui d’un W-RPG tel que Skyrim, il fait bien pâle figure. Néanmoins, à la différence de ces derniers, toutes les informations que l’on obtient servent quasi-exclusivement à la compréhension du scénario. Un bout d’information que l’on acquiert pourra nous permettre de nuancer tel événement que l’on a déjà accompli, par exemple. Et en cela, le jeu joue beaucoup de son faux semblant manichéen. Default : White MageCar dans l’univers des J-RPG vieille école, Bravely Default est sans doute celui qui parait le plus trompeur, et surprend le plus par sa nuance de ton. A tel point que, chose rare dans un jeu de rôle japonais, on se retrouve dans des situations de doute profond, ne sachant plus discerner les forces du bien de celles du mal, nos amis de nos ennemis. Hayashi joue très bien de ce brouillage des lignes et plonge le joueur dans un doute hyperbolique qui ne peut que le laisser perplexe. Les annexes, notamment, permettent de mettre en lumière ce phénomène. Véritables side-story très consistantes du point de vue de l’écriture, elles permettent, tout en récupérant de nouvelles classes de personnages, d’observer de plus près les différentes facettes des personnalités des protagonistes secondaires. Le casting global bénéficie par là même d’une mise en relief tout à fait singulière et bienvenue qui oblige le joueur à s’attacher et donc à s’immerger un peu plus dans l’expérience. A tel point qu’il est impensable d’espérer avoir un juste aperçu du jeu en étant passé à côté.
En outre, ces quêtes sont l’occasion de percevoir très distinctement une force de l’écriture de Bravely Default : sa théâtralité. La narration se construit dans son intégralité sur des moments forts, des chocs, des morts, des tragédies, mais également sur une bonne dose de romance et de franche camaraderie, avec la même intensité que celle d’une pièce de théâtre. D’autres avant lui ont excellé en préférant marquer l’esprit du joueur par des instants où les personnalités se polarisaient (Final Fantasy VI, Lost Odyssey, Valkyrie Profile) plutôt que par le fil d’une intrigue retorse (Xenogears, Tales of Vesperia, Star Ocean 3). Il faut dire que le genre s’est relativement spécialisé dans cette veine. Toujours est-il que, bien que le casting principal ne soit pas des plus élaborés qu’il soit, il demeure on ne peut plus efficace lors de telles rencontres ou dialogues. Pour redoubler d’efficacité dans son propos, Hayashi a pris le soin d’élaborer un fort parallèle entre les grands enjeux du récit – sauver le monde – et une dimension plus intime, familiale, qui force l'apparition d'enjeux tragiques et accentue considérablement l’aspect humain, plus à même de parler au joueur. En somme, Bravely Default navigue entre des ambiances à la limite du cartoonesques – les nombreuses saynètes illustrent d’ailleurs bien cet état d’esprit – et d’autres bien plus sérieuses, en faisant rarement dans la demi-mesure. On regrettera cependant profondément la mise en scène très minimaliste du titre, qui bride manifestement le pouvoir d’évocation émotionnelle des cut-scenes les plus marquantes, coupant de ce fait tout accès à un énorme potentiel. En fin de compte on constate une volonté radicale chez Silicon Studio de couper les ponts avec une production aseptisée dont les codes se répètent sans cesse, sans trop de changement ou de modernisation. Bravely Default a sans conteste l’ambition de remettre les choses à plats, de se saisir d’anciens codes, certes, mais de les remanier, de les tordre jusqu’à ce qu’ils se transforment et forment de nouveaux standards pour le RPG japonais au tour par tour à l’ancienne. Cela se vérifie également dans le gameplay. Default : WE. GO. WILD !Le gameplay de Bravely Default s’impose assez aisément comme l’un des gameplay de J-RPG les plus complets qu’il soit. Si sa base n’a rien de très original, son agencement vaut toutes les louanges. Les lignes manquent pour exposer toutes les subtilités du système de classe que propose le titre. Cependant, il faut absolument retenir les possibilités énormes de personnalisation qu’il offre au joueur. Avec plus de vingt classes jouables et environ trois cents capacités actives comme passives, les combinaisons possibles en articulant les capacités de deux jobs – ce que propose le titre - sont plutôt infinies.
En combat, on se retrouve face à un système très tactique de gestion des tours qui sera réellement le nerf de vos affrontements. Une garde vous permet d’économiser des tours que vous pourrez ensuite dépenser d’un coup afin d’enchainer l’ennemi sans qu’il ne vous interrompe. En soi, le système est plus pauvre que ce que proposait un Radiant Historia avec son système de combo, mais le caractère beaucoup plus punitif de Bravely Default impose au joueur de développer un sens de la stratégie très aiguisé s’il ne souhaite pas trop s’acoquiner avec l’écran de Game Over. Cette exigence, au feeling bien old-school, se ressent surtout contre les boss. Ici, la touche de modernité insérée par Silicon Studio réside dans la tolérance dont ils ont fait preuve en élaborant le gameplay. Autrefois, si un boss vous bloquait le passage, il n’y avait guère d’autre solution que de retourner faire un peu de level-up décérébrant et de revenir plus tard. Tandis que dorénavant, bien que cette option reste disponible, la malléabilité de la personnalisation permet d’envisager pléthore de combinaisons, parmi lesquelles, celle qui fonctionnera contre tel ou tel ennemi. Bref, le gameplay s’avère très gratifiant pour ceux qui usent et abusent de toutes ses ficelles. Vous allez vous perdre dans les menus, et vous aimerez ça. De plus, cette version internationale se paye le luxe de faciliter la vie au joueur. C’est-à-dire que des paramètres tels que la fréquence des combats, leur vitesse ou encore leur difficulté sont entièrement paramétrables. Envie de tracer le jeu en ligne droite ? Le mode facile est fait pour vous. Et si une envie de challenge vous prend soudainement, vous pouvez à tout moment passer en difficile. De même, si vous préférez explorer un lieu avant d’en découdre avec la faune locale, il est possible de tout bonnement supprimer les rencontres aléatoires pour avoir la paix. Bien que l’on ne puisse s’empêcher de rappeler que ces ajustements font suite à un calibrage très douteux de la version originale, on ne peut que saluer l’initiative qui part d’une intention de mea culpa. Une poignée de fonctions internet sont également de la partie, mais demeurent bien triviales à l’aune de l’expérience globale. Les aficionados de mécaniques sociales seront en revanche conquis car Bravely Default en use et abuse. Default : Art is SmartConquis, tout le monde ou presque le sera sans doute par la patte artistique du soft. A commencer par l’OST de Revo, du groupe Sound Horizon. A lui seul, ce compositeur fait montre d’une incroyable polyvalence. Tandis que nos péripéties sur la carte du monde feront retentir une mélodie que l’on croirait tout droit sortie du répertoire du mythique Joe Hisaishi, un combat s’enclenche et on jurerait que Motoi Sakuraba se soit invité à la bande-son. Le compositeur emprunte à de nombreux courants pour cette soundtrack, tout en conservant une certaine justesse sur la durée qui soutiendra de façon solide nos aventures. Seules quelques pistes s’émancipent réellement de l’ensemble, ce qui n’est en rien dommageable tant Revo s’est appliqué à créer des atmosphères particulièrement convaincantes, misant sur la chaleur ou l’inquiétude. Les doublages, en revanche, sont plus inégaux. On s’étonnera d’ailleurs que le casting principal se situe dans la moyenne basse du voice-acting du jeu.
Quant aux environnements des quelques villes, au nombre de six, ils s’inscrivent dans le sillage exact de l’OST. Véritables artworks « jouables », on navigue d’un bord à l’autre de ces petits chefs d’œuvre comme un enfant à Disney Land. On s’émerveille de l’attention portée aux moindres détails et de la façon dont la profondeur est amenée. La sobriété et la technique y cohabitent de la plus pure et saine des manières, en symbiose. Puis on se rend compte de la façon dont le personnage se fond avec grâce dans ce décor. Tout est fait pour apaiser l’œil. Les formes sont généreuses, douces, lisses. Les couleurs sont pastel, attrayantes, chaleureuses. Le regard caresse l’écran et l’on ressent pleinement la sérénité et le sentiment de sureté qu’est censé nous confier un foyer. Une franche réussite de la part des illustrateurs de Silicon Studio. Petite mention d'honneur à Akihiko Yoshida pour les personnages, qui a accompli un très bon travail sur les artworks. En revanche, comme souvent avec cet artiste, la conversion de ses modèles en sprites ne lui rend guère justice. On se consolera avec les animations du titre, très fluides et sans trop de déchet. Par ailleurs, il est aisé d’objecter que le contraste entre la direction artistique du titre plutôt « bon enfant » et les propos du scénario, assez crus par moment, est bien trop important et impacte négativement la cohérence de l’ensemble. Une objection somme toute recevable, d’autant plus que le titre pâtit sans aucun doute du support, très orienté grand public. Second : Contre-enquêteSi le tableau paraissait être globalement des plus réjouissants jusqu’ici, il existe des bémols. Et de taille. En effet, si jusqu’aux deux tiers de l’aventure, Bravely Default fait presque un sans-faute si l’on oublie les donjons plutôt quelconques, génériques et ternes, le titre saute à pied joints dans les travers du genre durant la seconde partie. Tel le vautour qui s’assimile au phénix sous la puissance aveuglante des rayons du soleil, il faut bien croire que tout ce qui brille n’est pas or et Bravely Default déçoit beaucoup dans son long « rush » de fin. Silicon Studio a donc, malgré tout son dur labeur pour moderniser le genre dans sa première partie, usé des deux pires fléaux du RPG japonais.
Le premier d’entre eux, c’est l’obstination des scénaristes japonais à écrire des fins sous LSD qui les emmène constamment dans des « trips » apocalyptico-mystico-martien durant lesquels un grand méchant sort un peu de n’importe où deux heures avant la fin. Le corollaire principal de cet état de fait étant l’abrutissement total du groupe de héros qui voit venir les choses d’approximativement une centaine d’années-lumière, mais ne réagit pas, prêt à tout pour accomplir son destin. Une mauvaise habitude que l’on croyait perdue depuis un certain temps. La seconde conséquence, c’est que de ce fait, Bravely Default renie assez clairement tout le travail de fond effectué sur une intrigue passionnante, politisée, opposant des idéaux, et non simplement le « bien » et le « mal ». L’intégrité de l’expérience s’en trouve grandement ébranlée, et remet en perspective l’aventure dans sa globalité. Le deuxième écueil d’un autre temps est la répétitivité. A un tel point que c’en est déraisonnable. Quand bien même des mécaniques de jeu ont été ajoutées dans cette version pour écourter les choses, il faudra inéluctablement passer par la case level-up un certain temps pour se mettre au niveau requis pour la suite de l’histoire. Sans trop en révéler, Bravely Default impose au joueur de repasser X fois par un certain nombre de ses donjons afin de pouvoir battre le vrai boss final. Une idée aussi absurde qu’inutile, seulement destinée au remplissage. Bravely Default est schizophrène. Il invite le joueur dans un monde vivant, chaleureux et aimant. Il prend le soin de slalomer entre les erreurs et nous fournit pendant un temps une expérience aussi délicieusement old-school que fraichement moderne. Il réactualise la légende des héros de lumière, peint une fresque aussi imposante que passionnante, et fait baigner le tout dans un melting-pot d’influences inédit. Il caresse notre œil, berce nos oreilles, triture notre esprit. Puis il nous crache à la gueule. Ultime affront que l’on pardonnera, ou pas.
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